Face aux critiques, la NUPES défend la crédibilité de son programme économique

Face aux critiques, la NUPES défend la crédibilité de son programme économique

Alors que la polémique enfle depuis une semaine autour du programme économique de la NUPES, les économistes du parlement de l’Union Populaire, proches de LFI, se sont montrés combatifs pour défendre la crédibilité de leur plan de relance et d’investissement. Ils saluent un débat opportun, mais assurent que les critiques catastrophistes reposent sur des hypothèses « erronées. »
Louis Mollier-Sabet

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Il flotte dans l’atmosphère comme un petit air de 1981. Les récits apocalyptiques qui ont émergé la semaine dernière à propos de l’effondrement économique que produirait l’application du programme de la NUPES rappellent étrangement le délitement de l’économie que promettait la droite en cas d’élection de François Mitterrand, les chars russes en moins. C’est Jean-Luc Mélenchon qui dresse lui-même la comparaison en ironisant sur « le registre novateur » des critiques « qui jouent sur la peur et l’affolement », lors de la conférence de presse tenue ce mardi au siège de La France Insoumise.

Et c’est d’ailleurs l’argument de la note de Guillaume Hannezo, banquier et haut fonctionnaire proche du social-libéralisme, réalisée pour Terra Nova : comme en 1981, la politique de relance de la gauche ferait courir l’économie française à la catastrophe, avec une explosion de la dette qui couperait la France des marchés financiers. Face aux procès en crédibilité instruits par l’Institut Montaigne et de Terra Nova, la contre-offensive est assumée, et avec le sourire. La NUPES se réjouit en effet du débat suscité autour de son programme économique. « Nous sommes demandeurs de débat », a martelé un Jean-Luc Mélenchon, « très content » de l’offensive des Think Tanks libéraux et de centre-gauche, qui pourrait permettre de sortir de « l’anesthésie générale du débat » dans laquelle est plongée la campagne des élections législatives.

Le ping-pong macroéconomique entre Mélenchon et Terra Nova

Les projecteurs médiatiques sont ainsi braqués sur le travail de chiffrage du programme, « dont aucune autre force politique ne peut se prévaloir », remarque Aurélie Trouvé, maîtresse de conférences à AgroParisTech et présidente du parlement de l’Union Populaire. En discutant avec des économistes ayant participé à la rédaction du programme économique de LFI, puis à l’adaptation au « programme partagé » de la NUPES, on se rend tout de même compte que certains l’ont un peu mauvaise. « Hannezo a grossi le trait de façon démesurée et pas très honnête », lâche l’un d’eux, qui y voit le symptôme d’une rhétorique habituelle chez les économistes libéraux consistant à « se placer d’un point de vue technique, en assénant des vérités économiques, alors que nos modèles sont tous bâtis sur des présupposés idéologiques. » Face à ce qu’il estime être un « contre-chiffrage bricolé », Jean-Luc Mélenchon avait donc répondu à Terra Nova dans une note de blog du 29 mai dernier, tandis que le Think Tank a « répondu à la réponse » le 1er juin, les économistes du parlement de l’Union Populaire répliquant à leur tour le 2 juin dans le Club de Mediapart.

De ce ping-pong macroéconomique ressortent des points de frictions qui polarisent le débat, et permettent d’en saisir les enjeux. D’abord, le chiffrage de l’Institut Montaigne, qui a servi de base au travail de Terra Nova, qui comptabilise 320 milliards de dépenses, ne correspond pas aux 250 milliards issus du chiffrage officiel de la NUPES. Une première explication, l’Institut Montaigne avait comptabilisé, pour la réforme des retraites proposée, la prise en compte des 10 meilleures années d’une carrière et pas des 25, alors que ce n’était, d’après Manon Aubry et Jean-Luc Mélenchon, pas dans le programme, ni de LFI, ni de la NUPES. Effectivement, la mesure ne figure à ce jour, ni dans le livret « Vieillir et bien vivre » de l’Avenir en commun, ni dans le chapitre 1er du « programme partagé » de la NUPES. Une erreur qui explique déjà 24 milliards de différences, le reste tenant principalement à des écarts de chiffrage de dépenses, mais surtout à la querelle du fameux « multiplicateur » budgétaire.

La querelle du multiplicateur budgétaire

En économie, le débat est presque séculaire, et date des travaux de Keynes dans l’entre-deux-guerres. Ceux-ci mettent en évidence l’existence d’un « multiplicateur budgétaire » supérieur à 1, c’est-à-dire que 100 euros investis par l’Etat dans l’économie entraîneront une hausse de plus de 100 euros du PIB. Ce type de politique dite « de relance » par la dépense budgétaire, qu’elle finance la consommation ou l’investissement, s’imposera jusqu’aux chocs pétroliers des années 1970, et cèderont la place à la remise en cause monétariste et néolibérale (au sens économique) des années 1980. Depuis, le montant du « multiplicateur », qui varie en fonction du cycle économique et des institutions du pays concerné, oppose économistes néo-libéraux et post-keynésiens, jusqu’à s’introduire depuis une semaine dans le débat public. « La catastrophe annoncée [par Terra Nova et l’Institut Montaigne] repose sur des hypothèses erronées en matière de multiplicateur », explique ainsi Eric Berr, maître de conférences en économie à l’Université de Bordeaux.

« Nos opposants se sont servis d’un multiplicateur inférieur à 1 pour grossir l’impact de la relance sur le déficit », abonde Cédric Durand, Professeur associé à l’Université de Genève. Les économistes qui soutiennent LFI et la NUPES affirment s’être basés sur deux modèles disponibles librement : celui de la Banque de France et le modèle « Mésange » de l’INSEE et Bercy, et avoir pris un juste milieu. « Dans le modèle de la Banque de France, on a simulé une hausse des taux d’intérêt de 1,5 point. Nous avons pris des hypothèses les plus prudentes et les plus conservatrices », assure ainsi Raul Sampognaro, économiste à Sciences Po venu en renfort pour répondre aux questions des journalistes sur les hypothèses utilisées pour faire « tourner » les modèles. Sur le multiplicateur, les économistes du parlement de l’Union Populaire ont tout de même choisi de tabler sur un multiplicateur de 1,18, en estimant que la relance du programme de la NUPES s’apparentait plus à une relance de la demande que de l’offre, cette-dernière ayant un effet d’entraînement sur l’économie moins important.

« La structure de la dette publique nous est actuellement très favorable. Les taux d’intérêts réels sont au plus bas depuis des décennies »

Si le débat est fondamental politiquement et économiquement, il reste marginal en termes d’impact sur le déficit et la dette prévus par la NUPES, puisque sur les 267 milliards de recettes chiffrées, 200 viennent de mesures fiscales, et seulement 67 de retombées économiques dues à un effet d’entraînement. « Nous marchons sur deux jambes », insiste Cédric Durand, « avec l’effet multiplicateur, mais surtout avec une base fiscale solide. » Le débat macroéconomique aurait presque fait oublier que LFI, et la NUPES, comptaient aller chercher l’argent chez les riches. Pour y arriver, Manon Aubry, eurodéputée LFI et ancienne chercheuse à Oxfam, promet une « solution », avec l’impôt universel, basé sur la méthode du « déficit fiscal » de Gabriel Zucman. Le but est de calculer ce que devrait une multinationale au niveau mondial avec un taux d’imposition sur les sociétés de 25 %, faire la différence avec ce qu’elle paie effectivement, et que tous les pays se portent « percepteur fiscal en dernier ressort » proportionnellement au chiffre d’affaires réalisé dans le pays. En tout état de cause, la NUPES assume a minima une augmentation du déficit de 0,8 point et une augmentation du stock de dette de 113 % à 120 %. « La structure de la dette publique nous est actuellement très favorable. Les taux d’intérêts réels sont au plus bas depuis des décennies », argumente Cédric Durand. Autrement dit, même si les taux d’intérêt « nominaux » augmentent de 1 %, l’inflation augmentant plus vite, la France continue en fait de payer sa dette de moins en moins cher, et « le volume de la dette diminue », conclut l’économiste.

Par ailleurs, face aux précédents de la relance de Mitterrand en 1981 ou de la Grèce en 2015 invoqués par la note de Guillaume Hannezo, les économistes de la NUPES le martèlent : la situation a changé, et en particulier le rôle de la Banque Centrale Européenne (BCE). « Les Banques Centrales interviennent pour acheter de la dette publique afin d’aider les marchés financiers qui l’utilisent comme collatéral dans les prêts interbancaires. Plus d’un quart de la dette publique française est ainsi possédé par la BCE, et avec le poids de la France dans la zone euro, celle-ci ne pourrait pas se permettre d’attaquer la dette française », détaille Cédric Durand. L’autre différence, ajoute Éric Berr, c’est que le « programme partagé » de la NUPES ne repose pas que sur une relance économique par la consommation « à l’ancienne », mais sur un « plan d’investissement public massif » de 50 milliards par an « pour la bifurcation écologique et les services publics. » Une relance qui ne se base donc pas seulement sur la consommation populaire, qui peut financer des industries étrangères comme l’a prouvé l’expérience de 1981, mais sur de la création d’activités non délocalisables et vertueuses sur le plan environnemental. Si Jean-Luc Mélenchon et ses détracteurs dressent tous la comparaison avec 1981, le premier pour voir dans la séquence actuelle une panique injustifiée et les seconds pour faire la chronique d’un échec annoncé, la vraie question sera plutôt de savoir, dans l’éventualité où la NUPES parviendrait à rafler une majorité aux législatives, si Jean-Luc Mélenchon arrivera à rester droit dans ses bottes et éviter un nouveau tournant de la rigueur.

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