Faux steaks hachés : Le cri d’alerte des associations caritatives au Sénat

Faux steaks hachés : Le cri d’alerte des associations caritatives au Sénat

Depuis juillet 2018, 780 tonnes de steaks hachés ont été livrées à La Croix-Rouge, Les Restos du Cœur, le Secours populaire Français, et la Fédération française des banques alimentaires. Comme d’autres produits, ces steaks ont été fournis à ces quatre associations caritatives via le fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD). Mais début 2019, les associations donnent […]
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Depuis juillet 2018, 780 tonnes de steaks hachés ont été livrées à La Croix-Rouge, Les Restos du Cœur, le Secours populaire Français, et la Fédération française des banques alimentaires. Comme d’autres produits, ces steaks ont été fournis à ces quatre associations caritatives via le fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD).

Mais début 2019, les associations donnent l’alerte : la couleur, le goût et la consistance de la viande ne leur paraissent pas normaux. En réalité, ces steaks étaient tout sauf de la vraie viande. La commission des affaires économiques du Sénat organisait ce matin, sur la demande du groupe CRCE, une table ronde sur le sujet. Le palais du Luxembourg a donc accueilli des représentants des quatre associations caritatives concernées, qui ont été saluées par les parlementaires, ainsi que des responsables des administrations compétentes.

Une chronologie plus que particulière

Dans les débats, les différents intervenants ont été amenés à rappeler le déroulé chronologique de cette affaire. Jacques Bailet, Président du réseau des Banques alimentaires, a expliqué que tout avait commencé le 21 février, lorsque, prévenue par les bénéficiaires, la banque alimentaire de Lannion a lancé l’alerte. Des analyses sont commandées et sont transmises le 25 mars à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Le 5 avril, cette direction, qui agit sous l’autorité de plusieurs ministères, ne donne aucune réelle consigne au réseau des banques alimentaires, selon Jacques Bailet. « On a pris sur nous la décision d’interrompre la diffusion, de la bloquer », explique-t-il.

France AgriMer, chargée d’assurer le contrôle des fournisseurs sélectionnés, n’a eu le résultat de ses analyses que le 1er juillet, quatre mois et demi après la première alerte.

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est prévenue le 28 mars par la DGCS selon Virginie Beaumeunier, la directrice. Une enquête est lancée, avec deux objectifs : confirmer une éventuelle tromperie sur la qualité des produits et identifier ensemble des acteurs concernés.

Virginie Beaumeunier, directrice de la DGCS
03:40

Entre 11 et 20 avril, une trentaine de prélèvements de produits ont été réalisés dans les locaux de banques alimentaires partout en France. Des prélèvements qui ont été envoyés dans un laboratoire de Montpellier, pour une analyse de composition. « Le 13 mai, nous avons les premiers résultats, qui mettent en évidence une non-conformité majeure par rapport à la réglementation et au cahier des charges de France AgriMer sur la totalité des échantillons analysés », explique Virginie Beaumeunier

Toute présence fortuite est exclue par le laboratoire, les manquements étant trop fréquents. Le 16 mai, la DGCCRF procède à de nouveaux prélèvements dans les autres associations (Les Restos du cœur, le Secours populaire, La Croix-Rouge), afin de confirmer si les manquements sont généralisés. Au total, 42 prélèvements sont faits, tous sont jugés non conformes.

Quant à France AgriMer, l’organisme chargé d’élaborer le cahier des charges de l’appel d’offres et qui a choisi Voldis comme l’un des distributeurs, les résultats de leurs analyses ne sont tombés que lundi 1er juillet. Néanmoins, la directrice Christine Avelin rappelle que les contrôles sanitaires transmis en amont par la société mise en cause ne présentaient aucune anomalie.

« Le contrôle doit reposer à un moment sur une alerte de celui qui reçoit les produits »

Au Sénat s’est donc posée ce matin la question du niveau de responsabilité de chacun. « Le contrôle n’entre pas dans notre champ de compétences, donc on préfère laisser ça en amont aux structures de l’État, que ce soit France AgriMer ou une autre, sachant que le FEAD est quelque chose qui est très lourd administrativement », expliquait Olivier Grinon, membre du Bureau national du Secours populaire français.

Patrice Blanc, président des Restos du cœur, a rappelé que quelques contrôles étaient néanmoins du ressort des associations. « Lorsque les produits arrivent dans les entrepôts départementaux, il y a un contrôle de conformité par rapport à la fiche du produit », indique-t-il. « Mais ce sont des palettes entières qu’on reçoit. Comme on est sur des produits surgelés, le responsable de l’entrepôt ne va pas tout de suite éclater la palette pour vérifier chaque lot. Donc on peut stocker des produits qui sont non conformes sans s’en apercevoir », prévient-il.

Mais les administrations n’ont pas le même discours. À l’image de Jean-Philippe Vinquant, directeur général de la cohésion sociale (DGCS), qui « ne peut pas imaginer un système où celui qui reçoit des produits qui sont livrés n’a pas une responsabilité pour s’assurer ». « Il n’y a pas un gestionnaire de cantine ou un responsable d’hypermarché qui ne contrôle pas ce qui lui est livré. Le contrôle doit reposer à un moment sur une alerte de celui qui reçoit les produits ».

Fabien Gay lors de la table ronde sur les steaks frauduleux
00:38

Des propos qui ont scandalisé Fabien Gay, rapporteur général de ces auditions. « Votre réponse est hallucinante. Vous comparez les associations avec les collectivités territoriales et les commerçants. Mais l’association ne passe pas un marché public, c’est vous qui le faites. C’est vous qui commandez. Donc qu’elles aient un regard visuel, très bien. Mais à aucun moment vous ne parlez de la responsabilité qui vous incombe », s’indigne le sénateur communiste.

Plus tôt dans les débats, Jacques Bailet a dénoncé le flou de l’administration dans l’affaire des faux steaks hachés. « Il eut été normal qu’elle donne une directive claire aux quatre têtes de réseau et ne nous laisse pas chacun adopter notre propre politique. Dans le débat avec le fournisseur, là aussi, on est livrés à nous-même ». Une position approuvée par les autres associations.

« L’affaire qui nous occupe aujourd’hui nous montre qu’il faudra être à l’avenir à un haut niveau d’exigence en matière de qualité des produits »

Mais toutes les entreprises ne sont pas contrôlées. Christine Avelin explique qu’en « ce qui concerne les taux de contrôle en entreprise, cela représente 60 % des volumes qui sont livrés ». « Pour choisir quelles sont les entreprises et quelles sont les 60 % il y a une analyse de risque et l’entreprise Biernacki y a échappé pour le marché 2018 », regrette la directrice de France AgriMer.

« Sur les autocontrôles de composition, il n’y a pas d’encadrement sur les méthodes d’analyse », quelque chose qui pourrait être amélioré lors des futurs appels d’offres, reconnaît-elle. « Il est bien normal qu’en matière sanitaire nous soyons au plus haut niveau d’exigence. L’affaire qui nous occupe aujourd’hui nous montre qu’il faudra être à l’avenir à ce niveau d’exigence en matière de qualité des produits », conclut Christine Avelin.

« Il faudrait que les associations soient plus entendues lors des achats. »

L’appel d’offres a été lancé par France AgriMer via le FEAD. Voldis, une entreprise française, l’a remporté et s’est approvisionné en viande auprès d’une entreprise polonaise : Biernacki. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le prix n’a pas été l’un des premiers critères de sélection. Christine Avelin indiquait que lors des années précédentes, le fabricant choisi était n’était pas polonais et le prix était le même, tandis que Patrice Blanc tout comme Jacques Bailet rappelaient que les prix n’étaient connus des associations qu’après l’expédition des produits.

Pour la directrice des activités bénévoles et de l'engagement de la Croix-Rouge française Anne Bideau, il faudrait que les associations soient plus entendues lors des achats. Concernant les fraudes, elle plaide pour qu’il y ait des clauses plus précises lors des passations de marchés. « Il faut donner plus de place au critère de qualité, car sur de nombreux produits, seul le critère de prix est pris en compte », poursuit-elle. Enfin, elle souhaite des calendriers plus avancés afin de pouvoir contrôler les produits dès les livraisons et « ne pas attendre plusieurs mois ».

La faute à l’Europe ?

Cette affaire se situant dans un cadre de financement européen, l'Union européenne a été la cible de critiques lors de la table ronde. Dans l’une de ses interventions, le sénateur Laurent Duplomb a dénoncé les importations à répétition faites par la France, « une fois à l’autre bout de l’Europe, une fois à l’autre bout du Monde », taclant ici l’accord de libre-échange signé entre l’UE et le Mercosur. « Arrêtons de nous tirer une balle dans le pied ! »

Son collègue Daniel Gremillet a demandé si les associations « imaginaient plutôt des critères européens ou des critères propres à chaque État membre, déclinés au niveau européen », car le sénateur affirme que « tout le monde n’a pas les mêmes règles de mise en marché au niveau des produits alimentaires ». Ce à quoi Jacques Bailet a répondu qu’on « peut mettre de nouveaux critères dans les marchés européens, ce qui pourrait permettre de monter en gamme en qualité et si possible avec un bilan carbone de favoriser les producteurs français ».

Jacques Bailet, président du réseau des banques alimentaires
02:37

Virginie Beaumeunier a rappelé qu’il y avait une volonté pour renforcer la lutte contre les fraudes alimentaires, annonçant la création d’une Taskforce « pour mieux intervenir et pour lutter contre les fraudes transnationales » « C’est la proposition que porte Bruno Le Maire […] On a un écho qui commence à être favorable au sein des pays membres et c’est l’une des priorités françaises pour le mandat de la nouvelle commission », explique-t-elle.

En attendant des décisions à l’échelle européenne qui permettront d’éviter à nouveau ce genre de scandales, les stocks livrés dans les associations ont été retirés de la distribution dès les premières plaintes. La pénurie de fait crée a été compensée par la distribution d’autres protéines animales ou par l’achat d’autres steaks, avec un coût plus élevé. « Mais le problème qu’on risque d’avoir n’est pas celui de la pénurie, explique Patrice Blanc, mais celui du sur stockage. On va recevoir bientôt les steaks 2019 en gardant les lots suspectés de fraude ». Olivier Grignon abonde : « On parle de produits surgelés, donc leur stockage coûte 50 % plus chers que des produits secs ».

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