Fonds marins : le Sénat s’interroge sur l’exploitation des ressources minières

Fonds marins : le Sénat s’interroge sur l’exploitation des ressources minières

Puissance maritime mondiale disposant d’un territoire marin égal à dix-sept fois sa superficie terrestre, la France aurait pris du retard dans la maîtrise des fonds marins. Les sénateurs de la mission d’information ont publié ce mardi 21 juin un rapport formulant vingt recommandations, « une feuille de route » sur l’exploration et l’exploitation des abysses.
Public Sénat

Par Louis Dubar

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L’Hexagone s’est doté depuis 2015 d’une stratégie sur les fonds marins avec la création d’un Conseil Interministériel de la Mer (CIMer) dont l’ambition dans les domaines de la recherche et de l’exploration a été continuellement renforcée depuis, à l'occasion des assises de l’économie de la mer, du sommet des deux rives de la Méditerranée en juin 2019 et le « One Ocean Summit » organisé à Brest en février 2022. « L’ambition est là », précise Michel Canévet, sénateur du Finistère et président de cette mission d’information sur les fonds marins au Palais du Luxembourg. A Brest, Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco a annoncé son souhait que 80 % des fonds marins de la planète soient cartographiés d’ici 2030, « contre 20 % actuellement », un défi technologique titanesque associant l’Unesco, le secteur privé et les Etats. « Nous sommes capables d’aller sur la lune et dans l’espace mais pour explorer les grands fonds, c’est beaucoup plus délicat », explique le sénateur qui rappelle que douze hommes ont posé le pied sur la lune alors que quatre hommes ont plongé à plus de 10 000 mètres de profondeur.

Une stratégie française pas à la hauteur des ambitions annoncées

« Deuxième puissance maritime mondiale », la France s’est également lancée dans cette course mondiale vers les abysses. Le 12 octobre 2021, à l’occasion de la présentation du plan d’investissement France 2030, une stratégie nationale visant à développer l’autonomie nationale de demain, afin de « mieux produire et mieux vivre. » Les fonds marins ont été identifiés comme le dixième objectif du plan. Ce champ représente « un levier extraordinaire de compréhension du vivant, et un accès à des métaux rares », a indiqué le chef de l’Etat. Le gouvernement prévoit une enveloppe de 300 millions d’euros, afin de renforcer la capacité industrielle nationale. Après ces annonces en cascade, le Sénat s’est emparé du sujet avec la création d’une mission d’information sur « l’exploration, la protection et l’exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? » Présidée par Michel Canévet, la mission d’information a étudié la stratégie nationale hexagonale, mise en exergue les insuffisances et présenté vingt recommandations afin de « lancer un nouveau départ pour les grands fonds. »

« Nous sommes arrivés au constat suivant : La France dispose d’une réelle expertise scientifique reconnue depuis les années 60 sur les fonds marins mais la stratégie nationale avance doucement par rapport aux objectifs affichés », explique le parlementaire breton. Pour pallier cette inconstance, les auteurs du rapport préconisent « une réforme des outils de gouvernance », avec la nomination d’un délégué interministériel sur cette question des fonds marins. Le haut fonctionnaire serait chargé de coordonner les différents acteurs politiques et scientifiques et de l’application de la stratégie nationale. « Huit ministères sont concernés sur cette question, on ne sait plus trop qui s’occupe de quoi. Un délégué interministériel permettrait une meilleure coordination avec les différents opérateurs scientifiques, économiques et politiques. » La mission d’information propose également la « reconstitution d’un ministère de la mer » et non d’un secrétariat d’État comme aujourd’hui. « Ce serait un signe politique fort », affirme-t-il, « une reconnaissance politique sur cette question essentielle. »

Renforcer les activités de recherche pour améliorer les connaissances sur la biodiversité « des grands fonds »

Sur le plan scientifique et de l’exploration, tout reste à faire selon les sénateurs. « Selon l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifemer), nous ne connaîtrons en étant très optimistes que 5 % de la biodiversité de l’océan profond », précise Michel Canévet. La mission d’information estime que la France doit renforcer ses activités de recherche afin de disposer d’un inventaire précis « à la fois des ressources vivantes et minérales que recèlent les abysses. » « On ne connaît pas ou peu la biodiversité et les écosystèmes à ces profondeurs », précise-t-il. Afin de renforcer les activités de recherche, le rapport préconise « un renforcement des moyens humains et financiers de l’Ifremer et de l’Office français de la biodiversité », des opérateurs scientifiques sous représentés dans les territoires ultramarins. Pour réaliser cette exploration maritime, les parlementaires mettent l’accent sur les moyens opérationnels avec « le renouvellement et la modernisation de la Flotte océanique française. » Les sénateurs appellent également à la création d’un conseil scientifique pour « éclairer les choix politiques » notamment sur la question de l’exploitation des ressources minières et les conséquences sur les écosystèmes sous-marins.

Les sénateurs estiment « prématurées […] la prospection et l’exploitation des ressources minières en l’absence de connaissances scientifiques suffisantes. »

Eldorado économique ? Les abysses ne seraient pas des déserts vierges dépourvus de ressources mais abriteraient des richesses minérales importantes. Certaines formations géologiques tapissant les plaines abyssales comme les encroûtements cobaltifères ou les sulfures polymétalliques seraient riches en terres rares. Les sénateurs de la mission d’information estiment qu’il est pour le moment « prématuré de se prononcer sur la prospection et l’exploitation des ressources minières. » Afin de tester l’impact environnemental, le cadre et la faisabilité d’une exploitation minière « durable des grands fonds marins », les sénateurs encouragent la réalisation d’un projet de démonstrateur dans « les cinq ans. » Si l’expérience est concluante, les sénateurs souhaiteraient renouveler l’expérience.

En parallèle de cette action, le rapport expose la nécessité « d’un engagement fort » de l’Etat pour structurer une filière maritime industrielle sur les fonds marins à la fois dans le domaine de l’exploration et de l’exploitation. Selon les élus, l’Etat devrait soutenir l’émergence « de champions industriels » capables de fournir du matériel et des équipements en privilégiant les commandes publiques.

Depuis quelques années, certains pays européens ont posé les jalons d’une stratégie claire sur l’exploration et l’exploitation des abysses. En Norvège, Oslo tire déjà profit des hydrocarbures en mer du Nord et dispose d’une solide expérience dans le domaine. Le pays scandinave a ouvert la voie à une possible exploitation de ses richesses minières avec l’adoption en 2019, le Seabed Mineral Act. La loi précise qu’aucune zone ne pourra « être ouverte à l’exploration ou à l’exploitation sans une évaluation réalisée au préalable par le Ministère du Pétrole et de l’Energie. » Oslo devrait accorder en 2023 les premières licences d’exploitation. « La Norvège ne constitue pas forcément un exemple à suivre mais il faudra tirer des leçons de cette expérience », précise le président de la mission d’information.

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