General Electric accusé d’optimisation fiscale : les sénateurs demandent des comptes à Emmanuel Macron et Bruno Le Maire

General Electric accusé d’optimisation fiscale : les sénateurs demandent des comptes à Emmanuel Macron et Bruno Le Maire

Selon Disclose, le géant américain aurait artificiellement organisé une baisse de 800 millions des bénéfices de son antenne française, issue du rachat de la branche énergie d’Alstom, basée à Belfort. Une évasion fiscale synonyme d’une perte de 150 à 300 millions d’euros pour l’Etat français. Le sénateur PCF Eric Bocquet a écrit à Bruno Le Maire pour lui demander des comptes. « C’est vraiment du foutage de gueule cette histoire », dénonce la centriste Nathalie Goulet.
François Vignal

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C’est un nouveau scandale d’évasion fiscale. Un de plus. Il concerne cette fois General Electric (GE) et sa branche française, celle qui fabrique des turbines à gaz à Belfort, suite au rachat de la branche énergie d’Alstom en 2015. Selon le site d’investigation Disclose, la multinationale aurait fait échapper pas moins de 800 millions d’euros de bénéfices à l’étranger entre 2015 et 2020. Comment ? Grâce à un montage financier vers sa filiale de Suisse, où le taux d’imposition sur les bénéfices se situe entre 17 % et 22 %, et vers l’Etat américain du Delaware, bien connu des entreprises pour être un paradis fiscal au cœur des Etats-Unis. Manque à gagner pour le fisc français : entre 150 et 300 millions d’euros.

L’intersyndical dépose une plainte devant le Parquet national financier

Selon Disclose, General Electric « aurait bénéficié d’un protocole dit de « relation de confiance » avec l’administration fiscale française ». Selon ce mécanisme, l’entreprise fournit à Bercy les éléments permettant de valider son schéma fiscal, notamment les liens avec ses filiales. En retour, après validation, le fisc n’effectue pas de contrôle ensuite. Une validation que dément le ministère de l’Economie et des Finances. « Bercy et la DGFiP (direction générale des finances publiques) n’ont jamais validé ce montage », répond la DGFIP auprès de l’AFP. De son côté, General Electric assure toujours à l’AFP que le groupe « respecte les règles fiscales des pays dans lesquels l’entreprise opère ».

Face à ces révélations, le Comité social économique et l’intersyndicale de General Electric de Belfort ont annoncé ce mardi avoir déposé une plainte devant le Parquet national financier pour blanchiment de fraude fiscale, abus de confiance, faux et usage de faux, et recel aggravé en bande organisée… « C’est un moment exceptionnel car les plaintes pour blanchiment de fraude fiscale contre les multinationales sont rares », a souligné leur avocate, qui n’est autre qu’Eva Joly, ex-eurodéputée EELV et ancienne candidate à la présidentielle.

« 97 % des profits de General Electric en France se sont envolés vers la Suisse »

Pour le sénateur PCF Eric Bocquet, qui a beaucoup travaillé sur la question de la fraude et de l’évasion fiscale, ce n’est qu’« un exemple supplémentaire. On ne découvre rien ». Reste que les révélations laissent songeur.

« 97 % des profits de GE en France se sont envolés vers la Suisse, dit l’article. C’est bien une stratégie clairement organisée au sein d’un même groupe, avec la fameuse pratique des prix de transferts : des groupes internationaux présents dans plusieurs pays peuvent facilement facturer des prestations à des filiales de leur groupe. Et on loge ces bénéfices dans des pays à la fiscalité moindre ou nulle, comme le Delaware. On en a parlé avec McKinsey. C’est quand même un paradis magique : 950.000 habitants et 1,2 million d’entreprises enregistrées dans cet Etat », pointe le sénateur communiste du Nord, qui avait été rapporteur d’une commission d’enquête du Sénat sur l’évasion fiscale.

« Ce gouvernement a un vrai problème avec la gestion de la fraude fiscale »

Face à la situation, Eric Bocquet demande des comptes au ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. Il a décidé de lui écrire. « Quels contrôles ont été effectués par l’administration fiscale sur ce dossier ? Quelles mesures comptez-vous mettre en œuvre pour mettre fin à ce scandale d’évasion fiscale ? Allez-vous demander des comptes et des explications à cette multinationale ? » demande le sénateur PCF dans ce courrier, rappelant que General Electric a supprimé 5000 emplois depuis 2015 dont 1400 à l’usine de Belfort. Sans parler des conséquences sur l’intéressement des salariés.

Même indignation pour la sénatrice UDI Nathalie Goulet. « Ce gouvernement est mou du genou avec la fraude fiscale. On dirait que le Président n’arrive pas à prononcer le mot… » raille la sénatrice centriste de l’Orne. Elle ajoute : « Ce gouvernement a un vrai problème avec la gestion de la fraude fiscale ».

Nathalie Goulet (UDI) demande une nouvelle commission d’enquête au Sénat

Le gouvernement a pourtant allégé le verrou de Bercy, selon lequel l’administration du ministère des Finances détenait le monopole pour les poursuites pénales en matière de fraude fiscale. En 2018, la réforme avait été présentée comme une suppression du verrou. « Le gouvernement nous raconte des carabistouilles. Il nous ment. Le verrou de Bercy n’a pas été supprimé du tout, il a été entrouvert, car le gouvernement a voulu garder une partie de l’opportunité de poursuite », recadre Nathalie Goulet, qui, sans appel, conclut :

C’est vraiment du foutage de gueule cette histoire, sur le verrou de Bercy, mais aussi tout le reste.

La centriste aimerait voir le Sénat retravailler sur le sujet. « J’ai demandé des commissions d’enquête sur la fraude fiscale et on me les refuse. Mon groupe centriste a choisi un autre sujet », explique l’élue de l’Orne. Nathalie Goulet souligne que depuis la commission d’enquête Bocquet, « ça fait 10 ans. Et on n’a pas avancé d’un iota sur les paradis fiscaux. Il y a toujours des ports francs au Luxembourg et en Suisse, et toujours des zones d’ombre à Jersey et ailleurs ». Elle ne lâche pas l’affaire et compte bien « redemander l’année prochaine une commission d’enquête sur le sujet ».

« Ce n’est qu’un épisode supplémentaire sur la tragédie de General Electric à Belfort »

Localement, du côté de Belfort, le sénateur LR Cédric Perrin n’est plus surpris non plus. « Avec General Electric, il n’y a plus rien d’étonnant maintenant. On avait été alerté par la fuite des cerveaux vers la Suisse, avec les brevets en Suisse. Ce n’est qu’un épisode supplémentaire sur la tragédie de General Electric à Belfort. Ça commence à faire beaucoup de choses au tableau », dénonce le sénateur du Territoire de Belfort. « C’est évidemment très dommageable. Je ne vais pas dire que c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, car il a débordé depuis un moment. Mais c’est bien triste de constater qu’ils sont capables du pire », remarque encore Cédric Perrin, qui ajoute :

On a beaucoup parlé de la moralisation de la vie politique, mais il faut que certains songent aussi à la moralisation de la vie économique. (Cédric Perrin, sénateur LR)

Le sénateur LR s’étonne au passage de l’absence de réaction d’Emmanuel Macron. « On ne l’entend pas dans la campagne des législatives. Est-ce qu’on va l’entendre sur General Electric ? Je rappelle qu’il est comptable de cette affaire », pointe Cédric Perrin. « Il y a beaucoup de points d’interrogation sur la façon dont le rachat a été validé », ajoute Nathalie Goulet. « General Electric s’est porté acquéreur de la branche énergie d’Alstom dans des conditions un peu opaques à l’époque. Un rapport de l’Assemblée a fait état de pratique un peu bizarre. Emmanuel Macron était secrétaire général adjoint de l’Elysée », rappelle Eric Bocquet. Le sénateur fait référence à la commission d’enquête du député LR Olivier Marleix sur les décisions de l’Etat en matière de politique industrielle, en 2017. Il avait émis l’hypothèse d’un possible « pacte de corruption », dans le cadre de la vente de la branche énergie d’Alstom à GE, au bénéfice du ministre de l’Economie en place lors de la signature, Emmanuel Macron. En 2019, Olivier Marleix avait saisi le parquet. Le PNF s’est ensuite saisi de l’affaire.

« Emmanuel Macron est l’homme d’un système », selon le sénateur PCF Eric Bocquet

Au-delà du cas particulier de cette procédure en cours, ce manque d’entrain de l’exécutif, selon Eric Bocquet, pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscale, vient du sommet de l’Etat. « Emmanuel Macron est l’homme d’un système. Ce n’est pas nouveau. C’est ça que nous combattons », soutient le sénateur PCF du Nord, qui « pense qu’Emmanuel Macron est le fondé de pouvoir de ce monde de la finance et des grands groupes. Au gouvernement, on a d’ailleurs des représentants du CAC 40, avec la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, qui est la femme de Frédéric Oudéa, directeur général de la Société Générale (ce dernier a annoncé qu’il quittera ses fonctions en 2023, ndlr). Les liens sont étroits, on le sait ».

« Ils ont des intérêts qui dépassent les nôtres. Il y a manifestement une bienveillance. Vous voyez bien comment ça s’est passé pour McKinsey, la position de Bercy par rapport au mensonge et au faux témoignage de McKinsey devant la commission d’enquête du Sénat », ajoute la centriste Nathalie Goulet, qui pense que « ce qu’il se passe avec General Electric doit se passer avec des dizaines d’entreprises. C’est inacceptable ». Le sénateur LR Cédric Perrin voit une autre explication plus prosaïque : « La problématique de General Electric vis-à-vis du gouvernement est simple. Ils ont 15.000 ou 17.000 emplois en France. Certains n’ont pas envie de les chatouiller de trop près, de crainte des conséquences sur d’autres sites. Mais à un moment donné, est-ce qu’on peut faire tout et n’importe quoi ? » Pour l’heure, on attend encore la réponse de Bruno Le Maire et d’Emmanuel Macron.

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