« Gérald Darmanin va devenir très vite un problème pour Emmanuel Macron » selon Bruno Retailleau

« Gérald Darmanin va devenir très vite un problème pour Emmanuel Macron » selon Bruno Retailleau

Gérald Darmanin, force ou faiblesse d’Emmanuel Macron ? Les sénateurs LR sont partagés sur cet « animal politique » qu’est le ministre de l’Intérieur. « Il participe à l’hystérisation du débat » pour Bruno Retailleau, qui y voit « une impasse ». Mais selon le sénateur Jérôme Bascher, « sans Darmanin, le dispositif de Macron s’écroule. S’il perd sa jambe droite, il est par terre ».
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Il a été des leurs, l’une des figures montantes de la droite. C’était la famille. Mais il est parti pour rejoindre Emmanuel Macron. Gérald Darmanin est aujourd’hui ministre de l’Intérieur et au cœur de la polémique. « Il est en plein chaudron, il danse sur un volcan » dit un élu LR. Il joue en même temps un rôle essentiel dans le dispositif politique du chef de l’Etat.

« Il est politique et technique. Et c’est très rare »

A droite, certains ne voient en lui qu’un « traître ». D’autres ne peuvent que saluer son action, sa fermeté. Entre le projet de loi sur la sécurité globale, ses propos sur les journalistes ou la doctrine des forces de l’ordre, il est loin de chercher le consensus. Mais être au cœur de la tempête, « il aime ça. Il aime montrer qu’il est fort. Et il est fort. Il a un petit côté bravache », même « parfois trop coq. Mais ça se polira avec le temps », selon le sénateur LR de l’Oise, Jérôme Bascher, qui voit en lui « un vrai bel animal politique ». Il le connaît bien. « C’est un copain Gérald » dit le sénateur, qui s’est retrouvé dans « des mariages » avec lui. Ils se connaissent depuis leurs vies passées. « On a fait du cabinet en même temps. Moi j’étais conseiller de Woerth, entre 2007 et 2008 ».

Aujourd’hui, Jérôme Bascher n’entend que du bien de l’ancien des LR. « Il est politique et technique. Et c’est très rare. A Bercy, des hauts fonctionnaires m’ont dit que le type est très impressionnant » lâche le sénateur de l’Oise, qui aujourd’hui bataille parfois en séance contre le ministre de l’Intérieur.

« Il fait le job »

Le sénateur LR Alain Joyandet est clément aussi à son égard : « Il a quand même le mérite d’avoir redonné confiance aux forces de sécurité, depuis qu’il a été nommé. Là il traverse un moment un peu compliqué avec les événements effectivement inadmissibles qu’on a tous vus. Mais il fait le job » selon l’ancien secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy, qui ajoute :

Il serait dans un gouvernement Juppé ou Sarkozy, il ne ferait pas tellement différent.

« Je trouve qu’il fait un travail courageux » salue aussi Christian Cambon, président LR de la commission des affaires étrangères du Sénat. « Nous, dans les banlieues, la situation est telle qu’un peu d’autorité de l’Etat est la bienvenue » ajoute le sénateur du Val-de-Marne.

C’est toute la difficulté pour les LR. Gérald Darmanin ne vient pas seulement de la même famille, il applique dans l’esprit, ou du moins l’ambition, la même politique. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est là. « Personne ne conteste les qualités du ministre de l’Intérieur », reconnaît François-Noël Buffet, président LR de la commission des lois du Sénat, avant de temporiser, car « c’est à l’aune de ses concrétisations qu’on pourra juger réellement ». François-Noël Buffet ajoute : « On a bien compris la tactique politique, qui consiste à affaiblir la droite. C’est à nous de ne pas nous laisser prendre. En tout cas d’être plus malin… »

« On ne peut pas toujours être dans les coups, dans la posture » tacle Bruno Retailleau

L’ancien maire de Tourcoing suscite en réalité des réactions très contrastées chez les sénateurs LR. Pour un sénateur, c’est entendu : « La droite ne l’aime pas. Surtout au Sénat ». Un épisode a laissé des traces. En novembre 2018, alors que les sénateurs viennent de voter une mesure fiscale en faveur des maires, Gérald Darmanin dénonce cette décision sur Twitter, suscitant la bronca des sénateurs. Le ministre devra s’excuser.

Bruno Retailleau s’en souvient encore. « Le ministre qui fait cette faute populiste, démagogique, commet une faute politique majeure » lance le président du groupe LR du Sénat. Vis-à-vis du ministre de l’Intérieur, il n’a pas la même clémence que certains de ses collègues. L’ancien maire de Tourcoing est très clivant, et c’est bien là la question, selon Bruno Retailleau. « Le rôle d’un ministre de l’Intérieur, c’est de montrer l’exemple, d’être à la fois ferme et d’être serein. On ne peut pas toujours être dans les coups, dans le mode de la posture. Vouloir s’attirer les bonnes grâces des policiers, c’est très bien mais on ne peut pas non plus être dans la cogestion. C’est une méthode qui va échouer car notre société est polytraumatisée. Elle est fracturée, et on n’a pas besoin d‘hystériser chaque débat pour faire avancer les choses » lance le patron des sénateurs LR, qui ajoute :

Il participe à cette hystérisation du débat politique. Cette méthode est peut-être dans l’instant positive en termes médiatique et politique. Mais c’est une impasse.

A trop vouloir être sur tous les ballons, on s’épuise et on risque de tirer à côté en somme. « Il va devenir très vite, peut-être déjà, un problème pour Emmanuel Macron » croit Bruno Retailleau. Sa ligne tient, « jusqu’au moment où il y a la faute de carre. Au final, ça fait beaucoup d’erreurs ». Le sénateur LR de Vendée dit avoir « été choqué de la vindicte quand des fidèles ont manifesté contre l’interdiction du culte ». « En tant que ministre des cultes, c’est là qu’il a le plus de mal à trouver sa voie. Le monde des religions, il l’embrasse mal » confirme Jérôme Bascher.

« Sans doute qu’il se rêve un grand avenir »

Mais au fond, pour qui roule Gérald Darmanin ? « Son problème, c’est qu’il a deux obsessions : lui-même et fracturer la droite » dit Bruno Retailleau. Celui qui ne cache pas ses ambitions présidentielles, pense que « ce genre de personnage joue d’abord sa propre carte ». « Sans doute qu’il se rêve un grand avenir. Mais son comportement ne peut que miner son autorité » ajoute Bruno Retailleau. « Quand vous êtes élu local, vous voulez devenir parlementaire. Quand vous êtes parlementaire, vous voulez être ministre. Quand vous êtes ministre, vous voulez devenir premier ministre et ainsi de suite… Je pense qu’il ne s’interdit rien » confirme Jérôme Bascher.

Le parcours ministériel de cet ancien de Science Po Lille rappelle un certain Nicolas Sarkozy, passé aussi par le Budget puis l’Intérieur. « Est-ce que Gérald l’a fait au hasard ? Non. Ses choix, il les a voulus. Il savait qu’il jouait son poids politique » souligne le sénateur de l’Oise. « Il a voulu le ministère de l’Intérieur à tout prix. Deux heures avant, il ne l’était pas » rappelle un sénateur, alors qu’on attendait Jean-Michel Blanquer à Beauvau.

Avec Darmanin, Macron « essaie de draguer à droite »

Il ne faut pas oublier que Gérald Darmanin a été directeur de campagne de Nicolas Sarkozy pour la primaire, pour le coup, perdue, de 2016. « C’est l’école sarkozyste » confirme un membre de LR. « Personne ne peut ressembler à quelqu’un d’autre. Tous ceux qui ont essayé de faire une imitation se sont trompés » avertit cependant François-Noël Buffet.

En réalité, s’il a été élevé à « bonne école », Gérald Darmanin n’est pas là pour faire du Sarkozy, mais tout simplement du Darmanin. « Voyant que le régalien ne marchait pas, le Président a compris qu’il fallait changer. S’occuper du régalien, c’est une opération séduction sur la droite » selon un sénateur LR. Le même, ajoute :

C’est une chance pour Emmanuel Macron d’avoir Darmanin car il est tout à fait à l’aise sur le thème sécuritaire. Emmanuel Macron élargit son spectre avec ça.

Le chef de l’Etat entretient ainsi le siphonnage de l’électorat de droite, déjà bien commencé, devenu certainement l’assurance de sa réélection. « Il a perdu une bonne partie de l’électorat social-libéral, donc il essaie de draguer à droite, en disant "je suis votre candidat". Ce qui n’est pas absurde » confirme Jérôme Bascher.

Si Xavier Bertrand est candidat en 2022, « ce sera l’enfer pour Darmanin »

Bien que Gérald Darmanin soit en partie affaibli par les polémiques, Emmanuel Macron ne peut en réalité se passer de son ministre de l’Intérieur, selon le sénateur de l’Oise :

Darmanin est nécessaire à Macron, même s’il peut agacer. Aujourd’hui, Macron est obligé de garder Darmanin et Le Maire. Sans Darmanin, le dispositif de Macron s’écroule. Il n’y a plus rien. S’il perd sa jambe droite, il est par terre.

« Son vrai problème, c’est qu’il n’a personne de vraiment compétent. La macronie, c’est Macron. Il n’a pas de fusible et ce n’est pas Jean Castex qui joue ce rôle » ajoute Jérôme Bascher. Force et faiblesse d’Emmanuel Macron, Gérald Darmanin illustrerait un « en même temps » risqué pour le chef de l’Etat. Il a besoin de ce ministre fonceur, quitte à y perdre quelques plumes.

Pour le ministre de l’Intérieur, la présidentielle pourrait aussi être un moment singulier. Avant de devenir une prise de guerre sarkozyste, Gérald Darmanin a d’abord été proche de Xavier Bertrand. Si le président des Hauts-de-France se lance en 2022, comme il l’ambitionne, la partie pourrait s’avérer complexe. « Ce qui est rigolo, c’est que Gérald reste très proche de Xavier Bertrand. Il sait où est son camp de base, au cas où… » glisse Jérôme Bascher. Et si l’ancien ministre du Travail est candidat, « ce sera l’enfer pour lui » prédit l’élu de l’Oise. A moins que le ministre de l’Intérieur sache se vendre au plus offrant, ou plutôt se tourner du bon côté, le moment venu. C’est ce qu’il a fait en 2017. En politique, « tout devient possible », comme disait l’autre.

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