Gestion de l’eau : l’application des mesures annoncées ne va pas couler de source, selon les sénateurs

Gestion de l’eau : l’application des mesures annoncées ne va pas couler de source, selon les sénateurs

500 millions d’euros annuels pour les agences de l’eau, mise en place d’une tarification progressive de l’eau, conditionner la construction de mega bassines à une réduction de l’usage des pesticides… Le plan de gestion de l’eau présenté par Emmanuel Macron laisse sceptiques les sénateurs quant à l’application des mesures annoncées.
Simon Barbarit

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Chose suffisamment rare pour être relevé dans le contexte actuel, certaines annonces d’Emmanuel Macron de son « plan eau » « sonnent doux aux oreilles » du sénateur écologiste Daniel Breuiller. « Plusieurs mesures annoncées sont celles que nous proposons depuis des années. L’enjeu va être désormais de définir leur priorisation afin d’éviter les conflits d’usage de l’eau », observe l’élu membre de la mission d’information sur la gestion de l’eau lancée par le groupe socialiste du Sénat.

Sobriété pour tous : un objectif ancien

A Savine-le-Lac dans les Hautes-Alpes, ce jeudi, Emmanuel Macron a présenté 53 mesures d’un plan ambitieux consistant à atteindre -10 % d'eau prélevée d’ici 2030 pour les secteurs de « l’énergie, l’industrie, le tourisme, les loisirs, l’agriculture ».

« Rien de nouveau sous le soleil puisque les assises de l’eau en 2018 fixaient déjà cet objectif », tempère le sénateur LR, Rémy Pointereau, président de ladite mission d’information sur la gestion de l’eau qui remettra son rapport cet été.

Gros consommateur d’eau, le secteur nucléaire bénéficiera d’un plan d’investissement pour adapter les centrales au réchauffement climatique. La production d’électricité est à l’origine de 51 % des prélèvements d’eau en France, et de 12 % de la consommation », a rappelé Emmanuel Macron. Principalement visés les systèmes de refroidissement des centrales devront fonctionner « beaucoup plus en circuit fermé ». Comme le soulignait un récent rapport de la délégation à la prospective du Sénat, les centrales nucléaires en circuit ouvert prélèvent vingt fois plus que les centrales en circuit fermé. Et la part des réacteurs en circuit ouvert et en circuit fermé dans le parc installé en France est quasi équivalente.

180 millions pour les fuites d’eau : « On est loin du compte »

Il est d’ailleurs notable que certaines des annonces présidentielles reprennent les préconisations de ce rapport. Comme le rehaussement des moyens des agences de l’eau, à hauteur de 475 millions d’euros par an, dont 180 millions prévus pour résorber « en urgence » les fuites d’eau en France dans les points les plus sensibles. La délégation du Sénat relevait que des économies d’eau pouvaient résulter de la réduction des fuites des réseaux d’eau potable (1 milliard de m3 par an soit 20 % de l’eau distribuée). Mais le montant annoncé fait tiquer les membres de la mission sénatoriale sur la gestion de l’eau. « 180 millions, on est loin du compte. D’après nos auditions, il faudra 1 milliard pour résorber les réseaux fuyards », relève Rémy Pointereau

Comme le préconisaient les élus de la chambre haute, Emmanuel Macron entend axer les efforts de sobriété en développant « la réutilisation des eaux usées » actuellement pratiquée pour moins de 1 % des volumes en France contre 8 % en Italie, 14 % en Espagne et 85 % en Israël. L’objectif est d’atteindre 10 % de réutilisation de ses eaux usées pour l’irrigation agricole ou le nettoyage des voiries. « 1.000 projets en cinq ans » seront lancés « pour recycler et réutiliser l’eau […] Nous voulons réutiliser 300 millions de mètres cubes, soit 3 piscines olympiques par commune […] ou 3.500 bouteilles d’eau par Français et par an », a déclaré Emmanuel Macron.

La sénatrice communiste, Cécile Cukierman qui était co-rapporteure de la mission de la délégation sénatoriale, note un manque dans ce plan. « La grande question, c’est la gouvernance. Alors que l’eau est amenée à se raréfier à qui va-t-on demander des efforts ? Comment faire que l’accès à l’eau ne soit pas un facteur d’exclusion social ? »

« On ne peut pas demander à tous les usagers de baisser leur consommation de 10 % de la même manière. Ça doit être une moyenne négociée à l’échelle des bassins-versants, avec l’appui de contrats d’objectifs partagés par secteur et par filière. Ça existe déjà avec les « projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) », rappelle le sénateur Hervé Gillé, sénateur socialiste, rapporteur de la mission d’information.

Tarification progressive de l’eau : « L’application sera loin d’être simple »

Sur ce point, le Président a réaffirmé l’importance de cette gestion au niveau local et annonce une « tarification progressive et responsable » de l’eau, sur le modèle de ce qui est déjà expérimenté dans certaines communes depuis 2017. « Les premiers mètres cubes sont facturés à un prix modeste, proche du prix coûtant » et « ensuite au-delà d’un certain niveau, le prix du mètre cube sera plus élevé », a-t-il expliqué.

Hervé Gillé met en avant pour ce faire la nécessité d’une nouvelle approche législative et réglementaire. « La tarification va devoir s’ajuster en fonction de la nature des usages, du nombre de personnes dans le foyer… La tarification différenciée devra prendre en compte aussi les entreprises très consommatrices en eau et celles qui le sont moins. Au-delà de la déclaration, l’application sera loin d’être simple », prévient-il.

Les agriculteurs dispensés d’un « effort supplémentaire » ?

D’autant que le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau a indiqué cet après-midi devant la FNSEA que les agriculteurs seraient dispensés d’un « effort supplémentaire ». Au même moment, Emmanuel Macron louait la nécessité de réinventer un modèle agricole. « Sans doute, on aura besoin de plus de surfaces à irriguer » donc, à prélèvements constants, il faudra consommer moins d’eau à l’hectare », a-t-il brièvement esquissé. Comme le précise le rapport de la délégation sénatoriale à la prospective, seules 20 % des exploitations agricoles sont équipées d’un système d’irrigation et 60 % des surfaces irriguées concernent des productions de maïs.

Concernant la construction polémique de mega-bassines, le chef de l’Etat a conditionné les futurs ouvrages à des « changements de pratiques significatifs », à commencer par des économies d’eau et une réduction de l’usage des pesticides par les agriculteurs. « Si la gestion doit se faire au niveau local, les priorités doivent se faire au niveau national. Je suis inquiet des déclarations du ministre. Le réchauffement climatique oblige à changer de modèle d’agriculture. Ceux qui veulent maintenir les aberrations écologiques, comme des mega bassines qui prélèvent l’eau dans les nappes phréatiques ne défendent pas l’agriculture, ils la mettent en grande difficulté », alerte Daniel Breuiller qui plaide la mise en place d’un ministère de l’eau et l’organisation d’une convention citoyenne afin d’organiser une réflexion démocratique sur le partage de l’eau.

« Beaucoup d’agriculteurs sont prêts à évoluer et à faire des efforts. Mais il faut les accompagner pour acquérir le matériel comme des systèmes d’irrigation plus résilients comme des systèmes de goutte à goutte », explique Hervé Gillé.

En attendant l’application de ces mesures, Rémy Pointereau assure que la mission du Sénat « fera des propositions pour affiner les choses ». « On va devoir faire de la haute couture », reconnait-il.

 

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