Grèves dans les raffineries : la mobilisation pourrait-elle faire tache d’huile ?

Grèves dans les raffineries : la mobilisation pourrait-elle faire tache d’huile ?

Alors que plusieurs organisations syndicales appellent à une journée de mobilisation interprofessionnelle mardi 18 octobre prochain, le climat social apparaît particulièrement tendu. Les grèves dans les raffineries se propageront-elles à d’autres secteurs, comme semble l’espérer la CGT ? La mobilisation pourrait-elle être politisée par LFI et la Nupes ? Et quelles sont les dynamiques qui se jouent au sein de la sphère syndicale ?
Louis Mollier-Sabet

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Il flotte comme une odeur de soufre autour des raffineries françaises, mais elle ne vient pourtant pas du dioxyde que les torchères rejettent parfois. Non, elle vient plutôt du climat social explosif qui y règne après plus de trois semaines de grèves dans six raffineries sur les sept métropolitaines que compte l’hexagone, dont cinq encore en cours depuis la fin de la grève à la Fos-sur-Mer jeudi à 13h. Un mouvement social dont les conséquences dans les stations-service ont largement été commentées, les différentes caméras des chaînes d’information remontant allégrement les files d’automobilistes attendant pour faire le plein, en région parisienne notamment. La droite, par la voix de Bruno Retailleau notamment, dénonce une « prise d’otages. »

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« C’est la première fois depuis un certain temps que l’on parle réellement d’augmentation de salaires »

Mais au-delà de la question de l’impact de la grève sur le quotidien des Français, ce mouvement de grève peut évoquer un sentiment de déjà-vu pour les connaisseurs de l’histoire sociale française. « On est dans des formes de mobilisation tout à fait traditionnelles », analyse ainsi Sylvain Boulouque, historien spécialiste des mouvements sociaux. Avec « appel des centrales syndicales à la mobilisation », ce mouvement de revendications de hausses de salaires en pleine spirale inflationniste à cause de chocs énergétiques, rappelle les plus grandes heures des mouvements sociaux des Trente Glorieuses. « L’objectif, c’est clairement des négociations pour des augmentations de salaires. Ce sont des grèves offensives et plus défensives. C’est la première fois depuis un certain temps que l’on parle réellement d’augmentation de salaires », explique Sylvain Boulouque. En clair, les grèves actuelles sont « offensives », puisque ce sont des mouvements de revendication d’un meilleur partage de la valeur produite par les entreprises, et pas simplement des réactions « défensives » à des licenciements ou des fermetures d’usine.

Si le contexte économique et social peut rappeler une certaine configuration historique, le retour à l’âge d’or du syndicalisme soixante-huitard est encore très loin. Les grandes centrales syndicales sont loin d’avoir retrouvé leur poids d’antan, puisque de plus de 25 % en 1950, puis entre 15 et 20 % dans les années 1960 et 1970, la part de salariés syndiqués stagne depuis les années 1990 en dessous des 10 %, pour un taux qui atteint 10,3 % en 2019 selon la Dares. Sylvain Boulouque identifie tout de même quelques nouveautés dans le mouvement de grève actuel : « Par rapport aux formes de mobilisation traditionnelles, il y a peut-être plus de formes d’action directe, au sens historique du terme. Il y a des blocages, des actions coups de poing et des mobilisations un peu plus originales. »

« Le problème des mouvements sociaux, c’est qu’on ne peut pas savoir à l’avance si ça va marcher ou pas »

Au départ, tout a donc commencé par cette revendication « offensive » des salariés de Total Energies et d’Esso. Mais les réquisitions d’employés agitées par le gouvernement pour assurer un service minimum dans les raffineries, ont propagé le mouvement. À d’autres raffineries, d’abord, puis au secteur de l’énergie ensuite, avec notamment une grève lancée à l’appel de FO et de la CGT en soutien aux salariés des raffineries, qui est venue perturber la maintenance de cinq réacteurs nucléaires, dont le redémarrage sera crucial pour passer l’hiver. Ce jeudi, la CGT, FO, Solidaires et FSU ont finalement appelé à une journée de grève interprofessionnelle mardi 18 octobre, rejoints par les organisations de jeunesse (UNEF, FIDL, MNL et Vie Lycéenne).

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Cette forme de propagation d’un conflit social des secteurs stratégiques et les plus syndicalisés vers une mobilisation plus large – la fameuse « grève générale » – est aussi un schéma historique bien connu. « Le problème des mouvements sociaux, c’est qu’on ne peut pas savoir à l’avance si ça va marcher ou pas », explique Sylvain Boulouque. L’historien du syndicalisme rappelle ainsi que « des quantités d’appels à la grève n’ont jamais abouti à une mobilisation », tandis que « des grèves sporadiques et ponctuelles ont pu conduire à une véritable explosion sociale. » C’est un schéma qui a présidé à l’émergence du Front Populaire, avec des grèves spontanées de mai-juin 1936 qui ont essaimé et poussé une coalition électorale pas si révolutionnaire sur sa gauche, ou à la propagation du mai 1968 étudiant au mai 1968 ouvrier, notamment.

« La politisation du mouvement social, c’est seulement dans le sens où des partis politiques veulent l’utiliser »

À chaque fois, ces mouvements sociaux ont débouché sur des négociations et des accords salariaux, dits de Matignon (1936) ou Grenelle (1968), mais n’ont pas toujours eu de traduction politique. À ce titre, le Front Populaire est presque une anomalie dans l’histoire politique et sociale française, puisque la politisation des mouvements sociaux est une sorte de ligne rouge pour les syndicats. Or, dimanche 16 octobre, plusieurs organisations politiques, en tête desquelles LFI et la Nupes, et associations appellent à « marcher contre la vie chère. » Le signe d’une convergence des revendications, au moment où le budget 2023 est discuté à l’Assemblée nationale ? « La politisation du mouvement social, c’est seulement dans le sens où des partis politiques veulent l’utiliser », explique Sylvain Boulouque. L’historien du syndicalisme rappelle l’importance du principe « d’indépendance du syndicalisme » : « Les centrales syndicales n’appellent pas à aller manifester ce dimanche, ce sont deux choses distinctes avec le mouvement de grèves. LFI aimerait bien récupérer cette mobilisation, mais les syndicats n’ont pas intérêt à ce que les deux se mélangent pour garder leur marge de négociation. Des syndicalistes iront, bien sûr, mais au nom de leur engagement politique, pas de leurs centrales syndicales. »

Il y a un donc climat commun aux revendications politiques et syndicales actuelles, mais aussi une véritable autonomie des centrales syndicales, qui sont soumises à leurs propres logiques. « En interne, à la CGT, il y a des logiques différentes. La fédération nationale des industries chimiques (FNIC), la tendance dure de Laurent Brun à la CGT-cheminots, l’Union Départementale des Bouches-du-Rhône, sont par exemple en désaccord avec la direction confédérale, qu’ils trouvent trop réformiste, parce que la direction de Philippe Martinez est sur une ligne de négociations régulières », explique l’historien des mouvements sociaux. Poussé par sa base, Philippe Martinez « réadapte sa position », d’après Sylvain Boulouque, un peu comme… Laurent Berger : « Il y a eu exactement le même cas de figure lors du Congrès de la CFDT où Berger a fait un discours beaucoup plus revendicatif devant sa base. » Pas sûr que le secrétaire général de la CGT, qui quittera ses fonctions au prochain Congrès en mars 2023, apprécierait la comparaison. « Ce n’est pas la convergence des luttes qui va faire l’augmentation des salaires », a en effet déclaré le secrétaire général de la CFDT ce jeudi 13 octobre, alors que son homologue de la CGT appelait au même moment, dans une matinale concurrente, à « amplifier » ces mouvements de grève.

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