Haine sur Internet : l’exécutif veut mettre les plateformes sous pression

Haine sur Internet : l’exécutif veut mettre les plateformes sous pression

Un délai de 24 heures imposé aux plateformes pour retirer un contenu haineux, mise en place d’une procédure uniformisée pour les signalements ou encore l’accélération de la levée de l’anonymat pour les auteurs d’injures racistes… Une proposition de loi en ce sens devrait voir le jour dans les prochaines semaines mais se heurte déjà à des limites juridiques et techniques.
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Comme il l’avait esquissé en 2018, mercredi soir devant le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), Emmanuel Macron a promis « des dispositions claires imposant les retraits, dans les meilleurs délais, de tous les contenus appelant à la haine ». Il a affirmé, par ailleurs, vouloir mettre en œuvre « toutes les techniques permettant de repérer l’identité » de leurs auteurs. (…) Enfin, il a appelé « à la responsabilité, y compris juridiques, les plateformes ».

Plus précisément, le chef de l’État a annoncé le dépôt, « au mois de mai », d’une proposition de loi destinée à freiner les propos racistes et antisémites sur le Net et renforcer « la pression sur les opérateurs ».

Un rapport parlementaire contre la haine sur Internet

Le futur texte trouve son origine dans un rapport parlementaire remis au Premier ministre, le 20 septembre dernier. Intitulé « renforcer la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet », il est corédigé par la députée LREM, Laetitia Avia, le vice-président du CRIF, Gil Taïeb et l’écrivain Karim Amellal,

On y trouve des « solutions » présentées comme « opérationnelles, concrètes, immédiatement applicables, parfaitement conformes à la protection de la liberté d’expression ». Les plateformes (Twitter, Facebook, snatpchat…) se verraient imposer un délai de 24 heures pour retirer des « contenus de haine manifeste ». En cas de manquement, les plateformes, en tant que personnes morales, se verraient infliger une sanction potentielle de 37,5 millions.

Afin d’aider les internautes à signaler les contenus, les auteurs évoquent « une procédure de signalement uniformisée » à toutes les plateformes et « clairement identifiable par un logo standardisé ». Le rapport ambitionne également de « créer une procédure simple et rapide, sous le contrôle du juge, afin de bloquer des sites manifestement racistes et antisémites, sur le modèle de la procédure appliquée pour les jeux en ligne illégaux ».

Pour le sénateur LR, François-Noël Buffet, rapporteur du projet de loi de programmation pour la justice, « rien ne serait pire que de faire un texte qui affiche de grandes intentions mais qui au bout du compte, serait totalement inefficace ». « C’est tout le travail d’expertise juridique mais surtout technique qui va devoir être fait ».

« Facebook ne dispose pas de garanties d’indépendance et d’impartialité pour juger ce qui est haineux ou non »

En effet, les propositions contenues dans le rapport pourraient, à première vue, conduire à des effets indésirables. « Seules les grandes plateformes ont les moyens de se munir d’algorithmes permettant ce filtrage généralisé et ainsi retirer des contenus dans un délai court. Une telle loi renforcerait l’hégémonie de Facebook, Twitter… Mais surtout, Facebook ne dispose pas de garanties d’indépendance et d’impartialité pour juger ce qui est haineux ou non. Il ne peut se substituer à un magistrat dont c’est le rôle » rappelle Alexis Fitzjean O Cobhthaigh avocat au barreau de Paris et membre de la Quadrature du Net. Dans une interview au Monde, la députée Laetitia Avia affirme également sa volonté d’accélérer la levée de l’anonymat pour les auteurs d’injures racistes ou antisémites sur le web. « Pour lever l’anonymat sur le Net, la France contraint les hébergeurs de contenus à conserver les données de connexions pendant un an. Or, la jurisprudence de la Cour de Justice européenne considère que ce n’est pas conforme au droit européen » observe Alexis Fitzjean O Cobhthaigh.

De plus, comme le soulignait le mois dernier un collectif de féministes contre le cyber harcèlement, « interdire l’anonymat serait contre-productif et n’aurait pour effet que de limiter encore un peu plus la liberté d’expression des groupes opprimés, faisant ainsi d’internet un espace encore plus inégalitaire et donc encore plus violent ».

« Dans l’expression de la haine, vous trouverez toujours un moyen de la diffuser »

Fabrice Epelboin, professeur à Sciences po, spécialiste des médias sociaux, note, pour sa part, « une quantité de techniques de détournement d’un système de reporting citoyen. Dans l’expression de la haine, vous trouverez toujours un moyen de la diffuser pour que ceux qui la partagent, l’entendent. Dans le sens inverse, on peut également imaginer que des internautes utilisent de manière coordonnée cette nouvelle procédure de signalement pour faire retirer des contenus qui ne seront pas forcément haineux ».

Pour l'avocat Thierry Vallat, spécialisé en droit numérique, « l’arsenal législatif et judiciaire est suffisant pour lutter contre la haine sur Internet, après il faut avoir les moyens de nos ambitions. Par exemple, en matière de diffamation les délais pour un jugement peuvent aller jusqu’à trois ans ».

Dans sa recommandation n°14, le rapport parlementaire préconise la création « de chambres pénales spécialisées dans le traitement des infractions (actes et propos) relatives au racisme, à la discrimination, à l'antisémitisme, en ligne et hors ligne ».

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