Immigration : le référendum voulu par Marine Le Pen est-il constitutionnel ?
Marine Le Pen a présenté mardi les grandes lignes de son référendum pour lutter contre l’immigration. Une batterie de mesures extrêmement restrictives dont elle entend soumettre l’approbation au consentement des Français en cas d’accès au pouvoir.

Immigration : le référendum voulu par Marine Le Pen est-il constitutionnel ?

Marine Le Pen a présenté mardi les grandes lignes de son référendum pour lutter contre l’immigration. Une batterie de mesures extrêmement restrictives dont elle entend soumettre l’approbation au consentement des Français en cas d’accès au pouvoir.
Romain David

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« Ce que Marine Le Pen propose, c’est une sorte de coup d’État ! » Dominique Rousseau, juriste et professeur de droit constitutionnel à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, ne mâche pas ses mots auprès de Public Sénat à l’évocation du projet de loi référendaire sur l’immigration, présenté mardi par la candidate du Rassemblement national. À ses yeux : le référendum que la députée du Pas-de-Calais compte proposer « clé en main » aux Français si elle vient à accéder à l’investiture suprême implique une remise en cause des principes fondateurs de notre Constitution. « Pour faire passer ces propositions, il faudrait sortir de l’État de droit, de la démocratie », estime ce spécialiste.

Marine Le Pen a énuméré en conférence de presse une avalanche de mesures, directement puisées dans le corpus idéologique du parti fondé par son père, et qui doivent lui permettre de reprendre la main sur l‘immigration, l’un de ses thèmes favoris que lui dispute désormais Éric Zemmour. Dans un dernier sondage Harris Interactive pour Challenges, le polémiste - qui n’a pas encore officialisé sa candidature à l’élection présidentielle - n’est plus qu’à quelques encablures (13 % des intentions de vote) de la présidente du Rassemblement national (testée à 16 %). Manière aussi de donner un coup d’accélérateur à une campagne qui semble piétiner depuis la rentrée.

Marine Le Pen entend donc « refondre l’ensemble du droit applicable aux étrangers », ce qui implique une modification des premiers articles de la Constitution, en vue notamment d’y inscrire la « maîtrise » de l’immigration. Pêle-mêle, son projet prévoit : l’interdiction des régularisations, la mise en place d’une « priorité nationale » pour l’accès au logement et à l’emploi, l’expulsion des étrangers délinquants, la fin du regroupement familial, des prestations sociales réservées aux seules familles françaises ou encore des sanctions pénales à l’encontre de ceux qui se rendront complices d’immigration illégale. « Un projet de loi Citoyenneté-identité-immigration » qu’elle souhaite soumettre à l’approbation des Français, à travers une simple question : « Approuvez-vous le projet de loi C2i qui présentera un plan complet de maîtrise de l’immigration ? ».

L’article 11 de la Constitution

Pour ce faire, la candidate compte s’appuyer sur l’article 11 de la Constitution, qui prévoit le recours au référendum, mais en définit également les champs d’application. À savoir : « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent ». Premier couac pour Dominique Rousseau : « Même si l’on fait l’interprétation la plus large possible de ces trois mots – économique, social et environnemental – on ne peut pas y faire entrer la priorité nationale et l’immigration. Ce sont des éléments qui touchent aux libertés et au principe de fraternité sur l’accueil des étrangers. »

En son temps, Charles de Gaulle avait bien réussi à proposer aux Français deux réformes constitutionnelles en s’appuyant sur l’article 11 : en 1962 avec la mise en place du suffrage universel et en 1969 avec la régionalisation (finalement rejetée). « Ce qui a soulevé un tollé politique et juridique considérable », rappelle Didier Maus, le président de l’Association française de droit constitutionnel. « Après coup, le Conseil d’État a estimé qu’il était possible d’avoir recours à l’article 11 pour des réformes législatives, mais pas constitutionnelles ». Marine Le Pen ne pourra pas l’utiliser, assure Dominique Rousseau, « car son projet de loi rentre bien dans le domaine du droit fondamental ».

Un référendum sur le référendum

« Impossible n’est pas français », a balayé l’intéressée mardi, face aux interrogations soulevées par la faisabilité de son projet. Elle pourrait au préalable proposer une modification de l’article 11, c’est-à-dire un « référendum sur le référendum », via l’article 89 qui organise les réformes constitutionnelles. Cette hypothèse a connu un précédent, avorté néanmoins. En 1984, l’opposition réclame à François Mitterrand un référendum sur l’école privée. Le Président objecte que l’article 11 ne permet de lancer une telle consultation. Le socialiste propose donc un premier référendum pour le faire modifier, de manière à y inclure les projets de loi relatifs aux libertés publiques. Echaudé par le bras de fer qui l’avait déjà opposé à Charles de Gaulle en 1962 et 1969, le Sénat enterre le projet de révision constitutionnelle.

Car avant d’être soumis aux Français, le texte d’un référendum constitutionnel doit être adopté dans les mêmes termes par les deux chambres du Parlement. Une difficulté de taille pour Marine Le Pen, dans la mesure où la majorité de droite républicaine au Sénat sera toujours en place après l’élection présidentielle.

Le mythe du « bouclier constitutionnel » ?

« Et même si elle parvient à franchir ces différents obstacles, il y aura une intervention du Conseil constitutionnel », relève encore Dominique Rousseau. Sans compter les réactions de la Cour européenne de justice et de la Convention européenne des droits de l’homme. Sur ce point, Marine Le Pen pense avoir trouvé la martingale, en invoquant un « bouclier constitutionnel » qui doit permettre à la France d’affirmer la suprématie de sa loi sur les traités internationaux. « Tout texte international, ou disposition de ce texte qui sera contraire à la Constitution restera inappliqué », a-t-elle défendu, en évoquant le modèle allemand. Une façon de s’émanciper de l’influence juridique européenne, sans avoir à sortir de l’UE, un cheval de bataille auquel la candidate a renoncé en avril 2019. « Si on ne sort pas de l’UE et si on n’applique pas les traités, on s’expose à des mesures de rétorsions », avertit Didier Maus.

En réalité, comme le rappelle un article de LCI, le prétendu bouclier constitutionnel allemand fait référence à un arrêté pris en 1974, et qui estimait que la loi fondamentale devait prévaloir en matière de garanties des droits fondamentaux sur les textes communautaires, alors jugés trop fragiles par la Cour constitutionnelle allemande. Toutefois, les effets de cet arrêté semblent être restés nuls. « C’était un peu une pétition de principe », résume Didier Maus. En mai 2020, la Cour constitutionnelle, saisie par des eurosceptiques, a réclamé des comptes à la BCE sur le rachat de dette, estimant que cette mesure risquait de saper des pans entiers de l’économie. Un an plus tard, l’Allemagne a été mise en demeure par Bruxelles pour… « violation des principes fondamentaux du droit de l’Union européenne. »

Une rétroactivité « complètement contraire à la Constitution »

Autre élément qui interroge dans le « projet de loi » présenté par Marine Le Pen : le caractère rétroactif de certaines mesures, notamment l’expulsion des étrangers délinquants, puisqu’elle entend « rendre applicables les nouvelles dispositions relatives à l’éloignement en se fondant sur des actes commis antérieurement à cette promulgation ». Une disposition qui fait bondir Dominique Rousseau. « C’est complètement contraire à la Constitution », s’agace le juriste. « La non-rétroactivité est un grand principe, il est impensable de punir des personnes pour des délits qui ne l’étaient pas lorsqu’ils ont été commis ». Didier Maus, en revanche, se veut plus nuancé. « La rétroactivité n’est interdite qu’en matière pénale. Elle est possible dans d’autres domaines, mais avec beaucoup de précautions ». Ce constitutionnaliste attend toutefois que la candidate « sorte du flou » et présente par le menu l’ensemble des dispositions juridiques sur lesquelles elle entend s’appuyer.

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