Impact économique du coronavirus : une plongée dans l’inconnu

Impact économique du coronavirus : une plongée dans l’inconnu

L’Insee a livré sa première estimation de la perte d’activité en France liée à la crise sanitaire. La récession semble inévitable mais difficile de mesurer son ampleur, faute de données précises et de points de comparaison. Le président de la commission des Finances du Sénat s’inquiète de cette dégradation.
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Confrontée à la crise sanitaire majeure du Covid-19 qui s’aggrave de jour en jour, la France s’apprête, sur un autre front, à connaître des secousses économiques dont on commence à peine à mesurer les effets. Dans une enquête de conjoncture mensuelle, publiée ce 26 mars, l’Insee a livré une première estimation de la perte d’activité liée au coronavirus sur le territoire français. L’institut national de la statistique et des études économiques évalue à 35% la perte d’activité (par rapport à une période normale) sur l’ensemble des secteurs. Le repli serait identique pour la consommation des ménages, là aussi sous l’effet du confinement.

Pour la chute d’activité, l’agrégat des remontées qui lui sont parvenues n’est que partiel. « Elles ne suffisent pas à prendre la mesure de la chute d’activité », a nuancé son directeur général. En effet, beaucoup de réponses des entreprises ont été transmises avant le début du confinement (17 mars). Autrement dit, la donnée est indicative et provisoire. « Le creux n’est sans doute pas encore atteint », a précisé l’Insee, qui communiquera de nouveaux chiffres dans deux semaines.

Un mois de confinement : trois points de PIB en moins

Le recul est plus ou moins marqué suivant les branches d’activité. C’est dans l’industrie (hors agroalimentaire) et dans la construction que l’activité a littéralement plongé pendant la dernière semaine de mars : respectivement -52% et -89%, par rapport à une semaine normale. Dans les services marchands – qui pèsent le plus lourd dans l’économie – la perte d’activité est évaluée pour le moment à -36%. « On est au début de la crise, et elle touche de manière uniforme l’intégralité des secteurs d’activité. Personne n’est épargné », constate Christopher Dembik, responsable de la recherche macroéconomique de Saxo Bank.

Au-delà de cette photographie, immédiate, l’Institut donne surtout une première idée des conséquences d’un mois de confinement sur le PIB : 12 points de moins sur un trimestre. Sur l’ensemble de l’année 2020, la dégradation atteindrait 3 points. Un mois et demi de confinement, comme l’envisage à ce stade le Conseil scientifique, signifierait un recul de 4,5 points du PIB.

Dans le projet de loi de finances rectificative débattu il y a tout juste une semaine au Parlement, le nouveau budget de l’État avait été bâti sur une prévision de croissance de -1% (contre +1,3% dans la loi de finances initiale de fin 2019). L’hypothèse était déjà jugée caduque pour de nombreux analystes et parlementaires. À titre de comparaison, l’Allemagne table désormais sur une croissance de -5%.

La note de l’Insee a donc été accueillie « sans surprise » par le président de la commission des Finances du Sénat. « Nous avions déjà beaucoup de clignotants et un état d’esprit de veille sur ces questions depuis un moment », explique le sénateur PS Vincent Éblé. « La situation est très très préoccupante. »

Un recul sur un trimestre qui n’aurait pas d’équivalent dans la France d’après-guerre

Le scénario gouvernemental d’une croissance à -1% semble loin. En y ajoutant l’effet du confinement, le chiffre de la croissance française en 2020 pourrait surpasser le recul de -2,9% atteint pendant la crise de 2009. Un niveau élevé qui faisait déjà figure de triste record dans la France d’après-guerre. Un recul du PIB de 12% sur un trimestre, sous l’effet du confinement, aurait peu de comparaisons possibles, comme le soulignait un rapport du Sénat, publié le 20 mars. Le record trimestriel était détenu par les évènements de Mai 68, qui ont provoqué un recul du PIB de 5,3% sur un trimestre. Mais à l’époque, ce recul avait été plus que rattrapé au trimestre suivant, grâce à un rebond du PIB de 8%, probablement en partie sous l’effet de fortes revalorisations salariales (hausse de 35% du Smig).

Toute l’interrogation se porte donc sur le rebond espéré pour la deuxième moitié de 2020. La commission des Finances du Sénat a procédé à des simulations : elle évalue le recul du PIB sur un an entre 4,2% en 6,3%, selon l’ampleur du rattrapage. Dans le projet de loi de finances rectificative, adoptée le 20 mars, Bercy s’était montré optimiste. Certains économistes le sont moins, pariant sur la prudence des ménages face au risque de montée du chômage. « Cette perte de richesse ne sera pas compensée. Vous n’allez pas aller deux fois plus au restaurant, une fois le confinement terminé », anticipe Christopher Dembik, l’économiste de Saxo Bank. « La demande sera assez atone jusqu’à la fin de l’année. La croyance d’un retour à une activité normale est improbable ». L’Insee a également mis en lumière cette incertitude sur la confiance.

Les écarts de prévisions entre les différents acteurs économiques montrent bien à quel point l’anticipation s’annonce difficile. La banque d’affaires américaine Goldman Sachs envisage même une chute de 7,4% du PIB français en 2020 (contre 9% pour l’ensemble de la zone euro). L’incertitude sur la durée du confinement, et ses départs différés de cette stratégie à plusieurs endroits du globe, l’arrêt massif et planétaire de secteurs entiers, font de la crise actuelle un ovni. « C’est une crise unique. La comparer à 1929, ça n’a pas de sens du tout. On est sur une crise qui affecte 100% des entreprises, dont il est extrêmement difficile de connaître intégralement les effets », nous explique Christopher Dembik.

Un déficit public qui pourrait dépasser les 7% du PIB ?

Par ricochet, la dégradation des comptes publics devrait logiquement s’aggraver, du fait de la baisse des rentrées fiscales et de la hausse des dépenses avec les mesures de soutien et de relance. Annoncé à 2,2% du PIB en loi de finance initiale, le déficit public est attendu à 3,9% selon le projet de loi finances rectificative, qui prévoit notamment des mesures de soutien immédiates aux petites entreprises. Chaque point de croissance en moins se traduira par un 0,6 point supplémentaire au ratio de déficit. « On entre en terre inconnue. Je ne serais pas surpris que le déficit dépasse les 7 ou 8% du PIB », nous indique un bon connaisseur des finances publiques.

Le président de la commission des Finances du Sénat estime que l’arrivée d’un nouveau projet de loi de finances rectificative ne sera qu’une question de semaines, pour ajuster le budget de l’action publique. « La facture va être très lourde », s’attend Vincent Éblé pour les comptes sociaux. « Le coût du chômage partiel est évalué entre 2 et 2,5 milliards par semaine de confinement, dont les deux tiers seront supportés par l’État », précise-t-il.

« La seule orthodoxie budgétaire ne peut pas servir de boussole dans une période aussi perturbée », parie Vincent Éblé, qui s’attend à un creusement de la dette. « C’est du report de dépenses, c’est une façon de reporter et de rallonger la situation de tension financière. On ne peut pas durablement faire appel à la planche à billets et donc il faudra emprunter. » L’économiste Christopher Dembik constate que la France inspire toujours confiance sur le marché de la dette souveraine. « La France était plutôt en bonne santé avant la crise, ce qui permet d’être optimiste. » De quoi garder espoir ?

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