Incertitude sur la future coalition allemande : quels enjeux pour la France ?

Incertitude sur la future coalition allemande : quels enjeux pour la France ?

Les élections fédérales allemandes ont vu le SPD arriver en première place d’une courte tête devant la CDU (25,7 % contre 24,1 %). Avec le bon score des Verts et des Libéraux, on semble se diriger vers une coalition à trois partis, avec la CDU ou le SPD, qui excluent une « grande coalition » entre sociaux-démocrates et conservateurs. L’incertitude est grande et les négociations pourraient durer, voire ne pas aboutir. Un risque d’instabilité ou un bel exercice démocratique ? Quels enjeux pour la France dans ces tractations pour former une coalition ?
Louis Mollier-Sabet

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Une élection sans vainqueur. Pour des Français habitués à la sacro-sainte élection présidentielle consacrant le « monarque républicain », cela peut être assez déstabilisant. Ou rafraîchissant si l’on voit les choses comme Jean-Yves Leconte, sénateur socialiste membre de la commission des Affaires européennes : « En Allemagne, le système démocratique ne s’arrête pas au lendemain de l’élection. » Tous les observateurs sont unanimes, la phase de négociation dans laquelle entrent les responsables politiques allemands des quatre principaux partis, est tout aussi décisive que le vote de dimanche 26 septembre.

Une véritable interrogation subsiste sur la coalition qui arrivera à se dégager de résultats électoraux particulièrement dispersés, si une coalition finit par se dégager. « Il n’est pas exclu que tout cela ne se termine par rien, si aucun accord n’est trouvé au bout de trois mois » explique ainsi Guillaume Duval, ancien rédacteur en chef d’Alternatives économiques et auteur de Made in Germany. Le Modèle allemand au-delà des mythes. L’incertitude est forte, certes, mais elle n’est pas pour autant synonyme d’une instabilité chronique et préjudiciable pour la démocratie allemande, bien au contraire.

« L’instabilité des politiques publiques est finalement beaucoup plus forte en France »

Pour Jean-Yves Leconte, c’est « le prix à payer pour qu’une fois que le vote a eu lieu, la majorité des avis soient pris en compte pour établir une politique sur l’ensemble de la législature. » Le sénateur représentant les Français établis hors de France en veut pour preuve la comparaison avec le système français : « Quand il suffit de faire 25 % au 1er tour de la présidentielle, cela vous permet de rafler ensuite la majorité à l’Assemblée nationale et de décider de la politique de l’Etat pendant 5 ans, ce n’est pas bon sur le plan démocratique, même si c’est stable. » Même dans la majorité présidentielle, on reconnaît au système allemand une certaine « vertu » dans la « prudence », qu’un modéré comme Jean-Louis Bourlanges, président MoDem de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, « ne peut que reconnaître » : « Le mouvement de radicalité qui s’empare d’une partie de l’opinion française paraît assez étranger à l’opinion allemande. »

Pour Guillaume Duval, le système politique allemand est même plus stable que la Vè République, pourtant construite et pensée contre l’instabilité gouvernementale du « régime des partis » : « En France on peut avoir tous les pouvoirs en faisant 20 % au 1er tour de la présidentielle, puis on se fait jeter au bout de cinq ans et la majorité suivante passe deux ans à tout défaire. L’instabilité des politiques publiques est finalement beaucoup plus forte en France, justement parce qu’en Allemagne, on est obligés de s’entendre avec ceux qui ne sont pas d’accord pour gouverner. » Pour Jean-Yves Leconte, ce qui pourrait passer pour un facteur d’instabilité gouvernementale, est en fait ce qui permet une confiance bien supérieure dans les institutions : « Le système allemand permet de régler les conflits et de prendre en compte l’avis des uns et des autres, il n’y a pas de fatigue démocratique et on a même une baisse des extrêmes. »

« Avant chaque sommet européen, Angela Merkel va devant le Parlement expliquer les positions qu’elle va défendre »

La contrepartie, c’est que le chancelier ou la chancelière de la République fédérale est tributaire des alliances de sa majorité parlementaire et ne jouit donc pas des mêmes marges de manœuvre que le Président de la République, notamment dans la conduite de sa politique étrangère. Comme le rappelle Guillaume Duval, « avant chaque sommet européen, Angela Merkel va devant le Parlement expliquer les positions qu’elle va défendre. Pendant la crise de la zone euro, elle ne pouvait rien décider sans en référer à son Parlement et à ses alliés de coalition. » En l’occurrence, pour André Gattolin, sénateur RDPI (LREM) des Hauts-de-Seine, le « morcellement de la future coalition » peut « compliquer la prise de décision » et la dynamique européenne. En clair, il sera encore plus difficile d’entraîner l’Allemagne dans une « dynamique européenne » puisque tous les dossiers seront, avant d’être l’objet de négociations inter-étatiques, des sujets de « compromis mitigés » et de désaccords au sein de la coalition qui gouvernera l’Allemagne.

Emmanuel Macron peut apparaître comme le responsable fort de l’Europe

Le sénateur de la majorité présidentielle veut croire que cela pourrait à l’inverse « donner plus de respiration et de place à la France. » Il poursuit : « Avec la sortie des Britanniques, l’instabilité chronique en Italie, Emmanuel Macron peut apparaître comme le responsable fort de l’Europe. » Pour Guillaume Duval, l’équation n’est pas aussi simple, parce qu’une « chose très importante s’est passée hier soir » avec la disparition de la « perspective d’une coalition entre le SPD, les Verts et Die Linke. » Même si une telle coalition semblait déjà « peu réaliste » avant les élections, son spectre « mettait la pression sur les Libéraux. » Or le faible score de Die Linke a enterré ce scénario et donné un « levier formidable » aux Libéraux, un parti « qui prône toujours plus d’austérité et moins de social en Europe. »

« Si le ministre des Finances est un libéral, on entre probablement dans une période de crise »

L’ancien rédacteur en chef d’Alternatives économiques y voit même un obstacle important à la constitution d’une coalition « feu tricolore » qui rassemblerait les sociaux-démocrates du SPD, les Verts et les Libéraux du FDP et table ainsi sur une coalition « Jamaïque » entre la CDU, les Verts et le FDP : « Les Verts sont moins opposés au conservatisme, que les Libéraux le sont aux sociaux-démocrates. » En ce qui concerne la France, cet équilibre dans les forces politiques allemandes a des conséquences très directes sur les politiques européennes, et notamment sur la question budgétaire, dans un contexte de relance européenne. Sur tous les bords politiques on le concède, « la vigilance budgétaire du FDP pourrait compliquer les choses » pour Jean-Yves Leconte, sénateur socialiste. Dans la majorité présidentielle, on se félicite des résultats d’hier, mais Jean-Louis Bourlanges admet « s’inquiéter » d’un « refus de l’approfondissement de l’union économique ou de la solidarité fiscale. »

Pour Guillaume Duval, l’équation est encore plus claire, la réforme des règles budgétaires européennes est définitivement enterrée : « La réforme du pacte de stabilité européen ne tient plus la route. Emmanuel Macron ne doit plus se faire beaucoup d’illusions sur cette réforme, il souhaite probablement utiliser sa présidence de l’Union européenne dans des domaines comme la Défense. » Le Président de la République prendra en effet la présidence de l’Union européenne au 1er janvier prochain, date à laquelle la composition exacte du gouvernement allemand sera connue, ou alors de nouvelles élections auront eu lieu. Dans tous les cas, « si le ministre des Finances est un libéral, on entre dans une période extrêmement difficile en Europe, et probablement une période de crise. »

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