Carburant : l’effet d’aubaine à la frontière suisse relance le débat sur la remise de 30 centimes à la pompe

Carburant : l’effet d’aubaine à la frontière suisse relance le débat sur la remise de 30 centimes à la pompe

L’afflux de frontaliers suisses dans les stations-service françaises remet sur la table la question du ciblage de la remise de 30 centimes sur le litre de carburant qui entre en vigueur ce jeudi 1er septembre. Fruit d’un deal entre le groupe LR à l’Assemblée nationale et la majorité présidentielle, la mesure est toujours loin de faire l’unanimité au Sénat, même au sein de la majorité sénatoriale.
Louis Mollier-Sabet

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De l’essence à moins d’1,50 euro. Avec l’augmentation de l’aide de l’Etat de 18 à 30 centimes le litre jusqu’à la fin du mois d’octobre, et une remise supplémentaire de Total de 20 centimes par litre jusqu’au 1er novembre, les prix affichés dans les stations-service françaises sont – temporairement – revenus à leur niveau d’avant la reprise économie post-covid en 2021. Mais au-delà de l’accalmie pour les automobilistes français, le calibrage de cette « ristourne » sur le carburant interroge. La baisse directe par compensation de l’Etat et de Total des prix à la pompe permet certes de compenser l’envolée récente des prix des carburants, mais revient dans certains cas à subventionner une activité polluante, en dépensant de l’argent public pour des gens qui n’en ont pas réellement besoin.

C’est ce qu’ont notamment remarqué les sénateurs des départements frontaliers de la Suisse, où les automobilistes suisses font la queue dans les stations-service du Doubs, du Jura ou de la Savoie. Et pour cause, explique le sénateur centriste de la Savoie, Loïc Hervé : « Ce matin, dans une station Total à Annemasse, côté français, le litre de Sans Plomb est à 1,40 euro, alors qu’il est à 2,2 euros côté suisse. Il y a 80 centimes de différence, vous vous rendez compte ? Je peux comprendre qu’individuellement, les Suisses viennent en France dans ces conditions, mais dans ces 80 centimes, il y a 30 centimes d’argent public. » Dans le budget rectificatif voté cet été, 7,3 milliards d’euros avaient été affectés à l’ensemble de ces réductions sur les carburants, « un coût très important pour les finances publiques », rappelle le sénateur.

« C’est indécent ce qui est en train de se passer »

Un peu plus au nord, c’est le même constat. « Les files de voitures qu’il y a dans le Doubs, c’est impressionnant », confie Jean-François Longeot, sénateur centriste du département. « C’est un phénomène important, j’ai même été contacté par la télé et la radio suisse qui relayaient les inquiétudes des pompistes suisses, parce que plus personne ne vient chez eux, alors que vous ne pouvez plus accéder aux stations françaises », détaille-t-il. Au-delà des embouteillages à la station-service, la situation met en lumière un véritable problème de politique publique pour le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable : « Chaque fois qu’un Suisse qui gagne 10 ou 15 000 euros par mois fait son plein en France, on le subventionne à hauteur de 30 centimes le litre, c’est-à-dire autant que celui qui gagne le SMIC et qui fait 30 km par jour pour aller bosser. D’ailleurs, c’est pareil pour le Français qui a une grosse voiture et qui gagne beaucoup. C’est une mesure de pouvoir d’achat, mais partielle : pour certains c’est bien. » Sylvie Vermeillet, sénatrice centriste du Jura, abonde : « C’est indécent ce qui est en train de se passer : le salaire médian est de 1 800 euros nets en France, alors qu’en Suisse, c’est 5 800 euros. Je ne peux pas comprendre que l’on subventionne les pleins d’essence peu importe la nationalité et les revenus. »

En plus du caractère inégalitaire de la mesure, les sénateurs soulignent l’inefficacité du dispositif, tant au niveau budgétaire qu’écologique. « On ne peut pas annoncer la fin du ‘quoi qu’il en coûte’ et mettre en place des mesures pareilles », regrette Sylvie Vermeillet. Jean-François Longeot abonde : « Ce n’est pas un bon point, ni sur la politique environnementale, ni d’un point de vue budgétaire. En baissant les prix on encaisse moins de taxes, alors que derrière il va falloir injecter encore plus d’argent dans la transition écologique, puisqu’on n’incite pas à faire des économies d’énergie. » Finalement, Loïc Hervé y voit une mesure court-termiste : « Quand on aura englouti 7,3 milliards en quelques mois, qu’est-ce qu’on fait ? Non seulement cet argent ne va pas au bon endroit, parce que des gens – et moi le premier – vont en bénéficier alors qu’ils n’en ont pas besoin, mais surtout il va partir en fumée. Au 31 décembre on pourra dire qu’on a dépensé 7,3 milliards pour que les Français aient l’impression de payer l’essence. »

« On n’est pas obligés de répéter indéfiniment ce choix »

Malgré tout, la mesure a été votée cet été par la majorité sénatoriale, dans le cadre d’un « deal » entre LR et la majorité présidentielle relative à l’Assemblée nationale, malgré l’opposition de nombreux membres de la droite sénatoriale, comme le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson (LR) : « C’est sûr que ce n’était pas la meilleure des solutions, parce que, sans faire de distinction de nationalité, ceux qui en profitent le plus sont ceux qui consomment le plus, et donc pas les plus modestes. Cela nous honorerait tous d’essayer de mettre davantage de justice sociale dans le dispositif, mais après nous sommes dans un collectif, et il y a eu un accord entre la majorité relative à l’Assemblée et les députés LR, je m’incline devant ce choix. Simplement, on n’est pas obligés de le répéter indéfiniment. » Et de fait, il faudra se positionner lors de l’examen du budget pour 2023, puisqu’en l’état actuel, la remise de 30, puis 10 centimes à partir de novembre prendra fin le 31 décembre prochain.

« Nous remettrons le débat sur la table », prévient le sénateur centriste Loïc Hervé. Le groupe UC appartient à la majorité sénatoriale, mais n’a pas réussi à faire entendre ses arguments à LR cet été, à la fois sur la remise à la pompe et la taxation des superprofits. « Nous avons eu une vraie différence là-dessus », lâche le sénateur, qui en appelle à une « majorité sénatoriale stable et qui fonctionne depuis des années » en rappelant que « les deals politiques ne peuvent pas se faire à l’Assemblée sur le dos de la majorité sénatoriale. » Nul doute, donc, que le débat sur les politiques publiques à mettre en place face à l’explosion des prix des carburants n’a pas fini d’agiter le Sénat. Les autres options sur la table évoquées par les sénateurs seraient une remise en fonction des revenus, ou bien une aide directement versée par l’employeur et compensée par l’Etat ou les collectivités territoriales. « On a la meilleure DGFIP [administration fiscale, ndlr] du monde, et on ne s’en sert pas », regrette en tout cas Sylvie Vermeillet, qui rappelle que Bruno Le Maire avait évoqué, devant la commission des Finances du Sénat, un mécanisme reposant sur le numéro fiscal de chacun afin de prendre en compte les revenus. Le ministre de l’Economie aura probablement l’occasion d’y revenir lors des débats budgétaires de l’automne prochain.

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