« Je t’aime… moi non plus » : à un an de la présidentielle, la gauche se tourne autour

« Je t’aime… moi non plus » : à un an de la présidentielle, la gauche se tourne autour

A la veille d’une réunion des principaux partis de gauche sous la houlette de l’écologiste Yannick Jadot, chacun pose ses conditions et délimite son périmètre. La grande union pour 2022 demeure bien loin.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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Rendez-vous est donné dans un hôtel du XIXe arrondissement de Paris. Samedi matin à 10 heures, les principaux représentants de la gauche doivent se réunir autour de l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot « pour commencer un travail collectif » en vue de 2022. Un lieu neutre, discret et espacé – 175 m2 – pour l’arlésienne de l’union la gauche ? Pour l’heure, les divergences de fond et de personnalités priment.

Objectif : « Se parler franchement, clarifier les divergences et se mettre d’accord sur une perspective pour construire un rassemblement. On doit d’abord travailler sur le fond, les idées. Il faut un pacte de législature. La question d’une candidature commune viendra après », a précisé au Monde Yannick Jadot, dont la velléité présidentielle ne fait pas mystère, même si son parti, EELV, doit désigner son candidat par le biais d’une primaire en septembre. Autour de lui doivent se réunir le PS, EELV, LFI et le PCF.

« Il ne faut pas avoir des espoirs élevés »

Sur le papier, la réunion laisse certains militants rêveurs, eux qui réclament en bonne partie et de longue date la grande union de leur camp. D’autant que selon les derniers sondages, aucun des chefs de file de la gauche n’atteint le second tour, quand 81 % des électeurs socialistes, écologistes et Insoumis souhaitent un candidat commun à la prochaine présidentielle, selon une étude Odoxa Backbone Consulting pour Le Figaro et France Info. Mais à écouter les principaux chefs à plumes de la gauche, ce n’est que la première pierre d’un chemin long et tortueux. « Il y a tellement de caméras tournées vers cette réunion… Il ne faut pas avoir des espoirs élevés. C’est un premier temps de discussions après tous nos échanges bilatéraux », prévient, prudente, Sandra Regol, la numéro 2 des écologistes.

Président du groupe socialiste au Sénat, Patrick Kanner a pu échanger en amont du rendez-vous avec Julien Bayou, le patron d’EELV, et se veut optimiste. « Tout ce qui permet un dialogue constructif et d’échanger nos analyses, c’est positif. Je suis dans une région où grâce à ce dialogue, ce contact permanent et un respect mutuel, nous avons pu aboutir à une union de la gauche et des écologistes dans les Hauts-de-France. Ce n’est pas la même élection, ni le même enjeu. Mais c’est parce que six mois avant, on a réussi à se parler, qu’on a pu construire cette union », fait-il valoir. Sans, là encore, trop s’avancer. « J’espère que demain sera posé le diagnostic, mais je ne pense pas que l’ordonnance sera trouvée. J’espère qu’on pourra trouver des solutions de qualité », souffle l’ancien ministre de François Hollande, qui croit à l’union comme seul « talisman de la victoire ». Pour son camp, le premier secrétaire du parti, Olivier Faure, et la maire de Paris, Anne Hidalgo, seront présents.

Pour cause de périple sud-américain, Jean-Luc Mélenchon, en tête des sondages à gauche, ne sera pas de la partie, mais envoie l’un de ses lieutenants, Éric Coquerel. Et autant dire que LFI et le député de Seine-Saint-Denis ont posé leurs conditions : un pacte de non-agression et la participation à une marche commune contre le gouvernement. « Il faut que l’on soit capable du côté du camp progressiste de s’opposer ensemble aux attaques du gouvernement et de ne pas se déchirer entre nous. La deuxième chose : c’est que nous avons toujours voulu discuter de nos programmes et on le fera avec toutes les organisations demain », explique le député LFI, espérant « s’engager là-dessus ». Le patron des communistes, le député Fabien Roussel sera quant à lui absent, mais représenté par Ian Brossat et Pierre Lacaze. Fabien Roussel a déjà prévenu Yannick Jadot qu’il refuserait de participer à une grande primaire de la gauche. D’autres brilleront par leur absence, comme Arnaud Montebourg, Christiane Taubira et Delphine Batho.

Question primaire, Yannick Jadot aimerait tordre le cou à celle des écologistes. Son entourage s’enthousiasme. « Le fait que cette réunion existe est extrêmement important, c’est le début de quelque chose à construire. Yannick a passé trois semaines au téléphone, et même deux fois une heure avec Jean-Luc Mélenchon », plaide un proche. Une façon de se poser au centre du jeu. Certains militants écolos plébiscitent en tout cas la proposition, et ont accueilli l’adhésion des principaux partis comme une « bonne surprise ». « Est-ce que ça va déboucher sur un candidat commun ? Difficile à croire à un an de la présidentielle. Les ego sont forts, tout le monde semble avoir sa chance. Or, on a vraiment besoin d’une union de la gauche », résume Béchir Saket, consultant en affaires publiques, pour qui « l’épisode des législatives » est plutôt en train de se jouer.

PS-EELV : « N’est-elle pas plus morale l’union libre de deux amants qui s’aiment, que l’union légitime de deux êtres sans amour ? »

Une initiative vaine ? Les désaccords restent majeurs. Au sein même d’EELV, des cadres grincent des dents. Sandrine Rousseau candidate déclarée à la primaire, a regretté l’organisation « individualiste » du député européen, selon Libération. La direction des Verts a quant à elle fortement toussé. « Jadot agace. Il joue la montre, essaie de négocier sur les délais de la primaire depuis six mois. Il agace parce qu’il est pressé et qu’il est, qu’on le veuille ou non, le candidat le mieux placé aujourd’hui », témoigne Béchir Saket. « Ce sont des conneries. L’histoire de primaire ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est qu’on ait un président de la République écologiste », répond l’entourage de Jadot. « Julien Bayou fait tout le travail moins visible pour permettre que cette réunion ait lieu », rétorque Sandra Regol. Chez les Insoumis, l’appel de l’ancien chef de file des Verts aux européennes est plutôt bien passé. « Cela veut dire qu’il a plus à voir avec nous qu’avec Macron », tranche Éric Coquerel. Mais Patrick Kanner rappelle le calendrier de son parti à l’écologiste : « Yannick Jadot devra affronter cette primaire interne qui risque d’être compliquée pour lui ».

Sur le fond, socialistes et écologistes aimeraient voir émerger un « accord de gouvernement », selon des socialistes cités dans le Monde. « Ce sont des discussions préparatoires », confirme un proche jadoïste. Sandra Regol tempère : « Le Monde s’est un peu emballé. On discute avec les socialistes, et ce qu’on veut c’est un rassemblement large. A deux c’est un peu petit ». Les Insoumis, eux, n’apprécient pas du tout l’idée. Un contrat de gouvernement ? « On n’ose pas trop y croire, cela voudrait dire que ce n’est pas une réunion sincère. Ce ne serait pas à la hauteur de ce qui a été annoncé. Contrat qui nous exclurait de plus ! Si c’est une réunion qui règle les discussions entre EELV et le PS… J’espère que ce ne sera pas ce canevas », soupire Éric Coquerel. L’entourage de Yannick Jadot démine : « Il n’y a pas d’inquiétudes à avoir. On n’en est pas là. Le problème, ce n’est jamais le programme dans les accords. Viendra ensuite le temps de l’équipe pour les incarner ».

Patrick Kanner décrypte : « Aujourd’hui, LFI se retrouve dans une position des premiers de la gauche. Mais ce n’est plus les 19 % de 2017. Ça plafonne et ça risque de plafonner. Et il est vrai que la gauche sociale et écologiste est un peu au-dessus de Jean-Luc Mélenchon. Quand on cumule tout ça, ça peut faire le ticket d’entrée au second tour. Et la division est mortifère. » Mais les questions régaliennes, économiques, internationales et européennes restent des équations irrésolues. « Par exemple, les cadres écolos en ont assez que le PS joue double jeu sur le cadre identitaire. Il y a cette sensation de la trahison du PS. On l’a vu avec la polémique d’Audrey Pulvar sur les réunions de l’UNEF. Le PS lui a fait une Ségolène Royal ! », convoque un militant. Lyrique, le rapport de force PS-EELV lui inspire cette citation de Georges Feydeau : « N’est-elle pas plus morale l’union libre de deux amants qui s’aiment, que l’union légitime de deux êtres sans amour ? » Mais le théâtre n’est pas du goût de l’entourage de Yannick Jadot, qui balaie les soupçons d’affichage. « Ce n’est pas du spectacle. » L’acte I reste à écrire.

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