Judiciarisation de la vie publique : « C’est le fondement de la démocratie elle-même, qui est en question », alerte Pierre Steinmetz

Judiciarisation de la vie publique : « C’est le fondement de la démocratie elle-même, qui est en question », alerte Pierre Steinmetz

La mission d’information sur « la judiciarisation de la vie publique » a démarré ses travaux, ce mardi, par l’audition de Pierre Steinmetz, ancien membre du Conseil constitutionnel. Il s’est alarmé de la place prépondérante des juridictions nationales et européennes dans la fabrication des normes au détriment du pouvoir politique.
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Fin décembre 2021, à l’initiative du groupe centriste, le Sénat lançait une mission d’information sur « la judiciarisation de la vie publique ». L’un de ses objectifs est de plancher sur l’évolution de la fabrication de la norme en France. « L’institution judiciaire n’est pas simplement l’interprète du droit. Elle crée la norme et de ce fait crée un sujet sur la place du Parlement. Nous allons chercher à mieux réguler la création de la norme entre le pouvoir législatif et l’autorité judiciaire. Ça pose une question de légitimité », promettait le mois dernier, le rapporteur de la mission Philippe Bonnecarrère à publicsenat.fr.

Lire notre article: Le Sénat lance une mission d’information sur la judiciarisation de la vie publique

Ce mardi, démarrait le premier cycle des auditions, par celle de Pierre Steinmetz, ancien membre du Conseil constitutionnel. Ce grand commis de l’Etat qui vient de signer une tribune dans le Figaro sur ce sujet, a dressé un constat plutôt alarmiste sur ce qu’il considère être « une remise en cause des équilibres démocratiques ».

« On est passés d’un contrôle de régularité, à un contrôle de fond »

Le point de départ remonte à une célèbre décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 relatif à la liberté d’association. Par cette décision, les Sages de la rue Montpensier intègrent dans le bloc de constitutionnalité le préambule de la Constitution et la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. « C’était une décision à la limite de l’Etat de droit puisque tout à fait contraire aux intentions du constituant de 1958 », a-t-il souligné.

En effet, dans l’esprit de Michel Debré et du général de Gaulle, le Conseil constitutionnel était voulu comme un régulateur de compétences entre les pouvoirs législatif et exécutif et non comme le gardien des droits et des libertés comme c’est le cas actuellement.

« En se référant à des principes extrêmement généraux, on est passés d’un contrôle de régularité qui portait sur les procédures, à un contrôle de fond qui porte sur le contenu. C’est une césure dont on n’a pas eu conscience à l’époque », a-t-il insisté avant de situer « la seconde étape » vers ce déséquilibre démocratique à 1975, date d’une autre décision du Conseil constitutionnel.

Cette décision renvoie le contrôle de conventionalité des traités aux juridictions administratives et judiciaires. « Nous avons ainsi des tribunaux qui peuvent écarter l’application d’une loi en se fondant sur les traités internationaux […] et surtout le pouvoir politique a perdu ainsi la capacité d’avoir le dernier mot en modifiant la loi ou la Constitution. Jusqu’ici, si le pouvoir politique estimait que les décisions juridictionnelles ne convenaient pas, il suffisait de changer la règle que les tribunaux étaient chargés d’appliquer. Là, nous nous trouvons avec un pouvoir juridictionnel qui est pourvu d’une légitimité propre, qui ne relève pas des instances nationales, mais des traités et donc des tribunaux internationaux chargés de leur interprétation et de leur application ».

« Remettre du politique dans le processus décisionnel »

La compétence européenne s’est de plus, renforcée depuis le traité de Lisbonne de 2009 qui a fait rentrer dans le droit positif, la Charte des droits fondamentaux et la Convention européenne des droits de l’Homme. « Nous avons une extension quasi illimitée de la compétence européenne », a constaté Pierre Steinmetz.

Le pouvoir politique n’est donc plus « le seul maître » dans la fabrication de la norme. Et si le pouvoir politique au niveau européen, est incarné par les Etats, ils doivent se mettre d’accord à 27, ce qui le rend pour le moins théorique.

« Le simple fait qu’on se pose la question : qui fait la loi ? Je crois que c’est le fondement de la démocratie elle-même, qui est en question. Le juge se prononce au nom du peuple français. Nulle part, il est écrit qu’il représente le peuple français […] C’est la souveraineté nationale qui se trouve ainsi biaisée par les organes qui la définissent », a estimé l’ancien membre du Conseil constitutionnel tout en plaidant pour « remettre du politique dans le processus décisionnel ».

« Il ne faut pas avoir peur de dire au juridictionnel qu’il est en train de sortir des clous »

Philippe Bonnecarrère a souhaité connaître les pistes « d’un dialogue qui pourrait permettre au juge de tempérer son action tout en respectant son indépendance ».

« Il ne faut pas se faire d’illusions, c’est un rapport de force entre institutions […] Or, je trouve qu’il y a tant du côté de l’exécutif que du législatif, une démission généralisée dans le rapport avec le juridictionnel. Les termes que vous employez pour poser la question me paraissent significatifs. Il y a un proverbe alsacien qui dit : même un chien peut regarder un évêque. Il ne faut pas avoir peur de dire au juridictionnel qu’il est en train de sortir des clous. Si on le lui dit, il en tiendra compte car il y a un esprit de responsabilité », lui a répondu Pierre Steinmetz.

 

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