Justice pénale des mineurs : le projet dévoilé, mais des doutes sur les moyens

Justice pénale des mineurs : le projet dévoilé, mais des doutes sur les moyens

La ministre de la Justice a présenté en conseil des ministres la refonte de l’ordonnance de 1945 sur la justice pénale des mineurs. Deux sénateurs de la commission des Lois, LR et PS, y trouvent plusieurs points positifs mais s’inquiètent d’une réforme à moyens constants.
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C’est le texte fondateur de la justice pénale des mineurs en France. L’ordonnance de 1945 « relative à l'enfance délinquante » va céder sa place à un code de justice pénale des mineurs. La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a présenté ce 11 septembre en Conseil des ministres son projet de réforme, qui doit entrer en vigueur en octobre 2020. Cette codification apporte un certain lot de nouveautés, parfois accueillies avec réserves au Sénat.

Amendé 39 fois depuis sa création il y a 74 ans, le texte a, au fil du temps, perdu sa « cohérence » et sa « lisibilité », selon le ministère. « Il me semble nécessaire de réécrire ce texte, dans une stratégie globale de protection de l'enfance », déclarait au mois de février la garde des Sceaux, au début de la phase de concertation avec les professionnels. La refondation de l’ordonnance de 1945, véritable arlésienne politique, n’avait que « trop tardé ». Dans le quinquennat précédent, Christiane Taubira avait tenté de s’atteler à la tâche avant d’être freinée par le Premier ministre Manuel Valls, qui n’y était « pas favorable », craignant sans doute un procès en laxisme de la part de l’opposition.

Les grands principes de la justice juvénile préservés

La refonte présentée ce mercredi entend améliorer l’efficacité et la compréhension de la réponse pénale, mais ne prévoit pas de durcir les sanctions à l’égard des mineurs. « L’échelle n’est pas modifiée », a insisté la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye. Selon les données de la Sous-Direction de la Statistique et des Études (SDSE), la part des mineurs dans la délinquance totale est restée stable : 13% des actes sont commis par des mineurs. Les taux de récidive sont même en baisse. La nature des faits commis par les mineurs a, en revanche, évolué. De 2010 à 2017, les vols ont diminué de 17 %, quand les délits et crimes contre les personnes ont augmenté de 9,7%.

Le projet du ministère ne s’éloigne pas des grands principes introduits en 1945 : la majorité pénale reste fixée à 18 ans, la primauté de la réponse éducative sur la réponse répressive est réaffirmée, tout comme la spécificité de la justice des mineurs. La première priorité est de s’attaquer à la détention provisoire des mineurs, dont la période moyenne s’est allongée. Au 1er janvier, près de 80% des mineurs incarcérés l’étaient sous le régime de la détention provisoire, conséquence de délais de jugement qui atteignent 18 mois.

Une accélération de la procédure judiciaire

En instaurant une nouvelle procédure, le gouvernement espère diviser ce délai par deux. Le jugement, qui établira la culpabilité d’un mineur et permettra l’indemnisation de la victime, devra se tenir au plus tard trois mois après l’interpellation. Le prononcé de la sanction, qui pourra être éducative, interviendra 6 à 9 mois après cette première phase. Dans cet intervalle, une période de mise à l’épreuve éducative est prévue : le mineur est suivi et des investigations complémentaires sont menées.

« Attention aux effets d’annonce », prévient François-Noël Buffet. Le sénateur LR, rapporteur du projet de loi de réforme pour la justice en 2018, n’y voit qu’une bonne idée sur le papier. L’an dernier, la majorité sénatoriale de droite et du centre s’était alarmée du manque de moyens budgétaires. « J’émets par principe une réserve. Attendons de voir comment les faits se traduiront. On a quand même des grands spécialistes de l’annonce, mais en général la mise en œuvre n’est pas au rendez-vous. On ne sera efficace que si on a les moyens de faire », met en garde le sénateur du Rhône. Son collègue socialiste, Jacques Bigot, n’est pas plus optimiste. « Dans l’absolu, je pense que c’est une bonne chose, car si un enfant n’est pas pris rapidement en charge, c’est dramatique. Mais vous pouvez inscrire tous les délais ce que voulez, si les magistrats sont débordés, vous n’arriverez à rien. Tous ces textes ne peuvent fonctionner que si la justice a les moyens. »

L’instauration d’un régime de présomption de discernement

Le projet du gouvernement comporte aussi un symbole de taille, qui déterminera si des poursuites pénales à l’encontre d’un mineur sont possibles ou non. Actuellement, elles peuvent être engagées quel que soit l’âge de l’enfant : les magistrats doivent apprécier si le mineur est suffisamment mature pour comprendre la portée de ses actes et l’enjeu d’un procès. Demain, avec le nouveau code de justice pénale pour les mineurs, le seuil de responsabilité pénale sera fixé à 13 ans. Ce faisant, la France clarifie son droit et se conforme à la Convention internationale des droits de l’enfant. Le dispositif n’est pas pour autant totalement rigide. Lorsqu’il a moins de 13 ans, le mineur n’a pas forcément une absence de discernement : l’appréciation reste à la libre appréciation du juge, qui se base sur le contexte et la personnalité de l’enfant. Idem, pour les enfants de plus 13 ans : le magistrat doit motiver sa décision s’il décide de ne pas engager de poursuites.

« C’est sans doute le point le plus difficile de toute la réforme », commente le sénateur François-Noël Buffet, « car la notion de discernement obéit difficilement à un âge préfixé. » Pour le parlementaire, cette modification ne changera rien à la situation actuelle mais « rassurera » les professionnels. « J’émets une réserve sur l’âge. Au-delà de 13 ans, bien sûr que l’on peut être beaucoup plus mature, mais est-ce qu’on a véritablement le discernement pour apprécier les actes qu’on a commis ? »

En Europe, cet âge varie : il est inférieur dans certains pays (12 ans aux Pays-Bas, 10 ans en Suisse et Angleterre), mais supérieur dans beaucoup d’autres (14 ans en Allemagne, Espagne ou Italie, 15 ans en Suède, et jusqu’à 18 ans en Belgique).

À droite, ce seuil a été parfois très mal accueilli. En juin, la présidente LR du conseil régional d’Ile-de-France l’avait qualifié de « décision gravissime ». Ce mercredi, le député Éric Ciotti considère qu’il s’agit d’une « véritable démission face à la délinquance ». François-Noël Buffet estime, lui, que les outils sont là. « Ce qui est important, c’est que dans cette souplesse donnée au juge, nous ayons la possibilité de poursuivre pénalement des jeunes qui sont dans des situations de délinquance avancée, et pour lesquels il n’y a pas d’autres solutions que de prendre des sanctions fermes. »

Mais de quel côté pencheront les magistrats ? Cette souplesse inquiète le sénateur socialiste Jacques Bigot. « On risque de déroger à cette présomption. La crainte que l’on a, c’est que dans les cas les plus graves, vis-à-vis des victimes et du public, on retienne le discernement […] Sur l’atténuation de la responsabilité, sur la fixation d’un âge, on est sur quelque chose qui est de l’ordre de l’affichage. »

Un délai d’un an avant la ratification de l’ordonnance

Dans cette refonte, le gouvernement a obtenu une habilitation l’an dernier pour légiférer par ordonnance. Le champ large de cette habilitation, décidée au détour d’un amendement au projet de loi de 2018, avait agacé plusieurs sénateurs.  La garde des Sceaux promet qu’un « délai d’un an » sera laissé au Parlement pour modifier et débattre du projet de loi de ratification de l’ordonnance, mais aussi pour « préparation des juridictions et mettre en place les moyens ». La nouvelle séquence est attendue avec impatience par les parlementaires, qui estiment avoir été marginalisés dans la période de concertation. « Je n’ai pas l’impression que le groupe de travail n’ait pas beaucoup fonctionné », estime Jacques Bigot. « Quelques personnes ont été consultées, mais une seule fois », regrette François-Noël Buffet.

La commission des lois du Sénat promet d’être active sur la question. « On va beaucoup auditionner et avancer sur le sujet », prévient-il. « Pas pour faire une réforme pour faire une réforme, mais pour que ce soit utile » Car si les sénateurs relèvent plusieurs « choses positives » dans ce projet, comme le suivi des enfants par le même juge et avocat pendant toute la procédure, le nœud du problème reste avant budgétaire.

Les moyens supplémentaires accordés dans la loi de programmation, serviront notamment au renforcement des centres éducatifs fermés. 20 nouvelles structures supplémentaires vont compléter le réseau actuel des 51 établissements.

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