L’accord entre LFI et le PS passe mal chez les sénateurs socialistes

L’accord entre LFI et le PS passe mal chez les sénateurs socialistes

Alors que le Conseil national du Parti socialiste a validé hier l’accord négocié par la direction du parti avec LFI, le groupe socialiste au Sénat ne se montre pas très enthousiaste. Certains estiment que c’est le moindre mal, quand d’autres y voient une soumission totale à Jean-Luc Mélenchon. La « vieille maison » semble maintenant bien loin.
Louis Mollier-Sabet

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« Reddition », « soumission », « consternation » … Ce vendredi matin a comme des airs de gueule de bois, au groupe socialiste du Sénat. Après un vote historique du Conseil national hier soir, qui a validé l’accord négocié par la direction du parti par 167 voix (62 %) contre 101 (38 %), les plus favorables au rapprochement avec Jean-Luc Mélenchon dressent un parallèle avec l’accord entre socialistes, communistes et radicaux de gauche qui avait fondé le Front Populaire. Au groupe socialiste du Sénat, on se montre moins enthousiaste. Patrick Kanner, président du groupe socialiste, « membre de droit » du Conseil national, n’a par exemple pas pris part au vote : « Le talisman de l’union a fonctionné, mais un accord doit être gagnant-gagnant, et pour nous, il est ‘petit gagnant’. » Une position qui fait grincer des dents certains sénateurs encore plus hostiles à l’accord. « C’est courageux », glisse l’un d’eux, « comme ceux qui n’ont pas pris part au vote le 10 juillet 1940 [lors du vote des pleins pouvoirs à Philippe Pétain par le Parlement, ndlr]. »

Mais si tous les sénateurs du groupe émettent des réserves à la fois sur le partage des circonscriptions et le fond de l’accord, Rémi Féraud, sénateur PS, estime qu’un vote au sein du groupe sur l’accord donnerait « un résultat proche de celui du Conseil national. » Le sénateur PS, s’est, lui, abstenu, comme beaucoup d’élus parisiens : « On avait d’abord envisagé de voter contre, mais nous avons décidé de nous abstenir parce que nous ne voulions pas le rejet de cet accord. Il a beaucoup de défauts, mais il est la seule solution possible après le 1er tour de l’élection présidentielle, si nous voulons à la fois garder un groupe socialiste à l’Assemblée nationale, mais, au-delà, faire partie de ce bloc de gauche, qui a besoin de nous et dans lequel nous sommes profondément ancrés. »

>> Lire aussi : Accord PS-LFI : « L’accord national d’Olivier Faure, dans l’Hérault on s’assoit dessus, et confortablement ! » prévient un sénateur PS

« Nous ne serons jamais les idiots inutiles du macronisme »

Un accord imparfait, mais nécessaire, en somme. « On ne peut pas être enthousiaste avec un accord comme celui-ci, qui n’est pas conforme à notre poids électoral, mais si nous partions seuls dans ce contexte, c’était l’élimination assurée de presque tous nos candidats pour le deuxième tour. », poursuit Rémi Féraud. « À partir du moment où nous ne serons jamais les idiots inutiles du macronisme, en faisant semblant d’être une aile gauche qui justifie une politique de droite, nous devons être dans la gauche. Et la gauche ne peut pas se passer de nous, c’est aussi ce que reconnaît cet accord électoral. » David Assouline, lui aussi sénateur socialiste de Paris, abonde : « J’ai émis des réserves sur le contenu et la forme de l’accord, mais on ne peut entraver la profonde aspiration à l’unité du peuple de gauche, car il faut pouvoir répondre aux urgences sociales et climatiques sans attendre 5 ans de plus. » Patrick Kanner tente, lui, de ménager la chèvre et le chou, entre une union nécessaire et « des divergences de fond » : « On a mis de côté ce qui fâche, mais une fois l’accord passé, nous aurons des différences. Nous avons de très grandes différences sur le plan idéologique. Cela va être gommé dans la campagne parce qu’il y a l’Union, mais chacun a ensuite besoin de retrouver ses origines. »

Le président du groupe socialiste au Sénat revient à la fois sur les points d’accord et de désaccord que l’on connaît maintenant depuis le début des négociations : peu de problèmes sur les questions économiques et sociales, mais de vraies réserves sur la laïcité, l’Europe et les questions internationales, notamment l’Ukraine. Mais en revenant plus concrètement sur d’éventuels projets de loi que pourrait proposer un Jean-Luc Mélenchon Premier ministre au Parlement, Patrick Kanner aborde des thèmes et des mesures du programme de l’Union Populaire un peu moins souvent évoqués : « S’il faut donner 1 milliard pour lutter contre les féminicides, je le voterai, évidemment. Mais est-ce que Mélenchon Premier ministre propose, comme prévu dans le programme de LFI, la fin du financement public des écoles privées ? Est-ce que Mélenchon Premier ministre fait une proposition de loi constitutionnelle pour la révocation des élus en cours de mandat ? Cela relève de la Ière République de 1793, une construction véritablement révolutionnaire. L’annulation de la dette, est-ce qu’en tant que socialiste on y est favorable ? » Autant de questions rhétoriques qui redessinent la frontière séculaire entre courants réformistes et révolutionnaires à gauche, qui n’a d’ailleurs pas toujours empêché ces différentes composantes de gouverner ensemble.

« Ce n’est pas une coalition, c’est une soumission »

Marie-Arlette Carlotti le concède ainsi volontiers, « il n’y a pas deux gauches irréconciliables. » La sénatrice socialiste des Bouches-du-Rhône estime néanmoins qu’il y a « deux gauches différentes. » Soutien de la motion d’Hélène Geoffroy, proche de François Hollande, au dernier Congrès du PS à Villeurbanne, Marie-Arlette Carlotti n’a pas voté hier au Conseil national, mais estime que le Parti socialiste « est en train de changer d’identité, en se mettant à courir derrière toutes les radicalités » et « n’est plus un parti de gouvernement. » Un épisode l’a particulièrement marquée : la sortie d’Alexis Corbière à propos du départ du Parti socialiste de Bernard Cazeneuve, d’ailleurs suivi par le sénateur de la Manche Jean-Michel Houllegatte, qui avait remplacé le ministre de François Hollande à la mairie de Cherbourg après sa nomination en 2012. « Je suis consternée de voir qu’on ne respecte pas l’histoire de chacun, qu’on ne respecte pas Bernard Cazeneuve et qu’on le laisse se faire salir. Des gens nous quittent, Jean-Michel Houllegatte annonce qu’il quitte le PS. C’est une hémorragie, parce que des gens constatent qu’ils ne sont plus liés à cette histoire », s’inquiète Marie-Arlette Carlotti.

Rémi Féraud tempère les craintes de sa collègue : « Vu le vote d’hier et la façon dont s’est déroulé le débat, où ceux qui sont intervenus contre l’accord ont bien dit qu’ils voulaient rester au sein du PS, il n’y aura pas une grande vague de départs. » Rachid Temal appelle lui aussi à ne pas quitter le navire : « Je dis aux socialistes que le socialisme est une idée d’avenir, on le voit dans le reste de l’Europe, c’est un parti qui répond aux aspirations du peuple. » En revanche, le sénateur du Val d’Oise se montre moins tendre avec la direction prise par le PS d’Olivier Faure dans ces négociations avec LFI : « Dans 507 circonscriptions, les socialistes n’auront pas de candidats, c’est ça qui est historique : le poids politique et local des socialistes est sans commune mesure avec ce qui nous est laissé. Sur le fond, malgré des formules de style il y a un alignement sur les positions de Jean-Luc Mélenchon. Ce n’est pas une coalition, c’est une soumission. Le cycle d’Epinay est mort, il faut changer d’outil, comme quand la SFIO a changé. » Les mots varient un peu dans la bouche de Marie-Arlette Carlotti, mais le constat est le même : « On n’est plus socialiste, on est NUPES, on disparaît dans 44 départements de France. Dans l’Hérault, Carole Delga et Hussein Bourgi ont raison. Je ne veux pas partir, j’espère que l’on va présenter le plus de candidats possibles. »

« On verra bien si on m’exclut »

On touche ici au cœur du problème : certains responsables socialistes ont déjà expliqué qu’ils maintiendront des candidatures, même dans les circonscriptions qui n’ont pas été négociées dans l’accord de la « Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale » (NUPES), au nom de leur ancrage local. « Ce ne sont pas des dissidents », se défend Marie-Arlette Carlotti, « ils ne seront pas ‘NUPES’, mais ils seront socialistes. » L’Occitanie de Carole Delga est un premier exemple de cette fronde qui se prépare déjà au sein du PS, mais un autre cas emblématique attire l’attention ces derniers jours : la 15ème circonscription de Paris, où Lamia El-Aaraje (PS) l’avait emportée face à Danielle Simonnet (LFI), dans une législative partielle il y a à peine un an de cela. Or cette circonscription a été attribuée à LFI, et pas au PS dans l’accord validé hier par le Conseil national. Une « injustice » et une « aberration » pour Rémi Féraud, qui explique d’ailleurs l’abstention des élus socialistes parisiens, qui ne se sont « pas opposés » à l’accord électoral, mais qui « ne pouvaient pas approuver » l’investiture de Danielle Simonnet dans la 15ème circonscription de Paris. « Le problème n’est pas la personne de Danielle Simonnet », précise bien le sénateur de Paris, « mais l’injustice faite à une députée qui est en fait sortante. »

D’après Rémi Féraud, l’argument utilisé par LFI pour obtenir cette investiture, c’est l’annulation de l’élection de Lamia El-Aaraje par le Conseil constitutionnel, qui n’en fait pas une « sortante » à proprement parler. Un « juridisme un peu étroit » pour Rémi Féraud, puisque cette annulation avait été prononcée pour des faits étrangers à la fois au PS et à LFI : un des candidats à la législative partielle s’était fait passer pour candidat de la majorité présidentielle alors qu’il ne l’était pas, provoquant ainsi l’annulation de l’élection. David Assouline, premier secrétaire de la fédération de Paris, a ainsi déposé une résolution, « votée à l’unanimité du Conseil national proposant de rouvrir la négociation pour que cette injustice soit réparée. » Jusqu’à nouvel ordre, l’accord a été entériné tel quel, et si Lamia El-Aaraje venait à se présenter tout de même « nous soutiendrons sa candidature légitime, elle qui porte l’unité de la gauche et la proximité du terrain », précise David Assouline. Même son de cloche chez Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat : « Un dissident se met automatiquement en dehors du parti, c’est la règle. Mais je vois mal le PS engager des procédures disciplinaires contre les dissidents et ceux qui les soutiennent. J’ai dit à Lamia El Araje que j’irais la soutenir, parce que c’est une injustice totale. On verra bien si on m’exclut. » Il a beau avoir été validé par le Conseil national, cet accord entre LFI et le PS n’a pas fini de faire des remous.

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