L’état d’urgence: plus protecteur des libertés que la loi antiterroriste ?

L’état d’urgence: plus protecteur des libertés que la loi antiterroriste ?

Alors que les députés viennent d’adopter la nouvelle loi antiterroriste, au Sénat, plusieurs parlementaires s’inquiètent des conséquences pour les libertés publiques au point, pour certains, de souhaiter une prorogation de l’état d’urgence. Un régime d’exception, certes, mais temporaire et contrôlé par le Parlement.
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« L’état d’urgence donne des moyens très importants à l’État pour lutter contre le terrorisme. La loi qui est en cours de discussion inscrit dans la loi permanente, une version en quelque sorte dégradée de l’état d’urgence » s’inquiétait, lundi, le président LR de la commission de lois du Sénat, Philippe Bas avant de se demander si c’était « bien judicieux », « bien prudent » de mettre fin au régime d’exception « compte tenu de la gravité et de l’actualité de la menace terroriste ». L’état d’urgence arrive, en effet, à son terme, le premier novembre prochain. La loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » est censée prendre la suite. Mardi matin, l’ancien Premier ministre, Manuel Valls a estimé que, même si « on aurait pu rester dans l’état d’urgence », le texte présenté par le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, correspondait  « à ce qu’il fallait faire, c'est-à-dire mettre dans le droit commun la plupart des mesures qui sont dans l’état d’urgence et qui sont utiles ».

« Je suis obligé d’envisager des motivations partisanes dans les propos de Philippe Bas »

Toutefois, le texte voté en première lecture à l’Assemblée nationale  est, sur différents points, moins protecteur  des libertés publiques  que celui du Sénat (voir notre article). La procédure accélérée imposant une seule lecture aux deux chambres, les députés et sénateurs devront se réunir  le 9 octobre en commission mixte paritaire. En cas de désaccord, c’est le texte de l’Assemblée nationale qui sera promulgué. Or, la position récente de Philippe Bas, critique, sur cette nouvelle loi antiterroriste au point de préférer l’état d’urgence, selon lui plus protecteur des libertés du fait de son caractère temporaire et du contrôle continu du Parlement, laisse présager un désaccord en commission mixte paritaire. Et comme le rappelle le sénateur LREM, Alain Richard, un tel désaccord ne serait pas sans conséquence. « Si Philippe Bas est suivi par la majorité conservatrice du Sénat (en commission mixte paritaire) cela veut dire que c’est le texte de l’Assemblée nationale qui va être promulgué et ce n’est pas un bon signe pour le dialogue entre les deux assemblées. Il y a quelques semaines, nous étions nombreux, y compris le président de la commission des lois, à dire que l’état d’urgence était de nature à être limité dans le temps. Je suis obligé d’envisager des motivations partisanes dans les propos de Philippe Bas ».

En effet, interrogé par Public Sénat en juillet, Philippe Bas estimait que les mesures d’exception étaient « de moins en moins » utiles dans la lutte contre le terrorisme contrairement au « renforcement de l’arsenal pénal ».

« Si ces mesures sont véritablement nécessaires sans doute faut-il rester dans l’état d’urgence »

Au groupe PS, Jacques Bigot reconnaît que si « les perquisitions administratives » et les « assignations à résidence » doivent continuer à faire l’objet d’un contrôle du Parlement. « Si ces mesures sont véritablement nécessaires, sans doute faut-il rester dans l’état d’urgence ou trouver une solution pour qu’au moins dans le droit commun, il y ait un contrôle soit du Parlement, soit du pouvoir judiciaire (…) Manifestement, et c’est sans doute la position de Philippe Bas, le Sénat devra être de nouveau le garant des libertés publiques ».

Etat d'urgence: Jacques Bigot (PS) estime que le Sénat devra être de nouveau le garant des libertés publiques »
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La mise en garde de Gérard Larcher

Interviewé dans le journal Le Monde, le président du Sénat, Gérard Larcher, rappelle également la responsabilité du Sénat  en matière de libertés individuelles et collectives ». Il met également en garde contre « le risque sérieux d’inconstitutionnalité », « de l’obligation de fournir des données de communication » du texte de l’Assemblée nationale.

Esther Benbassa, sénatrice de Paris et rattachée au nouveau groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste, considère pour sa part qu’aussi bien l’état d’urgence que « l’accumulation des lois » ne peuvent « pallier les insuffisances de l’administration ». Elle en veut pour preuve, la situation du terroriste de Marseille, abattu ce week-end, après avoir tué deux jeunes filles. Ahmed H., étranger en situation irrégulière, interpellé deux jours avant son crime pour un vol, aurait-il dû être placé en rétention en vue d'une éventuelle expulsion? Le ministre l'Intérieur Gérard Collomb a saisi lundi soir l'inspection générale de l'administration, afin de faire la lumière sur une éventuelle défaillance.  Esther Benbassa s’inquiète également des conséquences des contrôles d’identité étendus dans le cadre des nouveaux périmètres de sécurité, et qui pourraient selon elle, « se transformer en un contrôle au faciès ».

Il est à noter, enfin, qu’en matière d’état d’urgence et de loi antiterroriste, Philippe Bas n’est pas le seul à faire évoluer sa position. Dans son livre Révolution, Emmanuel Macron écrivait il y a un an : « Nous avons tout l’appareil législatif permettant de répondre, dans la durée, à la situation qui est la nôtre ».

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