La banque de la démocratie, itinéraire d’une proposition enterrée

La banque de la démocratie, itinéraire d’une proposition enterrée

En difficulté pour réunir des fonds pour sa campagne, Marine Le Pen a écrit à Emmanuel Macron pour que le Parlement examine de nouvelles modalités de financement. Dans ce courrier, c’est bien le débat sur la banque de la démocratie, voulue par François Bayrou, qui resurgit.
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L’argent est le nerf d’une campagne électorale. Et à sept mois de l’élection présidentielle, certains trésoriers ont des sueurs froides. Notamment au Rassemblement national, qui peine depuis plusieurs échéances électorales à se financer via des banques. Le 2 septembre, Marine Le Pen, qui va se lancer dans sa troisième campagne présidentielle, a écrit au président de la République, afin de l’alerter sur les difficultés rencontrées par « bon nombre de candidats potentiels à l’élection présidentielle, certains représentants des courants de pensée importants ». Comme le sien.

Avec la réforme de 2017, les conditions de financement se sont durcies. Finis les emprunts contractés auprès d’établissements situés en dehors de l’Union européenne. En 2014, le Front national avait dû se tourner vers une banque russe. À la même époque, de grands établissements bancaires laissent entendre qu’il allait être difficile pour des formations politiques de contracter des prêts. « Notre politique de crédit est de ne plus prêter aux partis politiques. Il faut peut-être repenser le mode de financement des partis politiques », exprimait par exemple Frédéric Oudéa, le PDG de Société générale en 2014. Ce dernier mettait en avance des raisons de neutralité, mais aussi économiques.

L’idée d’une banque de la démocratie avait émergé en 2017, mais le projet avait capoté. Elle devait être la « contrepartie » à ces nouvelles règles, rappelle Marine Le Pen. Elle n’a « pas vu le jour, mais les restrictions sont, elles, toujours en vigueur », dénonce-t-elle. La dirigeante du RN demande donc à Emmanuel Macron de veiller à ce que le Parlement crée de « nouvelles possibilités de financement ». Une gageure vu le peu de temps qu’il reste dans la session parlementaire et surtout, en tenant compte d’un précédent.

« Il est insupportable qu’une banque privée ait le droit de vie ou de mort sur une formation politique », expliquait François Bayrou

Le principe de la banque de la démocratie était cher à François Bayou, au point d’être l’une des conditions de son ralliement au candidat Macron en février 2017. La banque de la démocratie devait être l’une des principales mesures du projet de loi pour la confiance dans la vie politique, porté par l’éphémère garde des Sceaux.

En présentant le projet de loi en juin 2017, le maire de Pau avait évoqué des « démarches parfois humiliantes à l’égard de banques privées », mettant en avant les propres difficultés rencontrées par le MoDem lorsqu’il avait sollicité des prêts. « Il est insupportable qu’une banque privée ait le droit de vie ou de mort sur une formation politique ». Le ministre avait alors exposé le projet d’une banque publique, ayant pour mission d’aider les partis à financer leurs activités et notamment leurs campagnes électorales. L’établissement aurait été adossé à la Caisse des dépôts.

Deux semaines à peine plus tard, le gouvernement est contraint de renoncer à inscrire cette disposition dans le projet de loi. Le Conseil d’Etat fait part de ses doutes sur l’opportunité de créer une nouvelle structure bancaire et souligne que le projet de loi prévoit déjà, pour garantir la transparence du financement de la vie politique un médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques. Le ministère de la Justice décide d’introduire une habilitation à légiférer par ordonnance, ce qui lui laisse le temps de peaufiner ce sujet complexe, notamment sur le front de la réglementation bancaire.

Le délai de l’habilitation expire à l’été 2018. Le MoDem s’insurge. « Je suis désolé de dire que pour moi le gouvernement n’a pas la légitimité de renoncer à cette disposition […] Je me bats et je me battrai pour cette idée », défend François Bayrou, devant l’association des journalistes parlementaires. La députée Sarah El Haïry (aujourd’hui secrétaire d’État chargée de la Jeunesse) rappelle que le principe de la banque de la démocratie a été non seulement présenté en Conseil des ministres mais aussi voté par le Parlement. « Elle ne peut être abandonnée de cette façon, sans qu’il n’y ait eu le moindre débat ». Seul le « médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques », nommé en août 2018, est devenu réalité. Il est chargé de faciliter le dialogue entre les partis et les banques.

Au détour d’un débat sur un amendement sur la réforme constitutionnelle, le 16 juillet 2018, la garde des Sceaux Nicole Belloubet enterre pour de bon le projet de banque de la démocratie. La ministre justifie l’abandon par les conclusions d’un rapport de l’Inspection générale de l’administration et de l’Inspection générale des finances. « L’accès au crédit, pour se concentrer sur ce sujet, relève moins d’une absence d’offre bancaire, que viendrait combler la Banque de la démocratie, que de questions d’informations ou de délais, qui pourraient être réglées par le médiateur du crédit », justifie Nicole Belloubet. La ministre ajoute au passage que la création d’une telle banque « ne faisait pas consensus », du fait de la lourdeur du dispositif ou de l’immixtion de l’Etat.

Le débat refait vite surface. Au printemps 2019, pour la campagne des européennes, le Rassemblement national peine une fois encore à rassembler des fonds. « La démocratie est verrouillée », dénonce la tête de liste Jordan Bardella. Au Sénat, les centristes posent à nouveau le problème du financement des campagnes électorales. Le président du groupe Union centriste Hervé Marseille interpelle le gouvernement dans une question écrite sur les difficultés rencontrées par plusieurs formations politiques dans l’accès au crédit. Dans sa réponse, le ministère de l’Intérieur s’était montré relativement rassurant, affirmant qu’il y avait une absence de défaillance « systématique » des banques et que l’organisation bancaire apparaissait « fonctionnelle ».

Un rapporteur de la commission des finances du Sénat estimait que ce serait une « faute » d’écarter la banque de la démocratie

Lors d’une semaine de contrôle budgétaire au Sénat, le rapporteur des crédits de la mission « financement de la vie politique » tempère nettement cette lecture. « Contrairement au gouvernement, je pense que le financement de la vie politique se heurte à certaines imperfections de marché », explique à ses collègues le sénateur (LR) Jacques Genest. Il relève en outre que « le médiateur du crédit, s’il admet des difficultés qu’il a d’ailleurs pu constater lors du scrutin européen, n’a pas avancé de solutions décisives dans son premier rapport ». Le rapporteur spécial en est convaincu, « il ne faut pas fermer le dossier de la banque de la démocratie ». Pas refermé, mais pas rouvert non plus. Près de trois ans après l’expiration de l’habilitation donnée au gouvernement pour prendre l’ordonnance, François Bayrou continue de défendre inlassablement son cheval de bataille. « Ce serait un progrès démocratique majeur et ce serait une faute de l’écarter », déclarait-il encore au mois de juin 2021.

Si la banque de la démocratie n’a pas vu le jour, la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a fait évoluer la législation sur le financement des campagnes électorales, en encadrant davantage le recours à l’emprunt. Le but étant de garantir l’indépendance des partis politiques et d’éviter certains contournements. Ainsi, les prêts accordés par des personnes physiques ne peuvent dépasser une durée de cinq ans et sont plafonnés. Ils doivent également respecter certaines conditions énoncées par décret. Ils ne peuvent pas comporter des conditions financières plus avantageuses que celles habituellement pratiquées, pour éviter qu’ils ne s’apparentent à des dons déguisés. La loi interdit aussi désormais à tout État étranger ou banque non-européenne de prêter de l’argent à un parti ou à un candidat pour financer sa campagne électorale, et ce, dans le but de prévenir toute ingérence étrangère dans la vie publique française.

Depuis 1995, les dons et avantages en nature des entreprises privées sont interdits. Les dons des particuliers sont limités à 4 600 euros par donateur. Pour l’élection présidentielle, les prêts ou avances remboursables sont impossibles de la part de personnes physiques depuis 2001.

Quant au financement public, pour l’élection présidentielle, l’Etat verse à chaque candidat une avance sur le remboursement forfaitaire de ses dépenses de campagne d’un montant de 153 000 euros. Un remboursement forfaitaire des frais de campagne est prévu. Il est variable selon le score obtenu. Il s’élève au maximum, pour ceux n’ayant pas recueilli plus de 5 % des suffrages exprimés, à 4,75 % du plafond des dépenses du premier tour (soit environ 800 000 euros), pour les autres à 47,5 % de ce plafond (soit environ 8 000 000 euros). Pour les candidats présents au second tour, il s’élève à 47,5 % du plafond des dépenses du second tour (soit environ 10 700 000).

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