La campagne présidentielle sur les réseaux sociaux : qui remporte le match ?

La campagne présidentielle sur les réseaux sociaux : qui remporte le match ?

Dernière ligne droite pour l’élection présidentielle… dernières prises de parole dans les médias pour les candidats. S’il y a bien un lieu où la campagne s’est intensifiée depuis plusieurs mois c’est sur le web. La plupart des prétendants à la fonction suprême ont mené bataille sur les réseaux sociaux, comme Jean-Luc Mélenchon ou Éric Zemmour, tandis que d’autres privilégient des interventions plus rares pour rester sur une seule image, à l’instar de Marine Le Pen.
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Par Klara Durand

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De sa multiprésence dans plusieurs villes de France via ses hologrammes pour l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon, à la série Youtube « Le candidat » du président sortant Emmanuel Macron : user du numérique, être présent sur internet et les réseaux sociaux, est devenu un véritable enjeu pour les candidats à la présidentielle. En particulier pour capter l’attention de l’électorat le plus jeune qui, de plus en plus, s’informe sur internet. Selon une étude Ifop, les 18-25 ans, sont désormais 16 % à s’informer avec Twitter (contre 6 % en 2017), 15 % sur YouTube (contre 7 %). Parmi les nouveaux canaux de communication, l’institut précise que 17 % usent d’Instagram et 10 % de TikTok.

Les candidats développent donc des stratégies numériques pour s’imposer sur le Net, avec plus ou moins de succès. Selon Guilhem Fouetillou, cofondateur de Linkfluence une start-up française spécialisée dans l’écoute et l’analyse du web social, pour cette campagne, ce sont les candidats les plus radicaux et classés aux extrêmes sur l’échiquier politique qui se détachent : « L’espace web est depuis longtemps investi par les candidats plus extrêmes car le web est un espace d’opposition. De plus, la structuration du web politique est faite de telle sorte que ce sont les partisans des forces radicales qui sont les plus mobilisés ». Linkfluence a estimé pour le journal le Monde que 51 % des comptes appartiennent aux sept clusters d’extrême droite et 34 % aux trois clusters de gauche radicale.

« Une culture de l’innovation numérique chez Mélenchon »

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Ainsi, les deux forces qui ont dominé largement sur le web durant cette campagne sont « Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon », affirme Philippe Moreau-Chevrolet, fondateur de MCBG conseil. A propos du candidat Insoumis, le communicant considère qu’il demeure le plus innovant : « Jean-Luc Mélenchon et les insoumis sont créatifs, ils axent sur les vidéos TikTok ou la réalité augmentée par exemple ». En effet, l’équipe du candidat a développé sa présence sur ce réseau avec la diffusion régulière de vidéos de Jean-Luc Mélenchon accompagnées d’une musique prenante et de phrases ciblées, adaptées aux codes de la plateforme. De même sur YouTube, où fort de ses 739 000 abonnés, le candidat a lancé sa série « 2022 : nos pas ouvrent le chemin », tout en alternant avec des formats comme l’émission « 24 heures avec Jean-Luc Mélenchon » de la présentatrice et personnalité de téléréalité Magali Berdah ; le tout complété par des vidéos plus longues, comme celle de plus de trois heures sur le chiffrage de son programme ou une autre consacrée à la planification écologique voulue par son mouvement. Les Insoumis poussent la stratégie jusqu’au bout et réitèrent avec les hologrammes, la nouveauté qu’avait apportée le candidat lors de la campagne de 2017, mais avec un dispositif d’une plus grande ampleur encore : lors de son meeting à Lille, mardi 5 avril, Jean-Luc Mélenchon était « diffusé » dans onze autres villes, lui permettant de rassembler plus de 20 000 personnes selon la France Insoumise.

« Zemmour use de techniques de manipulation digitale de façon industrielle »

Le candidat d’extrême droite Éric Zemmour est le second prétendant à s’être imposé sur la toile de manière fulgurante : « Zemmour s’est introduit rapidement car il bénéficie d’une équipe digitale qui maîtrise extrêmement bien le fonctionnement des tendances Twitter », explique Philippe Moreau-Chevrolet, ajoutant que l’entourage du candidat use massivement de l’astroturfing, cette méthode consiste à faire monter des tendances sur Twitter de manière artificielle : « Par exemple dans le cas de la tendance « les femmes avec Zemmour », on a recensé 30 000 messages liés à cette thématique mais dans la réalité il n’y a eu que 8 vrais messages identifiés. On est vraiment face à un usage massif de techniques de manipulation digitale de façon industrielle, ce sont de vrais outils de propagande inspirés de l’extrême droite américaine ».

De plus, le candidat bénéficie de la communauté de l’extrême droite française qui est très présente sur le web : « Zemmour a récupéré le soutien de toute l’alt-right, ces internautes d’extrême droite qui, eux aussi, usent des méthodes issues des Etats-Unis ou de la Russie », détaille le communicant politique. « Ils décident de suivre un candidat et en brigade, ils relaient la moindre de ses interventions, ils ont également un gros pouvoir de riposte. Il bénéficie ainsi du soutien de communautés bien installées avec des sites conséquents comme F de souche, dont on voit l’importance structurelle sur le web », ajoute Guilhem Fouetillou. Enfin, le candidat s’est ancré sur la toile en inaugurant tous les nouveaux formats de la plateforme YouTube, comme celui de l’influenceuse Magali Berdah : « En étant le premier à passer dans ces formats, il crée la surprise et c’est lui qui engrange le plus de vues », note Philippe Moreau-Chevrolet.

Emmanuel Macron dans la continuité et Marine Le Pen dans la communication « cocooning »

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Les deux candidats les plus hauts dans les sondages sont pourtant le président sortant Emmanuel Macron et la candidate du Rassemblement National Marine Le Pen. En ce qui concerne le Président candidat, sa présence sur internet demeure relativement importante, selon Philippe Moreau-Chevrolet : « Emmanuel Macron conserve une affinité avec le secteur de la tech qui fait qu’il reste majeur sur les réseaux », ajoutant que tout au long du quinquennat, La République en marche a expérimenté des formats inhabituels portés par des ministres, comme avec l’émission de Gabriel Attal sur Twitch ou les liens de Marlène Schiappa avec la sphère de la téléréalité, sans compter la vidéo du Président avec les youtubeurs Macfly et Carlito en mai 2021. « C’est une façon pour le président de rappeler sa présence sur internet par touches tout comme Marine Le Pen. Elle non plus, n’a pas besoin de se constituer une présence, puisqu’elle est déjà installée », note le communicant politique.

En effet, Marine Le Pen est moins présente sur le web qu’auparavant, une partie de son équipe digitale l’ayant quittée pour rejoindre le camp de Reconquête !, ce qui ne l’empêche pas de développer une image se voulant cohérente et lissée : « Elle fait quelques apparitions sur TikTok avec une communication cocooning, rassurante, avec ses chats par exemple ; par opposition au message anxiogène renvoyé constamment par Zemmour », commente Philippe Moreau-Chevrolet.

Le Pen TikTok

Une perte de terrain des partis traditionnels

A l’inverse, le communicant politique ne s’explique pas le recul sur le web des partis traditionnels comme le Parti Socialiste et Les Républicains : « Je pense qu’il y a eu une perte de compétences et une fuite des cerveaux digitaux vers d’autres candidats ou vers le monde associatif », constate-t-il. « On perçoit un déclin de la gauche sociale-démocrate sur internet. Dans les années 2000 et en particulier pendant la campagne de Ségolène Royale en 2007, le parti était très présent sur la toile, notamment via des blogs pour diffuser leurs idées, il y avait toute une équipe pour s’en occuper, appelée la net squad. Mais à partir de l’élection de François Hollande en 2012, il y a eu un relatif désintérêt des technocrates du PS pour cette question et leur présence a largement diminué », remarque Guilhem Fouetillou, notant que la présence du Parti Socialiste sur internet est pratiquement équivalente aux estimations sondagières concernant sa candidate Anne Hidalgo.

L’analyste fait le même constat à propos des Républicains : « Sur Twitter, on voit bien que les soutiens de Valérie Pécresse s’entremêlent à ceux d’Emmanuel Macron, elle n’est pas parvenue à imposer une présence propre ». « Tout comme Anne Hidalgo, Valérie Pécresse n’avait pas une force de riposte dans les moments de critiques ou de détournement de ses apparitions médiatiques sur le web », ajoute Philippe Moreau-Chevrolet. La candidate a tenté quelques coups médiatiques sur internet mais qui seront bien souvent tournés en ridicules, comme lors de la publication d’une vidéo sur Twitter, en janvier, où Valérie Pécresse se présente comme une lève-tôt, debout à 5h du matin pour faire campagne. Un « exploit » très vite détourné par des internautes lui faisant remarquer que loin d’être exceptionnel, beaucoup de Français se lèvent à cette heure-là pour travailler. La vidéo finira même par être supprimée sans que la candidate et son équipe ne ripostent. Ces échecs de communication ne resteront pas isolés, jusqu’à la révélation autour de ses « étranges » adhérents par le journal Libération, dont le chien Douglas. La découverte ira jusqu’à la création d’un compte parodique du chien sur Twitter et une avalanche de « mèmes » (image virale reprise en masse sur internet) sur ce sujet, mais là encore l’équipe des LR ne parviendra pas à endiguer le phénomène, laissant l’impression d’une non-réponse de la candidate aux moqueries et d’une absence sur ce terrain.

De manière plus inattendue, de plus petits candidats sont parvenus au cours de cette campagne à faire des percées sur internet, à l’instar de Jean Lassalle dont le compte TikTok lancé en février a rencontré un fort succès, permettant au candidat de faire croître sa présence sur les réseaux sociaux de plus de 43 %, d’après le journal les Echos. Tout comme le candidat communiste Fabien Roussel, avec une communauté engagée et qui a engrangé 176 % de croissance sur son compte Twitter au cours de la campagne. De leur côté, Philippe Poutou du Nouveau Parti Anticapitaliste et Nathalie Arthaud de Lutte Ouvrière sont moins présents sur le web, leur réseau phare demeurant Facebook ; une situation similaire à celle de Nicolas Dupont-Aignan, qui peine à mobiliser sur Instagram et TikTok.

Philippe Moreau-Chevrolet ajoute qu’il y a aussi une question de timing à ne pas négliger sur internet : « L’audience sur le digital prend du temps, elle ne s’achète pas. Or, certains candidats sont partis en campagne au dernier moment ou ils ne se préoccupent de leur présence sur internet que tardivement », analyse-t-il, prenant pour exemple le parti d’Europe Ecologie les Verts qui a lancé une chaîne Twitch en janvier : « Trop tard pour cette campagne », conclut le communicant politique.

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