La condamnation de Jérôme Cahuzac  « ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt »

La condamnation de Jérôme Cahuzac « ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt »

L’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac a été condamné à trois ans de prison de ferme et 5 ans d’inéligibilité pour fraude fiscale et blanchiment. Pour le sénateur communiste Eric Bocquet, co-auteur de « Sans domicile fisc », cette affaire est « l’illustration de la trop grande proximité de certains responsables politiques avec le monde de la finance ».
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« Je vous souhaite un seul jour de vivre ça, d’être insulté comme moi, pendant des années et des années ». L’interpellation de Bernard Tapie en juillet 2008 devant la commission des finances de l’Assemblée nationale à son interlocuteur Jérôme Cahuzac aura tourné à la prophétie. A tel point que comme l’ancien ministre de la Ville, l’ancien ministre du Budget va peut être, lui aussi, passer par la case prison. Condamné ce jeudi à trois ans de prison de ferme, sans aménagement de peine, et à 5 ans d’inéligibilité pour fraude fiscale et blanchiment, l’avocat de Jérôme Cahuzac annonce qu’il fera appel. La peine ayant été prononcée sans mandat de dépôt, il ne sera donc pas incarcéré avant le deuxième procès. Son ex-épouse, Patricia Cahuzac écope, elle, de deux ans ferme.

3,5 millions d’euros de patrimoine dissimulé

Pourfendeur de l’évasion fiscale lorsqu’il arrive à Bercy en mai 2012 en tant que ministre du Budget, il est rattrapé par un scandale lorsque Mediapart révèle quelques mois plus tard l’existence d’un compte en Suisse. Après des semaines de dénégations publiques, il finit par démissionner le 19 mars 2013 et avoue sa « faute morale » le 2 avril.  Quatre ans plus tard, l’instruction estime à 3,5 millions d’euros le patrimoine dissimulé.  Dans le détail, 600 000 euros sont retrouvés sur un compte en Suisse de Jérôme Cahuzac, transféré en 2009 de la banque genevoise Reyl vers la Julius Baer de Singapour. 2,7 millions ont été transférés sur un compte de l’île de Man géré par Patricia Cahuzac et 240 000 euros de chèques ont été versés sur le compte de la mère de l’ancien chirurgien. Ces derniers temps, l’ex-ministre avait tenté d’expliquer qu’une partie de cet argent dissimulé était destinée à financer le courant politique de l’ancien Premier ministre, Michel Rocard. L’hypothèse du « trésor des rocardiens » a été sèchement balayé part les magistrats du tribunal correctionnel.

Une décision exemplaire » pour Charles de Courson

Véritable coup de poignard dans « la République exemplaire » voulue par le candidat François Hollande en 2012, le « scandale Cahuzac » aura donné naissance à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. La loi Sapin 2 qui sera promulguée dans quelques jours, mettra en place un parquet national financier compétent en matière de fraude fiscale aggravée. Le député UDI, Charles de Courson et président d’une commission parlementaire sur l’affaire Cahuzac qualifie le verdict d’aujourd’hui « de décision exemplaire ». « Nos concitoyens sont persuadés que les grands élus et responsables politiques échappent à la Justice. Cette décision démontre le contraire. Les juges auraient néanmoins pu être plus sévères en ce qui concerne la peine d’inéligibilité ». Charles de Courson aimerait également que le périmètre de contrôle de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique soit plus large. « Seul le patrimoine de l’élu ou du ministre est pris en compte. Il devrait être étendu à sa famille. Une partie de la classe politique freine ces avancées et évoquent des atteintes à la liberté individuelle. Je suis dans une position inverse. Quand on est intègre. On a rien à cacher ».

« Trop grande proximité de certains responsables politiques avec le monde de la finance »

Le sénateur communiste, Eric Bocquet rapporteur d’une commission d'enquête sur l'évasion fiscale et co-auteur avec son frère Alain Bocquet de  « Sans domicile fisc » estime que cette condamnation « ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt ». « L’évasion fiscale est un système planétaire qui implique un grand nombre d’acteurs, des banques, des intermédiaires, des responsables politiques..». « Je ne pouvais pas imaginer qu’il n’y ait pas de prison ferme à l’encontre de Jérôme Cahuzac, un ancien ministre en charge de la lutte contre l’évasion fiscale. Au-delà de la personne de Jérôme Cahuzac, cette affaire est l’illustration de la trop grande proximité de certains responsables politiques avec le monde de la finance » observe-t-il.

Son collègue, le sénateur et Premier secrétaire du Parti communiste, Pierre Laurent s’est fendu d’un tweet humoristique à l’annonce du verdict.

 

Plus sérieusement,  cet après-midi le patron du PC espère que cette condamnation entrainera « une lutte d’ampleur » « pour récupérer ce qu’on estime à 80 milliards d’euros d’impôts qui échappent à la collectivité publique. Parce que les banques et le système financier international organise, grâce aux paradis fiscaux, l’évasion fiscale généralisée des grandes entreprises et des multinationales ».

Fraude fiscale - "80 milliards d’euros d’impôts qui échappent à la collectivité publique" rappelle Pierre Laurent
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« A partir de quel moment, le président de la République savait ? »

Le sénateur Les Républicains, Philippe Dominati, par ailleurs, président d’une commission d’enquête sur l’évasion fiscale se demande lui si l’exécutif était au courant des pratiques frauduleuses de Jérôme Cahuzac. « Là-dessus nous n’avons aucune réponse. La Justice ne nous éclaire pas. A partir de quel moment, exactement, le président de la République savait ? » s’interroge-t-il.

 

Affaire Cahuzac - "A partir de quel moment, exactement, le président de la République savait ?" : Philippe Dominati
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