« La culture est la grande oubliée des plans de relance »

« La culture est la grande oubliée des plans de relance »

Emmanuel Macron n’a rien dit ou presque dimanche sur la culture. « Incompréhensible » pour la sénatrice Union centriste Catherine Morin Desailly. L’ensemble du secteur est pourtant « au bord du chaos », alerte le sénateur PS David Assouline, qui attend un vrai « plan ». Sa collègue Sylvie Robert demande un fonds de soutien aux festivals.
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L’allocution d’Emmanuel Macron dimanche soir a laissé certains sur leur faim, à commencer par le secteur de la culture. En effet, le chef de l’État l’a à peine évoqué. Et alors que la situation revient à peu près à la normale dans quasiment tous les secteurs, une partie de la culture devra attendre. « Il faudra continuer d’éviter au maximum les rassemblements, car nous savons qu’ils sont les principales occasions de propagation du virus. Ils resteront donc très encadrés » a prévenu Emmanuel Macron, qui évoque « la culture » parmi les « plans massifs pour les secteurs les plus durement touchés ». Ce sont les seuls mots pour le secteur.

« Macron cite le plan de relance de la culture… qui n’a jamais existé ! »

Une dernière phrase qui a fait sursauter le sénateur PS David Assouline. « C’est incroyable car il cite, avec son satisfecit, le plan de relance de la culture… qui n’a jamais existé ! Si lui-même pense qu’il en a fait un, ça veut dire que c’est derrière nous et qu’il n’y en aura jamais » craint le sénateur de Paris.

Du côté de l’Elysée, on récuse cette lecture. « C’est injustifié de dire que la culture est le parent pauvre et a été oubliée » affirme-t-on à publicsenat.fr, « au total, c’est un plan de 3 milliards d’euros qui a été annoncé ». L’Elysée souligne par ailleurs que « le monde de la culture a tout de suite bénéficié de toutes les mesures annoncées par le gouvernement : chômage partiel, report de charges, fonds de solidarité, en plus des mesures sectorielles ». On reconnaît que les acteurs du secteur « auront un été difficile », mais « on a prévu des outils pour qu’ils relèvent la tête de l’eau ».

Emmanuel Macron a bien réuni pas visioconférence, en mai dernier, les acteurs de la culture. Il avait annoncé notamment une année blanche pour les intermittents du spectacle, avec des droits prolongés jusqu’en 2021. La présidente Union centriste de la commission de la Culture et de l’Éducation du Sénat, Catherine Morin Desailly, se souvient de « cet épisode d’un Président un peu débrayé sur le fond et sur la forme. Ça avait un peu heurté le milieu de la culture ». « Lors de sa réunion, il a fait des annonces. Mais sur l’année blanche pour les intermittents, qu’on demandait, même là, il y a de fortes inquiétudes, car elle n’est pas encore précisée et il n’y a pas de décret publié » s’inquiète David Assouline.

Année blanche pour les intermittents : arrivée du décret « très rapidement » assure le ministère

Sur ce point, le ministère de la Culture, contacté par publicsenat.fr, assure que « les modalités de cette prolongation, qui entreront en vigueur rétroactivement au 1er juin, seront précisées très rapidement par un décret en Conseil d'État. Il sera concerté avec les partenaires sociaux dans le cadre du Conseil National des Professionnels du Spectacle (CNPS) ». La troisième semaine de juin avait été évoquée pour ce décret.

La rue de Valois renvoie au projet de loi portant sur « diverses dispositions liées à la crise sanitaire », que beaucoup ont préféré appeler « projet de loi fourre-tout ». Le texte, qui porte « l’amendement » sur les intermittents, « est en cours d’adoption par le Parlement ». Précision étonnante du ministère. Assemblée et Sénat ont trouvé un accord sur le texte, qui a définitivement été adopté le 10 juin par le Parlement après le vote du Sénat… Bref, on en revient au fameux décret.

Selon le ministère de la Culture, l’année blanche signifiera « le maintien des droits des artistes et techniciens intermittents du spectacle. Les intermittents qui épuisent leur droit à compter du 1er mars 2020 bénéficieront d'une prolongation de la période pendant laquelle l'allocation leur est versée du 1er juin 2020 au 31 août 2021 ». « Le report des dates anniversaires au 31 août 2021 » est aussi prévu, tout comme « une souplesse pour l’examen du droit à réadmission à l’issue de la période de prolongation ».

« Pressions nécessaires pour un vrai plan global du monde de la culture »

Mais l’année blanche ne suffira pas. « L’ensemble des secteurs concernés par le ministère de la Culture ont été frappés durement et sont au bord du chaos. S’il n’y a pas une prise en compte très forte, un plan important, c’est très inquiétant » alerte le sénateur David Assouline, qui évoque « les festivals annulés par centaines cet été, les tournages de films arrêtés, le secteur de l’audiovisuel où les recettes de la publicité, pour le privé, se sont effondrées ». Pour le socialiste, « il va falloir qu’on fasse toutes les pressions et mobilisations nécessaires pour qu’il y ait un vrai plan global du monde de la culture ».

« Alors qu’on rentre dans la période estivale, et que l’été est l’occasion de se cultiver et se divertir, c’est un peu paradoxal que le Président n’ait pas dit un seul mot, c’est très blessant pour tout ce secteur » pointe aussi Catherine Morin-Desailly. La sénatrice Union centriste de Seine-Maritime rappelle que « l’industrie culturelle pèse plus que l’automobile. C’est 3,2 % du PIB. C’est incompréhensible ». Elle ajoute :

On ne peut pas dire de rouvrir les musées, accueillir tous les enfants à l’école et ne pas mentionner la culture. Le secteur attend de la lisibilité. Il a de nouveau été oublié.

« Économiquement, pour un certain nombre de structures, c’est terrible »

« La culture est la grande oubliée des plans de relance aujourd’hui » confirme Sylvie Robert, sénatrice PS d’Ille-et-Vilaine. Pendant le confinement, elle avait écrit au ministre de la Culture, Franck Riester, pour demander un plan d’aide pour les festivals (lire notre article). Elle ne voit rien venir. Sylvie Robert reconnaît cependant et « se félicite » des « 50 millions d’euros pour le Centre national de la musique » ou les aides « pour les filières du livre », « mais rien pour le spectacle vivant et les festivals, qui ont une dimension artistique et économique. Un fonds spécifique pour les festivals avait bien été évoqué, mais dans le troisième budget rectificatif, qui vient d’être présenté, rien… » regrette la sénatrice, qui présentera un amendement sur le sujet. Elle ajoute :

Pour les territoires, l’été silencieux sera terrible. L’écosystème des festivals, avec les emplois directs et indirects, est atteint.

Pour les cinémas, on sait qu’ils pourront rouvrir à partir du 22 juin. Encore faut-il que les Français s’y déplacent. Les théâtres misent surtout, eux, sur la rentrée de septembre. Et le reste ? Un décret du 31 mai précise les conditions dans lesquelles les salles peuvent fonctionner. « Mais il n’y a que les places assises qui comptent. Quid des salles debout à partir du 1er septembre ? Je ne sais pas » souligne la sénatrice d’Ille-et-Vilaine.

Son département accueille l’un des festivals les plus connus du pays : les Trans Musicales de Rennes. « Pour les Trans Musicales, début décembre, je ne sais pas aujourd’hui s’ils pourront maintenir le festival et à quelles conditions. Or, s’il n’y a pas visibilité très vite, c’est-à-dire avant le 1er juillet, il y aura des questions qui vont se poser. Économiquement, pour un certain nombre de structures, c’est terrible » avertit l’élue. Sylvie Robert « attend un plan de relance pour donner de la visibilité et des perspectives aux festivals, salles de concert et globalement, le secteur du spectacle vivant ».

Les clubs ont « l’impression d’être les oubliés du déconfinement »

Pour les clubs et boîtes de nuit notamment, secteurs dont les médias parlent peu, la situation est très difficile. Au Rex Club, club historique de la musique électronique en France, « on n’a pas de visibilité, on essaie de sauver les meubles » explique son patron, Fabrice Gadeau. Il « travaille sur une réouverture en septembre », si tout va bien. « Certains n’envisagent pas de rouvrir avant janvier... » Pire : « En Allemagne, il n’y aurait pas de réouverture des clubs avant février 2021. Ils ne vont pas rouvrir avant un vaccin ». Ce qui pourrait durer.

Malgré 150.000 euros de pertes sèches depuis mars, le Rex Club tient le coup. Mais Fabrice Gadeau prévient, si ça dure au-delà de septembre :

On n’est pas sûr de pouvoir s’en relever. Si ça continue encore six mois, ce sera une catastrophe. (Fabrice Gadeau, directeur du Rex Club)

Face à l’absence d’information officielle, « on touche du bois et on brûle des cierges ! » sourit le responsable du club. Il mise sur « beaucoup d’espoir » et attend « un petit message de soutien et un petit milliard pour la culture ! » Mais parfois, il l’avoue : « Je suis abattu. J’ai les jambes coupées. On ne voit plus le bout du tunnel ».

« On a l’impression d’être les oubliés du déconfinement. Et en même temps, on comprend les difficultés du déconfinement pour un établissement comme le nôtre » dit-il. D’autant que le virus adore les lieux clos avec du monde. Soit la description d’un club. Pas de chance… Et ce n’est pas l’expérience de la Corée du Sud, où la réouverture des clubs est à l’origine d’un cluster, qui va arranger les choses. D’où l’importance des aides aussi à ce pan de la culture. Emmanuel Macron a donné rendez-vous en juillet. L’occasion de se rattraper. ​​

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