« La ficelle est grosse » : Emmanuel Macron rebat la campagne dans la perspective de 2022

« La ficelle est grosse » : Emmanuel Macron rebat la campagne dans la perspective de 2022

Le chef de l’Etat lance son tour de France en une dizaine d’étapes à Saint-Cirq-Lapopie (Lot) ce mercredi. Objectif : « renouer le dialogue » avec la population après des mois de confinement et d’épidémie de covid-19. Mais à trois semaines des élections régionales et moins d’un an de la présidentielle, cette itinérance revêt des allures de campagne électorale.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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« Prendre le pouls du pays », « écouter plutôt que s’exprimer » … Depuis quelques jours, l’entourage du chef de l’Etat distille la communication officielle et met en scène un Emmanuel Macron soucieux de renouer le dialogue avec ses concitoyens. Un nouveau « Grand débat », sans le filtre des élus locaux ? Une nouvelle « Grande Marche » version terroirs ? Les adversaires du président de la République y voient surtout le lancement de la campagne du candidat Macron pour 2022.

La semaine dernière déjà, le plus jeune président de la Ve République donnait une interview à Zadig pour déclamer son amour de la France dans ses moindres recoins et développer en filigrane les thèmes de la future campagne. Derrière le verni du lien charnel et littéraire entretenu avec la terre du poète André Breton, Emmanuel Macron, souvent décrit comme un président « caméléon », dévoile une nouvelle facette. Exit les galipettes sur gazon présidentiel avec les youtubeurs Mcfly et Carlito, opération de communication destinée à la jeunesse. Exit aussi la novlangue du « nouveau monde », les concepts de « Start-up nation » et autres anglicismes, le chef de l’Etat endosse son costume de « provincial », déroule son storytelling de jeune amiénois monté à la capitale. Place à la « ruralité heureuse », à la « reconquête industrielle ».

Coup de départ ce mercredi, donc, à Saint-Cirq-Lapopie (Lot). Emmanuel Macron reprend « son bâton de pèlerin » pour deux mois de traversée des campagnes, comme des quartiers, pour atterrir vraisemblablement dans son berceau, Amiens. Dans le Lot, il compte évoquer les difficultés du secteur touristique, très touché par la pandémie, mais aussi écouter les doléances des Français, à trois semaines des élections régionales et à moins d’un an de la présidentielle.

« C’est une précampagne »

Ses adversaires ne sont pas « sots » et observent bien l’échappée présidentielle pour saturer l’espace médiatique. « Acceptons l’idée qu’il est en campagne présidentielle », a établi le député LFI Alexis Corbière dans la matinale de Public Sénat. « Que président de la République veuille aller à la rencontre des Français ne me choque pas. Mais on est en période électorale. Ce n’est pas lui le candidat. On est à un mois du premier tour. Il faut garder de la mesure. Quand je vois la multiplication des tournées de ses ministres, la ficelle est un peu grosse. Il aurait été plus élégant d’attendre la fin des élections », observe Patrick Kanner, le patron des sénateurs socialistes. « Est-ce le Président de la République ou est-ce le candidat qui se déplace ? C’est une précampagne. Si Nicolas Sarkozy avait fait la même chose, on en aurait entendu parler différemment », blâme la vice-présidente LR du Sénat, Pascale Gruny, dans la matinale de Public Sénat. « Il est en campagne permanente ! Donc nous aussi il faut que l’on se mobilise avec des primaires pour déterminer une équipe de France de la droite à la présidentielle », presse Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR.

Le chef de l’Etat compte bien occuper le terrain des régionales alors que certains de ses potentiels adversaires à la présidentielle, comme Xavier Bertrand, font de ce scrutin la première marche de leur course à l’Elysée. De son côté, l’exécutif, en mal d’élus locaux, a tout fait pour nationaliser au maximum les débats. Preuve en est, la sécurité qui ne relève pas de la compétence des régions, apparaît comme la principale attente des électeurs. Pas dupe, la présidente centriste de la délégation aux collectivités territoriales et rapporteure de la loi 4D au Sénat, Françoise Gatel, voit poindre la précampagne présidentielle. Mais se réjouit de cette initiative : « Il sent que le pays est très tendu. Il y a des peurs. C’est le père de la Nation, je trouve ça bien qu’il y aille. J’espère que ça va le nourrir, charpenter sa vision ».

Contourner les corps intermédiaires

Reste une crainte : qu’une fois de plus, Emmanuel Macron fasse fi des « corps intermédiaires ». « C’est un risque. Il y a beaucoup d’incompréhensions et les élus locaux ne sont pas dans un état de satisfaction absolue. Il y a matière à causer », résume la Bretonne. Proche de Jacqueline Gourault, la ministre de la Cohésion des territoires, Françoise Gatel prodigue quelques conseils et lectures au chef de l’Etat. « Le président de la République pourrait prendre sur sa table de chevet pendant ses voyages, les résultats de la consultation des élus locaux réalisée par le Sénat. Qu’il entende, qu’il écoute, qu’il accepte », plaide-t-elle.

Un poids lourd du Palais du Luxembourg reste frustré par le manque de consultation présidentielle : « Je n’ai été reçu qu’une fois après le Grand débat par Emmanuel Macron. Parler en tête à tête avec le président de la République, c’est toujours un plaisir. Mais il y a un isolement du pouvoir. C’est un souci ». Ce que Patrick Kanner a régulièrement dénoncé comme la « bunkerisation du pouvoir ». « On est dans une démarche purement électorale. On ne sait pas ce que sont devenus les cahiers de doléances après le Grand débat », pointe du doigt le sénateur écologiste Thomas Dossus. Depuis quelques mois, Emmanuel Macron s’applique à rencontrer des groupes de maires de petites communes soigneusement sélectionnés par l’Elysée. Manière de contourner les grandes associations d’élus.

« Aller sur le territoire c’est très bien. Mais c’est surtout parce qu’il a cette image de président enfermé à Paris et qu’il essaye de changer. Il l’avait déjà au moment des Gilets Jaunes. Derrière il a lancé le Grand débat sans en tirer toutes les conséquences. J’attends des mesures et qu’il change son regard sur les élus locaux », exhorte Pascale Gruny.

« Il a besoin de faire passer des messages dans toutes les corporations »

« Il ne faut pas qu’on soit dans le ‘Je vous ai compris’ », prévient Françoise Gatel. Sénateur RDPI (LREM), Didier Rambaud balaye ces inquiétudes. « La France des territoires, Emmanuel Macron la sent, la connaît. Il a besoin de faire passer des messages dans tous les territoires, dans toutes les corporations… » Et porter de nouveaux messages à un nouvel électorat. Emmanuel Macron veut s’adresser à la « France profonde ». « Il vise un électorat qui est probablement celui de la vérité de la France. On a bien vu que la start-up nation était dans une impasse totale pendant la crise sanitaire », analyse Françoise Gatel.

« Il a compris avec la crise que le ruissellement naturel du marché ne fonctionne pas. Mais le naturel reviendra vite au galop. L’électorat populaire en secteur rural et urbain est de plus en plus attiré par l’aimant RN. Il agit dans une démocratie à l’état gazeux. Il ne faut pas s’étonner que les gens aillent vers ce qui paraît le plus solide. La solidité ce n’est pas les premiers de cordée, ce sont les racines profondes de la France », tacle Patrick Kanner.

A l’issue de ses pérégrinations, dans la première quinzaine de juillet, le chef de l’Etat pourrait s’exprimer sur le cap qu’il compte fixer. Pour relancer les grands chantiers dans les derniers kilomètres du quinquennat ? Réforme des retraites, garantie jeune universelle… « Les réformes n’ont de sens que si elles apparaissent comme la reconnaissance des petits », avertit Patrick Kanner, qui s’inquiète d’une grave crise sociale cet automne. « Mais est-ce que ce sera ça ? »

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