La Fondation Abbé Pierre étrille le bilan logement d’Emmanuel Macron, aux allures de « page blanche »

La Fondation Abbé Pierre étrille le bilan logement d’Emmanuel Macron, aux allures de « page blanche »

Dans son rapport annuel sur la situation du logement en France, la Fondation Abbé Pierre s’alarme de l’écart entre les difficultés rencontrées par de nombreux Français pour accéder à une habitation décente et l’absence de politiques calibrées. En 2021, la part du PIB consacrée par les pouvoirs publics au logement était de 1,5 %, le niveau le plus bas enregistré en 40 ans.
Romain David

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La Fondation Abbé Pierre publie ce mercredi 1er février son 28e rapport annuel sur le mal-logement en France, un document qui épingle notamment la politique d’Emmanuel Macron en matière d’habitat. Après deux ans de crise sanitaire et de mesures restrictives, 2022 n’a pas été l’année de la relance en matière de logement, estime la Fondation qui dénonce la « page blanche » de l’exécutif. Ce compte rendu évoque à la fois le bilan du précédent quinquennat, jugé insuffisant, et porte un regard sévère sur les perspectives esquissées pour le nouveau mandat.

« L’écart a rarement semblé aussi grand entre d’un côté l’état du mal-logement, sa permanence, comme ses manifestations aggravées, et d’un autre côté, l’insuffisance des réponses publiques pour rendre le logement abordable tant dans le parc existant dont l’ouverture aux plus modestes se restreint, que dans la construction neuve, qui reste insuffisante au regard de l’ampleur et des caractéristiques de la demande », lit-on en introduction de ce document de plus de 300 pages. « Dans le programme de réélection d’Emmanuel Macron, il n’y avait que deux mesures sur le logement, son premier gouvernement n’avait pas de ministre du Logement, avant que cet élément ne soit corrigé », a voulu rappeler Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, lors de la conférence de présentation du rapport, le 26 janvier.

Le principal objectif du gouvernement, notamment dans la campagne de 2017, était de déclencher un choc de l’offre pour faire baisser les prix. « Force est de constater qu’il n’a pas eu lieu. Les prix des logements anciens ont augmenté de 29 % au cours du précédent quinquennat », note encore Christophe Robert.

Face à l’augmentation des loyers et à l’inflation, une politique sociale mal calibrée

Selon les données rassemblées par la Fondation Abbé Pierre, la hausse des loyers se poursuit sur l’ensemble du territoire. Elle est particulièrement sensible dans toutes les zones littorales, le sud du pays, dans les grandes métropoles mais aussi dans les zones frontalières, à proximité de l’Allemagne notamment. Des villes moyennes comme Tours, Le Mans, Chartres, Reims ou Angers sont également touchées, en raison de leur proximité avec l’Île-de-France. En conséquence, le poids du logement ne cesse d’augmenter dans le budget des ménages : 27,8 % des dépenses en 2021 contre 20 % en 1990, et seulement 11 % dans les années 1960.

Face à cette hausse, les mesures déployées en faveur du pouvoir d’achat depuis 2017 se répartissent de manière très inégale au sein de la population. En cinq ans, le niveau de vie des Français a augmenté de 280 euros, mais ce montant moyen s’élève à 490 euros pour les 30 % de foyers les plus aisés, et chute à 100 euros pour les 30 % les plus pauvres. Surtout, les mesures pérennes, comme la suppression de la taxe d’habitation et la baisse de l’impôt sur le revenu, ont d’abord bénéficié aux plus riches, tandis que les plus pauvres n’ont profité que de dispositifs ponctuels, à l’image du paquet législatif contre l’inflation déployé cet été.

L’inquiétant ralentissement dans la construction de logements neufs

En parallèle, la production de logements continue de ralentir, avec moins de 400 000 mises en chantier par an, un chiffre trop bas pour permettre au marché de se détendre. « Il fut un temps où l’on disait qu’il fallait construire au moins 500 000 logements par an », se souvient le délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Hausse du foncier, impact de l’inflation sur les matières premières, manque de personnels dans le secteur du BTP sont autant d’éléments qui nourrissent les tensions.

Le constat est tout aussi morose sur la construction de logements sociaux. Le manque d’argent accompagne une baisse de production. La fondation estime qu’entre 2017 et 2022 la réduction des moyens alloués aux organismes HLM s’élève à 1,3 milliard. En l’absence de volonté politique claire, Bercy garde la main sur le pilotage de la politique de logement, tendant à privilégier les mesures d’économie, déplore le rapport. En 2010, la part de l’effort public dans le domaine du logement était estimée à 2,2 % du PIB, en 2021 elle n’est plus que de 1,5 %. Il s’agit du chiffre le plus bas jamais enregistré par la Fondation depuis que cette donnée existe (1984).

Le rapport dénonce également les modalités de déploiement de l’objectif « zéro artificialisation nette », qui vise à freiner la bétonisation des terres, un « incontournable d’un point de vue social et environnemental », reconnaît Christophe Robert, mais qui consiste essentiellement en une série d’interdictions pour les collectivités locales, sans prise en compte réelle des nécessités en matière de construction de logements.

Une copie imparfaite sur les passoires énergétiques

La lutte contre la précarité énergétique apparaît en revanche comme une préoccupation plus importante des pouvoirs publics, mais avec des politiques qui n’atteignent pas complètement leurs objectifs. En 2020, 3 millions de ménages étaient en situation de précarité énergétique, dont plus de la moitié dans le parc social. Depuis le début de l’année, les passoires énergétiques sont interdites à la location, soit environ 190 000 logements. Une mesure saluée par la Fondation Abbé Pierre, dans la mesure où elle freine l’accès au mal-logement et offre aux locataires concernés la possibilité de faire baisser le loyer en proportion de la qualité de leur habitation.

Le dispositif MaPrimeRénov', bien qu’il ait permis de financer 650 000 interventions en 2021, n’apporte souvent qu’une réponse partielle aux problèmes d’isolation. 86 % des travaux engagés ne concernent que des éléments particuliers de l’habitation (changement de chaudière, de fenêtre ou réfection des combles), les rénovations sont rarement globales et véritablement performantes. Sur ce dossier, le groupe écologiste du Sénat a obtenu le 17 janvier l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur « l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique ». Ses conclusions seront rendues d’ici l’automne.

La proposition de loi anti-squat et la menace d’un « engrenage répressif »

Enfin, le rapport s’attaque largement la proposition de loi anti-squat, issue des rangs de la majorité et soutenue par le gouvernement, déjà adoptée par l’Assemblée nationale et dont l’examen en séance publique au Sénat a débuté ce mardi 31 janvier. « Présentée à l’origine comme une initiative pour venir en aide aux petits propriétaires qui auraient été mis à la rue par des squatters, la proposition de loi a donné lieu, au fur et à mesure de son examen, à un véritable engrenage répressif et finit par cibler les squats de logements totalement vacants, puis de locaux d’activité, ainsi que les locataires condamnés à l’expulsion », alerte la Fondation Abbé Pierre.

Alors que la moitié des bailleurs sociaux disent avoir noté une augmentation de 10 % des impayés au dernier trimestre 2022 - une donnée inquiétante selon Christophe Robert -, la proposition de loi prévoit une accélération des procédures contre les locataires qui ne payent plus leur loyer, ce qui tendrait à abolir la différentiation opérée jusqu’à présent entre squatteurs et mauvais payeurs. « On a une loi qui criminalise la pauvreté. Plutôt que d’aider les mal-logés, on s’attaque directement à eux », dénonce encore le délégué général de la fondation, qui appelait la semaine dernière la Chambre haute à faire barrage au texte.

» Pour aller plus loin. L’édition 2023 de l’état des lieux de la Fondation Abbé Pierre sur le logement en France s’intéresse également aux inégalités de genre dans l’accès à un habitat adéquat. Le rapport alerte tout particulièrement sur la situation de grande précarité que connaissent certaines femmes, notamment les mères célibataires, mais aussi les minorités LGBTQ +. Pour découvrir plus en détail ce versant du rapport, nous vous invitons à lire notre article : « L’accès au logement, cette autre source d’inégalités entre les femmes et les hommes »

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