La grande inconnue de l’impact budgétaire du Ségur de la santé

La grande inconnue de l’impact budgétaire du Ségur de la santé

À l’approche de l’examen des lois de finances au Parlement, l’impact exact des revalorisations salariales négociées lors du Ségur de la santé reste flou. Certains chiffres dans la presse évoquent des dépenses plus importantes que prévues, mais aucune évaluation précise n’a été transmise aux parlementaires depuis le budget de la Sécu 2021.
Louis Mollier-Sabet

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Cela fait presque « monde d’avant », mais c’était pourtant il n’y a qu’un peu plus d’un an. Le 10 juillet 2020, le Ségur de la santé clôturait ses travaux par des accords entre les organisations syndicales et le gouvernement prévoyant notamment une revalorisation salariale des soignants et en particulier des métiers non-médicaux comme les infirmiers ou les aides-soignants. Si cette revalorisation salariale devait être initialement financée à hauteur d’environ 8 milliards par an, l’impact du Ségur de la santé sur le budget de la sécurité sociale pour 2022 devrait atteindre plus de 12 milliards d’euros selon les informations des Echos. Une hausse liée à des investissements prévus de longue date – pour des forfaits d’heures supplémentaires par exemple – mais dont l’importance exacte n’est pas encore officiellement chiffrée.

Financement des revalorisations salariales : « En tant que parlementaires, nous ne sommes pas au courant »

Cette hausse des dépenses était partiellement prévue et prévisible, puisqu’une partie de la hausse s’explique par la « montée en charge » des revalorisations salariales. Les soignants embauchés depuis le Ségur de la santé l’ont été sous une grille salariale plus avantageuse et voient en effet leurs salaires augmenter à mesure qu’ils prennent de l’ancienneté, engendrant un surcoût difficile à chiffrer a priori. Des mesures ont par ailleurs été prises pour que les plus anciens puissent, dans une certaine mesure, profiter aussi de cette nouvelle grille salariale. En bref, les augmentations négociées au Ségur de la santé se mettent petit à petit en place et leur coût total était difficile à anticiper précisément : il serait ainsi plus élevé que prévu.

Mais cette hausse de l’enveloppe « Ségur » dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) est aussi liée à l’extension des revalorisations salariales du « Ségur » à d’autres travailleurs du secteur médical. Elisabeth Doineau, rapporteure centriste du budget de la sécurité sociale au Sénat, rappelle qu’au moment du Ségur de la santé, « on avait tous été au créneau parce qu’on trouvait qu’il était légitime de défendre tous les personnels. Ces revalorisations étaient très hospitalo-centrées. »

Les travaux menés par le haut fonctionnaire Michel Laforcade ont donc élargi le spectre des revalorisations. Mais c’est la même interrogation concernant le financement de ces élargissements progressifs des revalorisations négociées au Ségur. Difficile de savoir exactement quand elles seront financées et donc quand et pour qui exactement elles rentreront en vigueur. Elisabeth Doineau explique : « La dernière fois que nous avons auditionné Olivier Véran en juillet je lui avais demandé une grille pour comprendre à quel moment les revalorisations arriveraient. J’avais demandé une sorte de bilan d’étape, mais en tant que parlementaires nous ne sommes pas au courant. […] On ne sait pas si les revalorisations avancent. »

Un Ségur « absolument nécessaire », mais « entre temps s’est invité la Covid »

Le Ségur de la santé ne concernait par ailleurs pas uniquement les revalorisations salariales. L’investissement et les reprises de dette, la réduction de l’importance de la tarification à l’acte (T2A) ainsi que des réformes de gouvernance ont aussi été mis en place par une proposition de loi adoptée en février dernier par le Parlement. Là encore, la rapporteure du budget de la Sécurité sociale au Sénat s’interroge sur l’état de la mise en place de cette réforme « nécessaire et pleine de promesses » du secteur hospitalier : « Le Ségur de la santé c’était – et c’est – plein de promesses, mais on aimerait savoir sur les 19 milliards d’investissement où cela en est : cela va-t-il suffire ? »

Elisabeth Doineau poursuit : « Ce sont pourtant des choses que l’on aimerait connaître parce que cela nous permet d’interpeller les ministres ou à l’inverse de défendre leurs politiques. » Et pour le moment, la majorité sénatoriale a plutôt eu tendance à interpeller le gouvernement sur l’insuffisance du soutien au secteur hospitalier qu’à soutenir le Ségur de la santé contre vents et marées. Pourtant, lors de l’examen du PLFSS 2021, cette même majorité sénatoriale s’était montrée frileuse face à la « dérive vertigineuse » des comptes de la Sécurité sociale. Alors quelle conclusion tirer au moment de financer les dernières mesures du Ségur de la santé ? Trop timide ou trop dépensier ?

Pour la rapporteure du budget de la sécurité sociale le problème est déjà d’arriver à évaluer exactement l’étendue des dépenses dans un contexte de crise sanitaire qui a mis à mal des comptes de la Sécurité sociale : « Le Ségur de la santé est absolument nécessaire pour revaloriser et donner de la reconnaissance à ces professionnels de santé. Entre temps s’est invité la Covid avec beaucoup de dépenses. La Cour des comptes nous avait alerté et nous avions dit qu’il fallait un LFSS [une loi de financement de la sécurité sociale] rectificatif pour faire un bilan et de la crise et de la montée en charge du Ségur de la santé. Or nous ne l’avons pas fait, c’est dommage. »

« Je suis dans la même situation que vous »

Sans bilan d’étapes, difficile donc de se prononcer, même si l’équilibre budgétaire reste une priorité de la majorité sénatoriale : « Il faut des évaluations dans toutes les politiques publiques et notamment en ce qui concerne la santé, parce qu’on ne peut pas faire payer nos factures d’assurance-maladie à nos enfants et nos petits-enfants. »

Il ne reste donc plus qu’aux parlementaires à attendre le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022. « En fait, je suis dans la même situation que vous » finit par confier Elisabeth Doineau, regrettant les conséquences politiques d’un tel flou artistique : « Cela laisse l’ouverture aux réclamations, parfois légitimes, parfois non, et cela laisse supposer que le plan n’avance pas. » En tout état de cause, le PLFSS 2022 sera présenté fin septembre en conseil des ministres avant d’être examiné au Parlement dans les semaines suivantes.

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