« La politique est devenue un métier du spectacle », alors Jean-Louis Debré s’est mis au théâtre

« La politique est devenue un métier du spectacle », alors Jean-Louis Debré s’est mis au théâtre

Invité de la matinale de Public Sénat, Jean-Louis Debré est revenu sur sa « nouvelle carrière » de comédien, et notamment sur son spectacle Ces femmes qui ont réveillé la France. L’ancien président du Conseil constitutionnel et chiraquien historique se dit assez distant de la politique actuelle et préfère se consacrer autrement à la République, sur les planches.
Louis Mollier-Sabet

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« Vous voulez absolument me faire revenir, moi qui essaie de m’échapper. » Jean-Louis Debré a démarré « une nouvelle carrière » au théâtre, et l’ancien président du Conseil constitutionnel, ministre et conseiller historique de Jacques Chirac, ne semble pas le moins du monde regretter l’ancienne, aussi prestigieuse soit-elle. « Je joue au théâtre, je ferai peut-être du cinéma, j’écris des livres, quel bonheur ! » s’exclame-t-il, presque libéré d’un monde dont il ne « comprend plus les équations. » Parce que quand on arrive à arracher quelques mots sur le débat politique à l’ancien président de l’Assemblée nationale, c’est bien ce sentiment de décalage et d’appauvrissement du débat public qui prédomine : « La politique est devenue un métier du spectacle. On ne cherche pas à créer de l’espérance mais des petites phrases pour que vous [les journalistes] les repreniez. On a asséché le discours politique et le niveau de culture des hommes politiques. Quand vous lisez les débats entre Jaurès, Clemenceau, Briand… Aujourd’hui les discours, c’est technocratique. Jadis les parlementaires n’étaient pas entourés de collaborateurs, ils avaient des convictions, une volonté. Il y a une uniformisation du discours. »

« Avec Chirac au moins, il nous aimait »

Jean-Louis Debré regrette la surmédiatisation du temps court et la reprise des « petites phrases » qui prend le pas sur ce que la politique devrait faire d’après lui, « créer de l’espérance » : « On est élu en créant une espérance. Mitterrand a été élu sur ses 110 propositions. Chirac, c’est l’ascenseur social. Aujourd’hui, on a le sentiment c’est que la politique ce n’est plus régler les problèmes, mais faire taire ceux qui les posent. » L’ancien ministre y voit la cause de « distance actuelle des gens à la classe politique » : « Tous les soirs au théâtre, je parle avec les gens. Je vois une surnostalgie du passé, aucune identification d’affection – comme on pouvait le marquer à l’égard de de Gaulle, de Mitterrand, de Chirac – une résignation. Ils me disent ‘avec Chirac, au moins il nous aimait’. C’est lié au développement de l’antiparlementarisme et de l’abstention, ils ont de la distance à la classe politique. »

Que ce chiraquien historique fasse de Jacques Chirac la référence de la politique française n’a rien de surprenant, mais sur cette « distance à la classe politique », force est de constater que la Vème République imaginée par son père, Michel Debré, a du plomb dans l’aile. Qu’à cela ne tienne, face à ce désenchantement, Jean-Louis Debré a voulu faire de la politique d’une autre manière : « Toute ma vie je n’ai eu qu’une angoisse, être un ancien. Être un ancien magistrat, alors j’ai quitté la magistrature. Être un ancien parlementaire. » La politique pour Jean-Louis Debré, c’est comme le quartier pour Booba : « Je n’avais qu’une obsession, quitter la politique avant qu’elle ne me quitte. » L’un s’est exilé à Miami, l’autre monte sur les planches du théâtre de la Gaîté Montparnasse, pour dresser le portrait d’une vingtaine de femmes « pionnières » dans Ces femmes qui ont réveillé la France.

« Qui connaît la première bachelière qui s’est battu pour avoir le droit de passer le baccalauréat ? »

En duo avec Valérie Bochenek, Jean-Louis Debré a « envie de faire partager, de transmettre, de manière parfois humoristique, notre histoire, celle de la République. » Et d’après lui, l’histoire de la République, c’est celle de ce « combat » pour l’égalité : « Cette pièce que je veux drôle, c’est pour dire à ces jeunes qu’il n’y a pas que la monarchie, l’Empire, mais l’histoire des idées. Et comment ces idées, portées par des hommes et des femmes, ont pu faire progresser dans notre pays le sentiment d’égalité. On devrait plus enseigner cette histoire pour faire naître chez nos jeunes le sentiment que la République leur appartient. Ce n’est pas la chose de quelques hommes politiques. »

Ainsi la pièce revient sur les parcours connus de Louise Michel, George Sand ou Simone Veil, mais aussi sur des « pionnières » méconnues. « Trop souvent on ne raconte que l’histoire des hommes. La République que j’aime a été le fruit d’hommes et de femmes, qui ont voulu que les règles de l’égalité s’appliquent » explique Jean-Louis Debré. Il poursuit : « Qui connaît la première bachelière qui s’est battue pour avoir le droit de passer le baccalauréat ? Qui se souvient de la première femme musulmane ministre de la République ? Elle a été élevée par les instituteurs de la République et dit à ses frères et sœurs algériennes en 1959 d’enlever le voile, que ce n’était pas renoncer à sa religion, mais la liberté d’être égale aux hommes. » La politique, même « regardée avec distance », n’est jamais très loin.

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