La réforme des institutions au cœur du duel Macron – Le Pen

La réforme des institutions au cœur du duel Macron – Le Pen

Alors que la réforme institutionnelle s’invite dans ce début de campagne de second tour, plusieurs questions entourent encore les projets d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen. Le premier doit composer avec son échec à faire adopter sa réforme de 2017, tandis que la seconde devra se frotter à la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour appliquer son programme.
Public Sénat

Par Louis Mollier-Sabet et François Vignal

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Deux sujets semblent polariser ce début de campagne d’entre-deux-tours : la réforme des retraites, sur laquelle Emmanuel Macron souffle le chaud et le froid, et la réforme des institutions, mise à l'agenda à Marine Le Pen, en organisant hier une conférence de presse sur le sujet. La candidate du RN a ainsi mis la pression sur le Président sortant, obligé de réagir à propos de la proposition de septennat non-renouvelable évoquée par Marine Le Pen. Emmanuel Macron, en plein déplacement à Châtenois, en Alsace, se retrouve donc au détour d’une question à se dire favorable au « rythme » du septennat, tout en rejetant son caractère non-révocable : « Je laisserai plutôt le peuple décider du caractère renouvelable ou non du septennat. » En réagissant à brûle-pourpoint, Emmanuel Macron a ouvert la porte à l’idée qu’il entendait transformer un éventuel quinquennat en septennat, qui plus est renouvelable. Correction immédiate ce matin sur France 2 : « Quand on parle de réforme constitutionnelle, je dis que le septennat me paraissait une bonne option, mais il ne vaudra de toute façon pas pour le mandat qui vient, d’évidence. » D’évidence peut-être, mais sur la question des réformes institutionnelles, il n’y a pas grand-chose d’évident des deux côtés. Retour sur ce que l’on sait à l’heure actuelle des programmes et de la philosophie des candidats sur le sujet.

« Révolution référendaire », proportionnelle : les questions autour de la réforme constitutionnelle de Marine Le Pen

Aucun livret spécifique sur le sujet n’est disponible sur le site de campagne de Marine Le Pen. Mais certaines mesures, comme la proportionnelle aux élections législatives, font partie de l’ADN du Front national depuis les législatives de 1986 – les seules qui se sont déroulées sous ce mode de scrutin – où le parti de Jean-Marie Le Pen avait fait une entrée fracassante au Parlement avec 35 députés élus. Mardi, Marine Le Pen a précisé qu’elle entendait instaurer le scrutin proportionnel pour 2/3 des députés et laisser le Parlement décider de comment devrait être élu pour le dernier tiers, semblant pencher pour une prime majoritaire pour le parti arrivé en tête. Cela confèrerait mécaniquement une majorité à un parti arrivé en tête avec 20 % – le RN par exemple – des voix, puisqu’il récolterait 20 % des sièges avec le scrutin proportionnel de liste, puis 33 % des sièges par la prime majoritaire. Mais le cœur des annonces de mardi résidait dans la « révolution référendaire » voulue par la candidate du RN, qui a notamment proposé d’abaisser à 500 000 le nombre de signatures d’électeurs nécessaires pour déclencher un Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC), qui permettrait d’adopter des nouvelles lois directement par référendum ou d’abroger des lois déjà existantes.

» Pour en savoir plus : Marine Le Pen détaille sa « révolution référendaire »

Marine Le Pen a ainsi réaffirmé son souhait de mener à bien une réforme constitutionnelle directement votée « par le peuple », c’est-à-dire par référendum, en estimant que cela ne devrait pas être le rôle du Parlement de valider ou non des révisions constitutionnelles. Elle entend ainsi « tordre le cou à un prêt-à-penser qui prospère dans les élites et les médias, selon lequel le peuple français ne serait pas apte à décider par lui-même. » Le seul problème, c’est qu’à l’heure actuelle, la procédure de révision constitutionnelle prévue par l’article 89 de la Constitution nécessite une adoption conforme du projet de loi par l’Assemblée nationale et le Sénat. Le Sénat n’étant pas renouvelé avant 2023, Marine Le Pen ne devrait a priori pas pouvoir emprunter cette voie avec succès. La candidate du RN a donc évoqué la possibilité d’utiliser le référendum législatif prévu par l’article 11 de la Constitution, qui permet de faire adopter directement par référendum « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent. »

Jouant sur l’interprétation de la formule « organisation des pouvoirs publics », le général de Gaulle avait par exemple fait adopter l’élection du Président de la République au suffrage universel direct par une révision constitutionnelle en 1962 pour contourner le Parlement, contre l’avis du Conseil constitutionnel. Or, depuis, le rôle du Conseil constitutionnel s’est largement renforcé, et sa jurisprudence s’est étoffée et de l’avis de plusieurs constitutionnalistes, le décret de convocation d’un référendum invoquant l’article 11 serait censuré. Marine Le Pen conteste, en se rangeant derrière l’usage du référendum législatif par le général de Gaulle, déjà vivement critiqué en 1962, mais explique aussi à demi-mot que le Conseil constitutionnel n’a pas à empêcher le peuple de se prononcer par référendum. La « révolution référendaire » serait donc aussi une « révolution constitutionnelle » puisqu’elle reviendrait sur 50 ans d’évolution de la jurisprudence autour du rôle du Conseil constitutionnel.

Les contours de la réforme institutionnelle d’Emmanuel Macron se dessinent : septennat, midterms et autres pistes de la majorité présidentielle

Du côté d’Emmanuel Macron, la réforme institutionnelle était un des piliers de son « projet » de 2017 et un des premiers chantiers lancés par le Président de la République. Le programme de 2022 reprend ce « chantier de la démocratie » en regrettant que « la réforme institutionnelle proposée en 2017 » ait « été bloquée par les oppositions. » Emmanuel Macron propose ainsi de « changer de méthode avec la mise en place d’une convention transpartisane afin de moderniser nos institutions, pour plus d’efficacité et de vitalité démocratique. » Le contenu exact de cette réforme institutionnelle reste donc ouvert à la négociation « transpartisane », mais dans un entretien au Point, le Président évoque tout de même dans « une réflexion libre », « un septennat avec des midterms », sans remettre en cause la Vème République, mais plutôt « son efficacité. »

Dans la majorité présidentielle, les idées fleurissent chez les responsables les plus proches du dossier de la réforme institutionnelle. Concernant ces midterms, notamment, plusieurs pistes sont envisagées. « Est-ce que ça peut être les élections locales ? Ou est-ce qu’on renouvelle la moitié de l’Assemblée à mi-mandat ? », s’interroge à voix haute un responsable de la majorité présidentielle qui connaît le sujet. Un mode de scrutin qui s’inspirerait dans ce cas des élections sénatoriales, où la Haute assemblée est renouvelée par moitié tous les trois ans. « Cela marche si on a fait la proportionnelle », note le même. La problématique de « l’inversion du calendrier », qui fait que depuis 2002, les législatives suivent la présidentielle la même année, est aussi évoquée. Le changement de méthode, que vante Emmanuel Macron, pourrait passer aussi par un changement de pratique et d’état d’esprit au Parlement. Plutôt que rejeter la majeure partie des amendements de l’opposition, « on pourrait prendre tel amendement socialiste. C’est une question d’attitude », illustre un ministre. Plus détonnant, la suppression du 49-3 est évoquée. Mais l’idée ne semble pas réaliste. « Ce serait difficile », reconnaît un membre de l’exécutif. Une parlementaire LREM défend aussi « l’élection le même jour du Président et des députés, le non-cumul dans le temps, une dose de proportionnelle, le renfort du Parlement », tout en limitant le droit d’amendement en séance aux sujets en lien direct avec le texte, ou encore un recours régulier au référendum.

Mais quid du Sénat dans cette affaire, sans qui une modification de la Constitution, si elle s’avérait nécessaire, est impossible sans son accord ? Un compromis sera-t-il possible en mettant tout le monde autour de la table ? La dernière tentative de réforme a abouti, comme on le sait, à un échec, faute d’accord entre la Haute assemblée et l’exécutif. Mais « est-ce que le Sénat sera en situation d’imposer des choses et d’être le lieu du contre-pouvoir, quand Valérie Pécresse fait 4,8 % ? », interroge un ministre, qui pointe « l’esprit un peu boutiquier de Gérard Larcher », lors de la précédente tentative de réforme. L’échec de la droite à la présidentielle ne change rien cependant au pouvoir de blocage dont dispose le Sénat, à majorité LR et centriste. Les sénateurs sauront, à n’en pas douter, faire entendre leur voix sur le sujet, peu importe leur score à l’élection présidentielle.

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