La victoire des nationalistes en Irlande du Nord, un succès symbolique qui ne change « pas grand-chose »

La victoire des nationalistes en Irlande du Nord, un succès symbolique qui ne change « pas grand-chose »

Dans les mains des unionistes depuis plus de 50 ans, l’Irlande du Nord vient de connaître un changement politique majeur, le Sinn Fein parti nationaliste favorable à la réunification avec Dublin remporte les élections législatives. La vice-présidente du parti, Michelle O’Neill devrait occuper le poste de premier Ministre.
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Par Louis Dubar

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Les Nord-Irlandais ont voté pour désigner les 90 députés de leur parlement local disposant d’une autonomie interne importante au sein du Royaume-Uni. Les pouvoirs régaliens dépendent de Londres. Pour Christophe Gillissen, professeur de civilisation britannique et irlandaise à l’Université de Caen, ce résultat est historique pour le Sinn Fein, qui se défait de l’image encombrante de l’IRA qui lui collait à la peau, 24 ans après l’accord du Vendredi saint mettant fin à un conflit meurtrier entre unionistes et nationalistes.

En quoi la victoire du Sinn Fein est un fait historique pour l’Irlande du Nord ?

Cette victoire électorale du Sinn Fein est un événement historique majeur dans la vie politique locale. Depuis la création de l’Irlande du Nord en 1921, c’est la première fois qu’une nationaliste est nommée à la plus haute fonction de la province britannique. D’un point de vue institutionnel, cela ne change pas grand-chose. Du fait de l’accord du Vendredi saint en 1998 mettant fin aux « Troubles », le premier ministre d’Irlande du Nord ne peut pas prendre une décision sans l’accord du numéro deux de l’exécutif local, le vice-premier ministre. Ce système de partage de pouvoir entre unionistes et nationalistes est une garantie de protection pour les deux communautés. Jusqu’aux résultats du samedi 7 mai, c’était un unioniste qui occupait le poste Premier ministre et une nationaliste (Michelle O’Neill, ndlr) le poste de vice-premier ministre. Ces résultats inversent simplement les rôles.

De plus, la percée électorale du Sinn Fein est sûrement liée à des changements démographiques majeurs. L’Irlande du Nord a été créée au début du XXe siècle pour garantir une base unioniste durable, une population nord irlandaise majoritairement protestante attachée à la couronne. En juin prochain, le recensement démographique mené en 2021 devrait être dévoilé au public. Il est probable que ce document démontre que les catholiques sont devenus majoritaires. En 2011 lors du dernier recensement, les protestants représentaient 48 % de la population contre 45 % pour les catholiques.

Quel est le parcours de Michelle O’Neill, future première ministre, elle appartient à cette génération qui n’a aucun lien avec l’IRA, joue-t-elle de cette image ?

C’est certain. Jusqu’en 2018, le président historique du Sinn Fein était Gerry Adams, même s’il a été l’un des acteurs de l’accord de paix en 1998. Son nom reste indissociable de celui de l’IRA, organisation qui a commis de nombreux attentats meurtriers en Irlande du Nord. Membre de l’IRA, il est un acteur du conflit qui a du sang sur les mains, directement ou indirectement.

Avec Marie Lou McDonald, présidente du Sinn Fein depuis 2018, Michelle O’Neill incarne une nouvelle génération qui n’a pas participé au conflit. Cette transformation des organes dirigeants a permis une certaine « dédiabolisation » et a renouvelé l’image du parti. De nombreux électeurs qui ont accordé leur confiance à Michelle O’Neill, ne l’auraient pas attribué à Gerry Adams le candidat du Sinn Fein. Depuis le début des années 2000, le parti nationaliste a enregistré une lente progression électorale passant de 23,5 % des voix aux élections de 2003 à 29 % en 2022.

Ces élections ont consacré le déclin du parti Unioniste démocrate (DUP), principale force politique en faveur du rattachement à la Couronne britannique, quelles sont les raisons de cet échec ?

La chute du parti unioniste démocrate (DUP) à ces élections est liée à plusieurs facteurs. Les électeurs sanctionnent tout d’abord la politique du DUP par rapport à la gestion du Brexit. La formation unioniste a été le seul grand parti à faire campagne en faveur du Brexit en juin 2016 alors que 56 % des Nord-Irlandais ont voté pour que le Royaume Uni reste membre de l’Union européenne. Le DUP a multiplié les erreurs au niveau national. Entre 2017 et 2019, ne disposant pas d’une majorité absolue à la chambre des communes, les parlementaires unionistes étaient des alliés essentiels pour la Première ministre Theresa May. Ils ont continuellement mis des bâtons dans les roues à la dirigeante conservatrice notamment en s’opposant au « filet de sécurité » (backstop) prévu dans l’accord de retrait de l’UE qui maintiendrait le Royaume-Uni dans une union douanière avec Bruxelles avec un alignement plus poussé sur les normes de l’UE. Ils ont voté contre ce projet et ont favorisé sa démission et l’arrivée au pouvoir de Boris Johnson. Avec les élections anticipées de 2019, l’ancien maire de Londres a pu se passer des parlementaires DUP. Les unionistes ont vraiment perdu en crédibilité.

Deuxième parti unioniste jusqu’en 2007 derrière le Parti unioniste d’Ulster (UUP), le DUP a su s’ouvrir et s’élargir mais désormais de nombreux courants existent et ont du mal à cohabiter. Le parti doit composer entre une aile traditionnelle très conservatrice, notamment sur les questions sociales, et des éléments politiques progressifs.

La victoire du Sinn Fein remet-elle la question de la réunification avec l’Irlande du sud, au cœur des débats politiques ?

La réunification n’est pas pour tout de suite. Il faudra attendre au moins une dizaine d’années avant que cela ne se réalise concrètement. Pour le moment, la principale crainte de Londres et de Dublin est de savoir si le DUP va jouer le jeu de ce partage du pouvoir et désigner un vice-premier ministre. Si le DUP ne se plie pas à ce principe, la gouvernance de l’Irlande du Nord serait paralysée. De plus, une réunification représenterait un chantier économique et politique colossal pour les deux Irlandes. Il y a eu la leçon du Brexit, un référendum improvisé, sans aucune préparation dans la mise en œuvre. Il faudrait éviter cette erreur et mener un travail de réflexion en amont. A Dublin, le gouvernement travaille à cela, en encourageant les discussions et en sondant les opinions.

C’est toutefois un sujet moins clivant que par le passé dans la société nord-irlandaise. Le protocole sur le Brexit a permis d’éviter le retour d’une frontière dure. Les Irlandais circulent librement des deux côtés de la frontière, c’est une réunification au quotidien dans la vie des gens. Dans le passé, la réunification représentait pour les unionistes, un casus belli. Aujourd’hui, c’est beaucoup moins le cas. Il y a quelques décennies la République d’Irlande était un pays pauvre avec une forte tradition catholique et une Eglise très influente sur les questions sociales. Cette image s’est lissée au cours des décennies, la société irlandaise a connu de nombreux bouleversements en devenant le premier pays du monde a adopter le mariage entre deux personnes de même sexe par référendum. Depuis 2018, l’avortement est autorisé après un vote référendaire. Cette société n’évoque plus les mêmes craintes chez les protestants unionistes du Nord.

Cette thématique de la réunification n’est plus un marqueur politique déterminant. Cette idée est confortée par les résultats du 7 mai. Le Parti de l’alliance, formation centriste, troisième force après le 7 mai ne se définit ni unioniste, ni nationaliste. Le parti attire beaucoup de citoyens qui se disent que la frontière n’est pas le véritable enjeu. Ils préfèrent mettre l’accent sur l’environnement et les questions sociales.

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