Lactalis auditionné au Sénat : « Pourquoi votre PDG n’est pas là ? »

Lactalis auditionné au Sénat : « Pourquoi votre PDG n’est pas là ? »

Auditionné par les sénateurs de la commission des Affaires économiques, Michel Nalet, le directeur de la communication de Lactalis, dans la tourmente depuis la contamination aux salmonelles de laits infantiles, s’est exprimé sur les contrôles sanitaires menés par l’entreprise et sur la gestion de cette crise. Des échanges parfois vifs et des interrogations qui demeurent.
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Sa venue était très attendue. Les sénateurs de la commission des Affaires économiques ont auditionné ce matin le directeur de la communication de Lactalis, Michel Nalet. Les parlementaires cherchent à faire la lumière sur la contamination à la salmonelle de lait infantile, produit par une usine du groupe, et sur les défaillances dans la procédure de rappel des lots impactés.

Le cycle d’auditions, qui va concerner différents acteurs de la chaîne, a débuté ce mardi avec les réponses de Virginie Beaumeunier, directrice générale de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF).

« Droit de réserve » du PDG Emmanuel Besnier

Les questions et les réponses, exprimées parfois avec passion, se sont étalées sur une heure et demie. Plusieurs sénateurs ont notamment insisté sur l’absence du PDG du groupe, Emmanuel Besnier. « Pourquoi votre PDG n’est pas là devant la représentation nationale ? Ça aurait été sa place. Est-ce un manque de courage ? Devant une telle crise sanitaire, je pense qu’il devait répondre », a regretté le sénateur (PS) Martial Bourquin. « C’est absolument anormal », a renchéri Joël Labbé, sénateur du groupe RDSE. Michel Nalet, qui se dit « proche de M. Besnier », a répondu :

Audition de Lactalis : « Pourquoi votre PDG n’est pas là devant la représentation nationale ? », demande Martial Bourquin
01:44
« Pourquoi votre PDG n’est pas là devant la représentation nationale ? », demande Martial Bourquin (PS)

« Il s’est engagé auprès de moi d’aller vous rencontrer les uns les autres. Mais dans le contexte dans lequel nous sommes, et qui est tout à fait particulier, il n’a effectivement pas souhaité venir. Ce qui ne veut pas dire – et j’en prends l’engagement devant vous – qu’il ne le fera pas dans le futur […] Il y a aussi, à un moment donné, un droit de réserve qu’il veut exprimer aujourd’hui. »

Michel Nalet l’a répété : les procédures de contrôles internes ont été respectées et appliquées.

« Je ne peux pas laisser planer le doute sur le fait que nous avons mis en circulation des produits sans qu’il n’y ait eu des contrôles. Tous se sont révélés négatifs à cette salmonelle. Il est hors de question et inimaginable pour une entreprise comme la nôtre que sciemment nous ayons commercialisé ces produits. »
Michel Nalet

Le directeur se dit « blessé » à titre personnel devant ces accusations.

« En termes d’hygiène, c’est notre préoccupation numéro 1. C’est notre métier de mettre sur le marché des produits sains », a-t-il ajouté, en réponse à Fabien Gay. Le sénateur communiste a rapporté des propos de certains salariés et syndicalistes de Lactalis selon lesquels les « conditions d’hygiène » seraient « dégradées ».

« Depuis quand saviez-vous ? »

Les sénateurs ont été nombreux à réclamer une chronologie précise des faits. « Ma question est simple : depuis quand saviez-vous ? », a demandé la présidente de la commission, la sénatrice (LR) Sophie Primas, précisant que leur démarche n’était « pas de transformer le Sénat en tribunal ».

« Nous avions indiqué dans notre environnement, nous avions trouvé le 23 août 2017 et le 2 novembre 2017 des traces de cette Salmonella agona. Nous avons immédiatement mis en place la procédure qui est prévue dans ce cas et qui est de nettoyer de manière approfondie, de faire des contrôles renforcés autour de cette date sur les productions qui ont été faites à ce moment-là. En aucun cas nous avons trouvé de résultat positif. Ce qui a permis bien entendu de repartir […] Donc nous ne savions pas, et la première information que nous avons eue, je le redis, date du vendredi 1er décembre au soir quand on nous a signalé des nourrissons malades par la DGS ou le service de Public Santé France. Avant, nous n’avions pas l’information », a exposé Michel Nalet.

Sur cette période du 23 août au 2 novembre, le sénateur Serge Babary (LR) avoue être « inquiet ». « Comment se fait-il qu’à ce moment-là rien ne soit apparu ? Est-ce que c’est avéré ou est-ce qu’il faut mettre en cause la nature des contrôles ? » Son collègue socialiste, Henri Cabanel, se montre lui aussi interrogatif sur ces traces détectées en août : « Pourquoi, à ce moment-là, n’avez-vous pas appliqué le principe de précaution ? »

Audition de Lactalis : « Comment se fait-il qu’à ce moment-là rien ne soit apparu ? » (Serge Babary)
02:26
« Comment se fait-il qu’à ce moment-là rien ne soit apparu ? », s'interroge Serge Babary (LR)

« On a essayé de comprendre comment cette souche aurait pu persister »

Le directeur de la communication a indiqué que les investigations conduites depuis la découverte en décembre d’une contamination, mettent en lumière le rôle de travaux de modernisation effectués plus tôt :

« Cette recherche de causalité, du fait générateur, nous a guidés depuis plus d’un mois et nous a amenés à faire de très nombreuses analyses tout au long de cette période. Dès le début, nous avons évoqué que des travaux qui ont été réalisés dans le courant du premier semestre auraient pu amener une certaine résurgence de cette bactérie […] Pour le moment, on est dans cette hypothèse de travaux qui ont été réalisés pour moderniser une partie de la tour de Craon. »
Michel Nalet

Audition de Lactalis : « Pour le moment, on est dans cette hypothèse de travaux » (Michel Nalet)
04:52
« Pour le moment, on est dans cette hypothèse de travaux qui ont été réalisés pour moderniser une partie de la tour de Craon », déclare Michel Nalet

Sur la correspondance entre une souche détectée en 2005 et celle découverte en 2017, Michel Nalet explique qu’aucun contrôle réalisé sur cette période n’a permis de mettre au jour une anomalie.

« On a essayé de comprendre comment cette souche aurait pu persister, survivre à certains endroits du site alors même, qu’entre 2007, date à laquelle le groupe a repris cette activité et 2017, nous n’avions eu aucun bébé malade et aucune trace de cette salmonelle dans nos produits et dans l’environnement. L’enquête montrera ce que j’affirme aujourd’hui. »

« On ne pourra plus se contenter d’entendre dire que le risque zéro n’existe pas »

Les interventions des sénateurs se succèdent, le sentiment d’incompréhension domine. « Comment vous pouvez justifier que 11.000 tonnes de produits puissent partir sans que vous n’ayez la certitude qu’ils sont sains ? Si les analyses sont régulières et systématiques sur tous les lots, comment expliquer qu’il y ait pu avoir une telle dispersion ? Soit, il y a un défaut dans le process, soit il y a un mensonge », réagit Marc Daunis, le sénateur socialiste des Alpes-Maritimes, qui refuse toute évolution dans la législation avant que la « clarté » ne soit faite sur l’affaire.

 « Après les cas de 2005 et celui de 2017, on ne pourra plus se contenter d’entendre dire que le risque zéro n’existe pas ou que c’est la faute à pas de chance », appuie le sénateur (PS) Roland Courteau.

Sur la traçabilité des produits, le représentant de Lactalis affirme qu’un engagement a été pris pour « améliorer » les procédures auprès des clients et des intervenants, et que « tous les outils » ont été engagés sur la procédure de rappel et la communication. « Mon 06 a circulé », confie-t-il.

« C’est la loi, que vous soyez d’accord ou pas »

Au-delà de l’aspect sanitaire, essentiel, la commission des Affaires économiques s’interroge en parallèle sur les conséquences sociales et financières de cette crise pour les salariés, mais aussi sur la filière et les éleveurs. « Je voudrais connaître le coût global estimé pour l’entreprise de cette situation », demande Laurent Duplomb (LR). Sa question restera sans réponse. « Aucun service de l’État ne permettra de reprendre une activité quelconque sans qu’il n’y ait des garanties totales », rappelle le directeur de la communication sur l’usine à l’arrêt.

Sur les conséquences pour les éleveurs, Michel Nalet indique qu’il n’y a eu « aucune rupture de collecte ».

« On s’est engagé pour qu’il n’y ait pas le moindre doute sur le fait que notre prix du lait ne sera pas affecté du delta d’éventuelles pertes ou difficultés que le groupe pourrait rencontrer […] Il ne sera pas dit que le prix du lait sera lié à l’incident de Craon. »
Michel Nalet

Trois sénateurs sont par ailleurs intervenus sur la non-publication des comptes de Lactalis, et sur l’opacité entourant ses marges. « Nous ne sommes pas opposés au dépôt, puisque l’administration les connaît, nous sommes opposés au jeu de la communication qui pourrait en être fait », avait expliqué Michel Nalet dans son propos préliminaire. « C’est la loi, que vous soyez d’accord ou pas », a répliqué Henri Cabanel.

Auditionné au Sénat, Lactalis s'explique sur la non-publication de ses comptes
04:10
Comptes de Lactalis : « Nous ne sommes pas opposés au dépôt, puisque l’administration les connaît »

L’audition arrive vite à son terme. Michel Nalet prend un autre engagement, celui de répondre à « tous » les sénateurs. « Notre devoir est aujourd’hui de tout faire pour que cela ne se reproduise pas. Je ne sais pas comment le dire, mais c’est ce qui nous occupe depuis le 1er décembre ».

Revoir l'audition de Michel Nalet en intégralité :

[Replay] Audition du directeur de la communication de Lactalis devant le Sénat
27:21

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