Laïcité : comment les enseignants sont accompagnés depuis l’assassinat de Samuel Paty

Laïcité : comment les enseignants sont accompagnés depuis l’assassinat de Samuel Paty

Un an après l’assassinat du professeur Samuel Paty, suite à un cours sur la liberté d’expression, retour sur les différentes mesures mises en place dans les collèges et lycées pour aider les enseignants à mettre en avant la laïcité et gérer les situations conflictuelles.
Romain David

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Minute de silence, débats en classe, projets pédagogiques… La journée de vendredi était consacrée dans les écoles, les collèges et les lycées de France à un hommage à Samuel Paty, prenant la forme que les équipes pédagogiques de chaque établissement souhaitaient lui donner. La mémoire de ce professeur d’histoire-géographie de Conflans-Sainte-Honorine, décapité le 16 octobre 2020 suite à la diffusion, en classe, de caricatures de Mahomet dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression, sera encore saluée samedi, avec le dévoilement d’une plaque à son nom dans l’entrée du ministère de l’Education nationale. « Samuel Paty est devenu le symbole, l’emblème de la République et de la liberté », a déclaré mercredi au Sénat, à l’occasion de la séance des questions au gouvernement, Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale.

Interrogé sur les mesures prises depuis ce drame, le locataire de la rue de Bellechasse a assuré que les équipes des rectorats étaient au chevet des établissements. « Cette tragédie nous amène à agir sur toutes les dimensions du problème. La doctrine de l’Éducation nationale n’est plus de mettre les problèmes sous le tapis, tous les signalements remontent », a expliqué le ministre. À cela, s’ajoute une série de dispositifs, pour certains mis en place avant la mort de Samuel Paty, concernant pour l’essentiel la formation des enseignants et la promotion de la laïcité.

Un renforcement de l’enseignement civique

Dans une interview au Parisien, quelques semaines après la mort de Samuel Paty, Jean-Michel Blanquer se prononçait en faveur d’un « renforcement de l’enseignement moral et civique [l’EMC, qui a remplacé en 2015 les cours d’éducation civique, ndlr], notamment en termes de nombre d’heures de cours ». Il était également question d’une réforme du diplôme national du brevet des collèges, afin que cet examen prenne davantage en considération l’engagement civique. Mais la crise sanitaire déclenchée par le covid-19 et les confinements successifs ont vraisemblablement laissé cette annonce en suspens.

Concernant l’EMC, « il y a des difficultés à se saisir des programmes », pointe auprès de Public Sénat Rémy-Charles Sirvent, secrétaire national du Syndicat des Enseignants-UNSA, en charge des questions de laïcité, mais également secrétaire général du Comité national d’action laïque. « Après les confinements et l’école en distanciel, nous avons dû parer au plus pressé en nous concentrant sur le rattrapage des programmes principaux », explique cet enseignant.

« Malheureusement, l’enseignement moral et civique a souvent tendance à servir de variable d’ajustement », observe la sénatrice LR Else Joseph, membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui a enseigné l’histoire-géographie au collège jusqu’à son élection, en septembre 2020. « La mort de Samuel Paty m’a particulièrement touchée, car le cours qui lui a valu d’être assassiné, je l’avais fait un mois plus tôt », glisse-t-elle. « Ce drame aurait dû être une vaste réflexion sur la manière dont on enseigne la laïcité à l’école, sur la manière dont l’ensemble du corps enseignant, et pas seulement les profs d’histoire-géographie, doit se saisir de cette question, mais je constate que la crise du covid-19 a rapidement éclipsé le débat. Pour moi, ce n’est pas en rajoutant une ou quatre heures d’EMC que l’on va changer les choses. »

Un « guide républicain » à la disposition des personnels éducatifs

Depuis la rentrée, chaque établissement dispose d’un « guide républicain » envoyé par le ministère, « nouveau maillon pour transmettre et faire vivre les valeurs de la République », indique le site internet de l’Éducation national. Il s’agit d’une sorte de valise de référence sur la laïcité, composée de trois ouvrages : un recueil de textes fondamentaux baptisé « L’idée Républicaine », une « somme pédagogique » consacrée à chaque discipline enseignée de l’école au lycée, et un vademecum de la laïcité à l’école, c’est-à-dire un ensemble de fiches pratiques qui rappellent le cadre juridique face aux situations d’atteinte à la laïcité. Un quatrième texte est annoncé pour la fin d’année : « Respecter autrui à l’école élémentaire ». « Ce guide accompagnera les professeurs des écoles dans cet enseignement fondamental qui concourt à faire des élèves de futurs citoyens conscients de leurs droits et de leurs obligations vis-à-vis de leurs pairs, des adultes qui les entourent et, plus largement, de la société dans laquelle ils vivent », précise encore le ministère.

« Cela n’est pas si mal que ça, le vademecum est plutôt bien fait », salue Rémy-Charles Sirvent, qui rappelle qu’il s’agit d’une amplification du « livret sur la laïcité » mis en place par Najat Vallaud-Belkacem sous le quinquennat précédent, ouvrage alors essentiellement accès sur la prévention. Ce syndicaliste s’interroge toutefois sur la capacité des enseignants à se saisir de ces différents instruments. « Le ministère n’adresse qu’un guide par établissement, là où il y a parfois plus de cinq professeurs d’histoire-géographie. Je rappelle que mis bout à bout, ces différents ouvrages représentent environ 1 000 pages. Comment vérifie-t-on, une fois qu’ils ont été envoyés, que l’enseignent a pu se les approprier ? ». Pour Else Joseph, le risque est de voir ces textes finir « dans le tiroir du bureau du directeur ». Elle-même avoue n’avoir jamais eu accès au vademecum de la laïcité, pourtant disponible depuis plusieurs années. « L’autre écueil, c’est d’avoir affaire à des contenus indigestes et hors sol, il faut mettre en place des situations pratiques. »

Un plan de formation

La pratique, justement, pourrait être au cœur du vaste plan de formation à la laïcité sur quatre ans qui a été lancé par le ministère de l’Éducation nationale. La préparation des formateurs doit débuter courant octobre, avant que les premiers enseignants puissent intégrer cette formation début 2022. « L’ambition est gigantesque. Il y a un trou dans la raquette, il est énorme et il faut le combler », souligne le secrétaire général du Comité national d’action laïque. En 2018, dans un sondage Ifop réalisé pour ce comité, 74 % des enseignants interrogés disaient ne pas avoir reçu de formation initiale pour enseigner le principe de laïcité.

« Il ne s’agirait pas de balancer des Power Point », avertit Rémy Sirvent. « Il faut construire des réponses pédagogiques en équipe, ce qui implique que le professeur puisse s’extraire de sa classe, durant quelques jours, pour s’y consacrer pleinement. Ce sont des choses qui demandent du temps, et des remplaçants ! ». Pour l’heure, une période de 10 jours répartis sur deux ans a été évoquée.

En attendant, un parcours d’autoformation de 2 à 6 heures, baptisé « faire vivre les valeurs de la République » est disponible en ligne. Il s’attache notamment à proposer des pistes pour « la résolution de situations difficiles ». Cette formation a été suivie par plus de 1 500 personnes sur quelque 869 000 enseignants que compte la France, selon les chiffres du ministère.

Les équipes « Valeurs de la République »

Depuis 2017, chaque académie dispose d’une équipe « Valeurs de la République ». Coordonnées par des inspecteurs, elles interviennent auprès des enseignants et des chefs d’établissement, notamment après le signalement d’une atteinte au principe de laïcité, via une plateforme dédiée. Une équipe de ce type était notamment intervenue au collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine après le cours sur la liberté d’expression dispensé le 6 octobre 2020 par Samuel Paty, et qui avait suscité de vives réactions chez certains élèves et parents d’élèves.

« Un comité interministériel sur la laïcité »

Supprimé dans la foulée de l’assassinat de Samuel Paty, l’Observatoire de la laïcité a laissé place à un comité interministériel sur la laïcité, placé sous la tutelle de Matignon. En juillet dernier, cette instance a défini 17 engagements dans sa feuille de route, parmi lesquelles la mise en place de « référents laïcité » dans les administrations, mais aussi un renforcement de la formation initiale des personnels de l’Éducation nationale « dans le cadre d’un module dédié à la laïcité » au sein des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation.

La mission d’information que vient de lancer la commission de la culture et de l’éducation du Sénat, sur les réformes apportées par Jean-Michel Blanquer depuis sa nomination, pourra notamment être l’occasion d’un prochain point d’étape sur les dispositifs consacrés à la laïcité. Mais Pour Rémy-Charles Sirvent, ces mesures doivent s’inscrire dans un cadre plus vaste, qui est celui de la lutte contre les inégalités. « On observe que là où il n’y a plus de mixité, la pression familiale et religieuse est plus forte. Je rappelle que la première préconisation du rapport Obin de 2004, sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires, était de favoriser la mixité sociale ! ». De son côté, la sénatrice Else Joseph estime que l’enseignement de la laïcité ne participera véritablement à la construction d’un « vivre ensemble » que s’il dépasse la cadre scolaire. « Comme enseignante, j’ai passé beaucoup de temps à expliquer, à répéter les choses. Il faut que l’on puisse avoir des relais, que derrière les associations, les clubs sportifs et autres suivent. »

» Lire aussi : Liberté d’expression : a-t-on le droit de tout dire ?

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