Le champ politique : la France des villes versus la France des champs

Le champ politique : la France des villes versus la France des champs

Les deux semaines au Salon de l’Agriculture ont été l’occasion pour les politiques de prouver leur attachement au monde rural et à ses valeurs. C’est aussi un moyen pour eux de dévoiler leurs talents cachés d’agriculteurs, à l’heure où l’expression « président des villes » colle à la peau d’Emmanuel Macron. Alors que Laurent Wauquiez et Marine Le Pen se posent en défenseurs de la ruralité, que penser de l’approche du Président de la République, à la fois à l’écoute auprès des animaux mais donneur de leçons envers les agriculteurs ? Au moment où le monde agricole semble exaspéré, est-ce vraiment utile pour le Président de se mettre autant en scène au salon ?
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Par Prescillia Michel

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Le Salon de l’Agriculture : un lieu où « s’approprier des valeurs du monde rural »

Le monde politique et les animaux, une grande histoire d’amour… enfin presque. Loin d’être une simple visite pour donner de bons soins aux animaux, il s’agit pour les politiques de donner à voir deux facettes : celle de la fonction publique et celle de l’homme proche du monde rural. 

Ce fut le cas de Jacques Chirac qui « assume les deux rôles en même temps », c’est-à-dire l’aspect présidentiel et d’éleveur analyse le sémiologue Denis Bertrand. Tandis qu’Emmanuel Macron s’impose selon Hervé Le Bras, démographe : « quand il est face à un bovin, il exprime très bien son autorité ».

Alors que Laurent Wauquiez « insiste sur le côté familial », le Président de la République quant à lui « va beaucoup plus insister sur le côté technique, technologique » pour le démographe. Dans tous les cas « c’est pour chacun un moyen de se montrer dans sa politique dans un registre tout à fait traditionnel qui est celui de notre passé agricole, presque paysan ».

Selon Jean-Christophe Bureau, professeur à l’Agro Paris Tech, les politiques ont du mal à cacher leur inexpérience dans le domaine agricole car « on a un rapport qui s’installe qui est : il y a des gens qui n’y connaissent rien, les hommes politiques, face à un professionnel qui par définition connaît ». Cette méconnaissance du monde rural n’empêche pas les agriculteurs de dire du bien des gestes et attitudes adoptés par les ténors politiques envers les animaux. Cette tolérance est un signe selon Jean-Christophe Bureau que les agriculteurs envoient « un signal pour collaborer, pour discuter » sachant que « ceux qui sont au salon, ce ne sont pas n’importe qui, ce sont souvent des responsables ». Il les qualifie ainsi de « bienveillants » à l'égard des hommes politiques.

Emmanuel Macron face aux agriculteurs : « une fois qu’on a vu cette fermeté, on se dit : mais qu’est-ce qu’on propose ? »

Emmanuel Macron le donneur de leçons ne semble pas avoir convaincu ses interlocuteurs lors de son discours donné en l’honneur des jeunes agriculteurs car, selon Hervé Le Bras : « il n’y a aucune direction qui est indiquée » . Cette démonstration laisse une impression d’embarras qui montre que le Président  « n’a pas une vision de la complexité de l’agriculture en France »  et qu’« il a vraiment une vision des villes » explique-t-il.

De ce discours ressort en revanche un ton inédit, énonçant « un vrai discours de franchise un peu menaçant » pour Jean-Christophe Bureau. Mais le haussement de ton d’Emmanuel Macron ne résout pas « les problèmes fondamentaux des filières qui ne sont pas du tout là » ajoute-t-il. Ce message au monde agricole dévoile alors une « politique du gouvernement qui n’est pas complètement définie en matière d’agriculture » pour le professeur d’Agro Paris Tech. Finalement, le but de cet exercice oratoire est « de faire retenir la force d’une implication » analyse Denis Bertrand qui poursuit sur l’idée qu’il « illustre un talent particulier d’Emmanuel Macron : la capacité de multiplier en un temps très court les registres différents : à la fois dans la familiarité et dans la technicité ».

Le monde rural : l’affaire de tous ?  

Laurent Wauquiez et Marine Le Pen disent se sentir comme chez eux au Salon de l’Agriculture mais selon Denis Bertrand, « ce sont deux « chez moi » complètement différents ». Sur cette idée, le sémiologue poursuit « d’un côté c’est le pays, la nation », se rattachant aux idées du Front National et « d’un autre côté c’est le terroir, c’est l’action », plus proche de l’image que souhaite renvoyer le président de Les Républicains. Ce dernier se distingue en n’employant « que des phrases courtes […] comme pour énoncer une suite de faits sans commentaires » et agit « comme s’il parlait à des enfants » selon Denis Bertrand. Cette parenté au monde agricole revendiquée met en lumière selon Jean-Christophe Bureau « des fondamentaux qui sont assez vrais : la République en Marche n’est pas très bien implantée » et ne connaît pas vraiment cette France rurale que le président LR lui défend.  

En somme, l’immersion des politiques au salon ne suffit pas selon Denis Bertrand à effacer l’« abyme entre le monde de la ville et le monde des champs » même si entre les deux « la médiation de l’animal » rassemble. Grâce à l'acquisition d'une poule par l'Élysée, Emmanuel Macron parviendra peut-être à se détacher de son image de président des villes… pas sûr.

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