Le coronavirus, exhausteur d’inégalités

Le coronavirus, exhausteur d’inégalités

Santé, confinement, télétravail, plusieurs sociologues s’alarment sur le renforcement des inégalités engendrées par la crise sanitaire actuelle. Inégalités auxquelles le personnel politique devra faire face une fois l’épidémie contenue.
Public Sénat

Par Jonathan Dupriez

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Près de la moitié de la planète vit actuellement confinée. La France ne déroge pas à la règle depuis le 16 mars 2020, une situation inédite dans l’histoire du pays. Le confinement, loin d’être anodin, l’est encore moins pour les plus précaires et notamment les 4,3 millions de Français mal logés. « Le confinement rend matériellement insupportable les conditions de logement difficiles - petit logement et situation de surpeuplement modéré ou sévère, insalubrité... - d'une partie importante de la population qui est tenue de rester à son domicile des jours entiers là ou avant, une grande partie de la vie sociale se réalisait à l’extérieur » analyse la sociologue Anne Lambert, directrice de l’unité de recherche « Logement et Inégalités spatiales » à l’Institut national d’études démographiques (INED). Pour la chercheuse, ces difficultés ne sont pas nouvelles et sont intimement liées à la crise du logement en France. « On n’a pas bien régulé cette montée des loyers et des prix de l’immobilier à Paris et dans d’autres grandes villes, ce qui fait qu’un certain nombre de Français des classes populaires ou moyennes, vivent parfois en situation de surpeuplement ou dans des conditions dégradées. » Des conditions qui rendent très difficiles l’application des gestes barrière comme « s’isoler » ou « se laver les mains. »

« Entassement des habitants»

Ces gestes s’ils ne sont que faiblement mis en application, en plus de la promiscuité, sont des facteurs aggravant la propagation du covid-19. Une récente publication du Laboratoire Population Environnement Développement à Marseille, dont La Provence s’est fait l’écho, va en ce sens. À partir de données de l’Insee, plusieurs chercheurs ont cartographié les conditions de confinement des résidences principales de la Cité phocéenne en fonction du nombre de personnes par pièce. Les écarts vont de « 0,40 personne par pièce », soit 2 personnes pour un 5 pièces dans les beaux quartiers de la ville, à « 0,80 personne par pièce » dans les barres HLM des quartiers Nord et Est. « L'entassement des habitants dans des logements surpeuplés caractérise les quartiers populaires du centre-ville, les copropriétés dégradées et certaines cités de logements sociaux. Il renforce les autres formes d'inégalités au quotidien en période de confinement face au Covid-19 » affirme la géographe Elisabeth Dorier.

Inégalités et télétravail

Alors que l’économie française est à l’arrêt, l’essentiel ne semble plus reposer que sur une poignée de métiers peu valorisés avant la crise. « La caissière devient tout aussi importante que le flic » relève François Dubet, sociologue. Alors que de nombreuses professions peuvent se calfeutrer et télétravailler à l’abri du virus, le personnel soignant, les éboueurs et autres caissières se retrouvent en première ligne pour permettre à la société de subvenir à ses besoins élémentaires. Parfois, à leurs risques et périls. Jeudi dernier, une caissière d’un magasin Carrefour à Saint-Denis est décédée à 52 ans, infectée par le coronavirus. Cette employée travaillait dans la grande surface sans gants ni masque. Idem pour ce salarié de Manpower en poste pour l’entreprise américaine Fedex à Roissy, décédé lui aussi du covid-19. Des situations dramatiques qui illustrent l'exposition de certains emplois précaires au virus. Pour François Dubet, ces situations pourraient provoquer un électrochoc :« on découvre que tous ces gens, ces travailleurs, ces petits boulots qui étaient considérés comme des variables d’ajustement sont indispensables à notre société, c’est ça qui est complètement nouveau. »

Mais pour plusieurs sociologues, la crise actuelle ne saurait être résumée à une opposition classique, entre les catégories socio-professionnelles supérieures et les classes populaires. «Dire qu’il y aurait d’un côté les nantis qui peuvent rester chez eux et faire un vague télétravail et les autres ne me semble pas juste » admet François Dubet. Si Anne Lambert parle d’un « choc moral » engendré par le départ d’une partie des élites économiques des grandes villes vers des résidences secondaires, elle note qu’une « partie des cadres, notamment de la fonction publique, sont en ce moment mobilisés au front. » Personnel hospitalier et personnel administratif sont par exemple très exposés sur le terrain. Selon elle, la crise révèle ainsi une « éthique très forte du service public » pour garantir « la continuité de la vie sociale à tous les échelons. » Le sociologue Louis Chauvel, auteur de « La Spirale du déclassement », abonde : « les médecins, qui font partie des catégories moyennes très supérieures de la structure sociale française, et même si leur revenu ne suit pas leur prestige, sont exposés à un seuil de risque bien pire qu’un livreur d’Amazon. » Toutefois, ces sacrifices consentis par quelques-uns pour l’ensemble de la société pourraient avoir un coût politique important dans l’après-crise. « Il faudra rediscuter du statut du personnel soignant par exemple, de ceux qui travaillent et que l’on méprisait plus tôt, des revenus exorbitants des uns et de la précarité des autres, tout cela va poser problème » reconnaît François Dubet.

« On peut s'attendre à des mouvements de révoltes qui seront justifiés »

Face à d'éventuelles « injustices sociales »exacerbées par la crise, l’exécutif et toute la classe politique, seront attendus au tournant, notamment sur la question des services publics. »« Il faudra se rappeler ce qui a été dit sur la santé, la police ou l'école et sur la pénibilité du travail des salariés qui combattent le virus et se mettent au service des autres prévient Louis Maurin, Directeur de l'Observatoire des inégalités, qui pointe le besoin impérieux d'ériger de « nouvelles solidarités .» « Le pire scénario serait de se payer de mots, de faire de beaux discours en lesquels plus personne ne croit » abonde Louis Chauvel. « Si l’on promet un Etat providence où tout reste gratuit à l’avenir, garantissant le plein emploi et qu’en réalité il n’y a que des portes closes et des entreprises qui mettent la clé sous la porte, on va au devant de graves déconvenues » s’inquiète le sociologue de l'Université du Luxembourg, pour qui l’idée de plein emploi devra guider la sortie de crise.

De son côté, le sénateur socialiste Yannick Vaugrenard, auteur d’un rapport en 2014 sur les inégalités sociales, convient de la « responsabilité essentielle, voire déterminante » des parlementaires pour bâtir un après crise aussi « collectif et objectif que possible ». En plus des auditions de ministres qui ont cours actuellement, plusieurs groupes politiques à l’Assemblée nationale et au Sénat envisagent la création de commissions d’enquête pour tirer les leçons de la crise. Pour Yannick Vaugrenard, l’heure n’est pas encore venue de lancer l’artillerie parlementaire même s’il plaide pour une profonde « remise à plat du système actuel » notamment sur la question de « la répartition des richesses » et de l’impôt. « Si nous ne prenons pas des mesures pour qu’il y ait plus de justice sociale et une meilleure redistribution des richesses dans notre pays, on peut s’attendre à des mouvements de révolte qui seront justifiés » prédit l’élu de Loire-Atlantique.

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