Le jour où … le Front national a fait son entrée au Sénat

Le jour où … le Front national a fait son entrée au Sénat

Le 1er octobre 2014, le Sénat procède à la désignation de son président, dans la foulée des élections sénatoriales. Deux sénateurs du Front national siègent dans l’hémicycle, une première sous la Ve République. En séance, leur accueil est loin d’être chaleureux. Sixième épisode et dernier épisode de notre série d'été sur les jours qui ont marqué l'histoire du Sénat.
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2014 reste un millésime particulier au rayon des nombreuses élections sénatoriales qu’a connues la Ve République. Le fait principal du scrutin reste l’alternance du Sénat, qui retourne à une majorité de droite et du centre, après trois années inédites d’une majorité de gauche. Cette bascule prévisible n’a toutefois pas éclipsé l’autre bouleversement : l’élection, dans deux départements du sud-est, de deux sénateurs du Front national (FN).

Jamais depuis sa fondation en 1972, le parti d’extrême droite n’avait réussi à accéder à cette assemblée, où les deux tiers des sièges renouvelables étaient remis en jeu à la proportionnelle en 2014. Le parti n’a jamais vraiment jugé cette élection stratégique, encore moins évidente, vu la particularité d’une campagne sénatoriale.

David Rachline, le plus jeune sénateur de la Ve République

Les sénatoriales de 2014 restent la réplique logique des municipales du printemps, marquées par une poussée du FN, qui s’implante dans une dizaine de communes. Dans les Bouches-du-Rhône, la gauche perd un siège au profit de la liste FN de Stéphane Ravier (12,4 % des voix), le nouveau maire du 7e secteur de Marseille. Dans le Var, le FN obtient les suffrages de près de 19 % des grands électeurs et ravit l’un des trois sièges de la droite.

David Rachline, 26 ans, maire de Fréjus depuis six mois, devient le plus jeune sénateur de la Ve République. Tout un symbole. Il est le pendant de Marion Maréchal-Le Pen, élue députée dans le Vaucluse à seulement 22 ans, en 2012. Il s’en est même fallu de peu pour que le parti frontiste décroche un troisième sénateur dans le Vaucluse. La division avec la Ligue du Sud lui a été fatale.

« Plus une seule Assemblée en France n'est interdite au FN »

Globalement, la moisson est spectaculaire pour le Front national pour des élections sénatoriales, malgré le bilan final qui se réduit à deux parlementaires. Après les municipales, il disposait d’un millier de grands électeurs. Ses scores sont allés bien au-delà de ses espérances, puisqu’il a convaincu près de 4000 grands électeurs aux sénatoriales du 28 septembre, notamment des élus de petites communes, sans appartenance partisane, sans étiquette.

Deux ans après ses 17,9 % à l’élection présidentielle de 2012 (soit 6,4 millions d’électeurs), et surtout sa première place aux européennes de mai 2014 (24,9 %), le FN vient de gravir une marche supplémentaire. Des observateurs politiques parlent d’une nouvelle « digue » qui s’écroule, et d’un symbole supplémentaire d’une ascension électorale.

« A chaque scrutin, c'est la même chose, nous sommes la surprise », se félicite alors Marine Le Pen. « Plus une seule Assemblée en France n'est interdite au FN. […] C’est une victoire absolument historique », applaudit celle qui s’était prononcée deux ans plus tôt pour… la suppression du Sénat. Pour Stéphane Ravier, le FN n’a plus qu’une seule porte à ouvrir désormais : celle de l’Elysée.

« Ça va être shocking »

Dans la salle des Conférences, le centre névralgique du palais du Luxembourg durant les soirées électorales sénatoriales, certaines figures sont d’humeur maussade ce 28 septembre. Le maire UMP de Marseille, Jean-Claude Gaudin ne digère pas l’élection dans son département de Stéphane Ravier, et fait peser la responsabilité sur la gauche, qui a choisi de se maintenir.

« Ce sont les socialistes qui sont responsables ! », dénonce-t-il. Deux semaines avant le scrutin, un « pilier du groupe UMP », cité par l’Agence France Presse, n’en menait pas large. « Ici, c'est une noble maison. Si on voit arriver un sénateur FN, ça va être shocking. »

« Ils sont marginalisés d’office »

Même embarras à gauche, qui ressort affaiblie des élections. « Ça me fait mal », réagit le sénateur socialiste du Loiret Jean-Pierre Sueur. « C'est un signe d'une progression de ce parti que je combats de toute mon ardeur. » D’autres, au sein de la majorité sénatoriale, tempèrent ou minimisent les conséquences de l’arrivée du FN dans la deuxième chambre du Parlement.

« Un non-évènement » pour le sénateur UMP Philippe Marini. « On va bien voir ce qu’ils sont capables de faire ! Mais ça ne changera rien au Sénat. Le FN stagne dans une marginalité absolue », selon son collègue Gérard Longuet. Roger Karoutchi acquiesce : « Ils sont marginalisés d’office par le fait de n’être que deux dans une assemblée de 348. » Siéger parmi les non-inscrits est un frein pour être exposé, mais Stéphane Ravier est persuadé que lui et son collègue Rachline seront « audibles ».

Le jour de l’élection du président du Sénat, David Rachline est boudé

Dans les premières heures, la nouvelle de leur élection fait les gros titres. Devant une meute impressionnante de journalistes, les deux sénateurs FN font leurs premiers pas au palais du Luxembourg le 30 septembre. La journée qui suit sera encore plus marquante. Il s’agit du jour de l’élection du président du Sénat.

Benjamin de l’hémicycle, c’est à David Rachline que revient la tâche de superviser le scrutin, en tant que secrétaire de séance. Il est placé symboliquement devant l’urne chargée de recueillir les bulletins des sénateurs, non loin de Paul Vergès, communiste réunionnais, le doyen d’âge, qui, lui, préside la séance.

Jean-Pierre Raffarin (UMP) glisse son bulletin dans l'urne pour l'élection du président du Sénat
Jean-Pierre Raffarin (UMP) glisse son bulletin dans l'urne pour l'élection du président du Sénat, face au secrétaire de séance David Rachline (FN), le 1er octobre 2014
AFP / Stéphane de Sakutin

L’accueil est glacial. Beaucoup de sénateurs passent devant David Rachline, refusant de lui remettre leur bulletin. Le sénateur UMP Jean-Pierre Raffarin, qui avait été nommé Premier ministre quelques jours après la victoire de Jacques Chirac face à Jean-Marie Le Pen en 2002, introduit lui-même l’enveloppe dans l’urne. Ils sont plus nombreux encore à ostensiblement refuser de serrer la main du sénateur du Var, étreignant au contraire celle du doyen assis juste derrière, comme pour mieux souligner leur distance.

Rachline quitte le Sénat, Ravier est peu assidu

C’est notamment le cas des écologistes Jean-Vincent Placé et Esther Benbassa. La sénatrice EELV de Paris justifie son geste sur Twitter et sur les chaînes d’info en continu. « C’est un parti qui déteste ce que je suis moi, qui est contre le vivre-ensemble, qui attaque les musulmans, les Français musulmans, qui a ses racines dans les ligues antisémites du XIXe siècle », dénonce-t-elle.

Après la séance, les deux élus frontistes ne cachent pas leur étonnement, mais répliquent. Sur le plateau de Public Sénat, Stéphane Ravier ironise. « Ou nous parle de respect, on nous parle d’élus de la République, qui sont tous égaux a priori, mais certaines habitudes ont la vie dure chez celles et ceux qui nous donnent des leçons de morale et qui ne se les appliquent pas à eux-mêmes […] David Rachline et moi-même nous ne nous arrêtons pas à cela, nous sommes là pour travailler. »

Au cours de son mandat, qui expire en septembre, le sénateur des Bouches-du-Rhône ne s’est en tout cas pas illustré par son activité parlementaire. En hémicycle, comme en commission, il fait partie des moins assidus. En vertu de la loi sur le non-cumul, David Rachline a, lui, quitté le palais du Luxembourg en octobre 2017, préférant choisir sa mairie de Fréjus. Sa liste a été reconduite aux municipales de 2020, dès le premier tour.

Les jours qui ont marqué l'histoire du Sénat - tous les épisodes :

  1. Le jour où ... le Sénat a fait tomber le général de Gaulle
  2. Le jour où ... le Sénat est venu à la rescousse de la liberté d’association
  3. Le jour où ... le Sénat a inauguré (avec fracas) les questions au gouvernement
  4. Le jour où ... le Sénat a enterré la réforme de l’école libre
  5. Le jour où ... la gauche fait sa « révolution de palais » au Sénat
  6. Le jour où ... le Front national a fait son entrée au Sénat

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