Le Parquet national financier accusé d’instrumentalisation politique
L’enquête secrète sur les « fadettes » d’avocats par le Parquet National Financier relance le débat sur l’indépendance de ses magistrats. Avocats ou politiques, plusieurs personnalités appellent à une réforme de la justice française.

Le Parquet national financier accusé d’instrumentalisation politique

L’enquête secrète sur les « fadettes » d’avocats par le Parquet National Financier relance le débat sur l’indépendance de ses magistrats. Avocats ou politiques, plusieurs personnalités appellent à une réforme de la justice française.
Public Sénat

Par Samia Dechir

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Avis de tempête au Parquet national financier. En à peine 15 jours, trois révélations gênantes se sont succédé sur cette institution censée traquer la grande délinquance financière. La dernière date du 25 juin. Nos confrères du Point dévoilent que le PNF a épluché toutes les factures téléphoniques détaillées, dites « fadettes », de plusieurs avocats pénalistes. Des grands noms du barreau de Paris comme Eric Dupont-Moretti ou Hervé Témime. Une enquête menée de 2014 à 2019  pour repérer la « taupe », celle qui aurait informé Nicolas Sarkozy qu’il était placé sur écoute du PNF, dans le cadre d’une enquête sur le financement de sa campagne présidentielle. Le tout, dans le plus grand secret. Bâtonnier de Paris, Olivier Cousi aurait dû être informé de cette enquête. Il ne l’a jamais été. Au nom de l’Ordre des avocats, il va engager une action en justice contre l’État.

Secret professionnel

La condamnation des avocats est unanime. « Le secret professionnel, c’est la base de notre métier » s’inquiète Solène Clément, avocate pénaliste. Ce secret professionnel est censé protéger les communications entre un avocat et son client. L’une des bases de la confiance des citoyens dans leur système judiciaire. « La mise sur écoute d’avocats est réglementée. Si ce sont des écoutes sauvages, c’est absolument scandaleux », renchérit l’avocate. Une indignation partagée par la classe politique. Des méthodes « inadmissibles » pour le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur, une affaire « d’une immense gravité » pour François Xavier Bellamy. Sur Public Sénat, l’eurodéputé Les Républicains a réclamé l’ouverture d’une enquête indépendante pour faire la lumière sur cette enquête secrète du PNF.

Affaire des écoutes: "Une dérive très grave de la justice" dénonce François-Xavier Bellamy
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Pressions de l’exécutif

Cette affaire s’ajoute à deux autres épisodes embarrassants pour le parquet national financier. Le 23 juin, Mediapart fait une révélation concernant cette fois « l’affaire Kohler ». On apprend que l’été dernier, Emmanuel Macron a adressé une note au PNF, via l’avocat d’Alexis Kohler. Le secrétaire général de l’Élysée fait alors l’objet d’une enquête pour « prise illégale d’intérêt », « trafic d’influence » et « corruption passive ».

Dans cette note, le Président de la République atteste de la probité de celui qui était son directeur de cabinet à Bercy à l’époque des faits. Un mois plus tard, l’affaire est classée sans suite. Cette note n’était qu’une « simple attestation d’employeur » assure l’Élysée. Mais pour beaucoup, c’est une preuve de plus que PNF serait instrumentalisé par l’exécutif. D’autant que le 10 juin, Éliane Houlette, ancienne patronne de l’institution auditionnée par des députés, reconnaît avoir subi des « pressions » de sa hiérarchie dans le cadre de l’affaire Fillon, avant de revenir sur ses déclarations. Proche de François Fillon, Bruno Retailleau y voit la preuve que « la démocratie a été faussée. Qui peut penser un seul instant que cette affaire a été traitée dans la sérénité ? » s’est interrogé le patron de la droite sénatoriale au micro de Public Sénat.

Soupçons d’instrumentalisation

Toutes ces révélations alimentent fortement les soupçons d’instrumentalisation du PNF par l’exécutif à des fins politiques. Candidate de la droite à la mairie de Paris, Rachida Dati n’hésite pas à le qualifier « d’officine ». L’ancienne garde des Sceaux a rappelé à l’AFP qu’à la création du PNF, les magistrats s’étaient montrés réticents « parce que certains redoutaient que ce soit le bras armé d’une justice politique ». Né en 2014 suite à l’affaire Cahuzac, le parquet national financier est censé lutter contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Des dossiers suffisamment complexes pour justifier l’existence d’un parquet spécialisé. Créé pour incarner la transparence, son indépendance même est aujourd’hui remise en question.

Des enquêtes préliminaires contestées

Avocat pénaliste, Pierre-Olivier Sur appelle à réformer le PNF, qui « use et abuse des enquêtes préliminaires - cinq ans dans l’affaire Sarkozy, trois ans dans l’affaire Solère - dans lesquelles l’avocat n’a pas accès au dossier ». L’ancien bâtonnier de Paris appelle à « changer la loi, pour cadrer ces enquêtes dans le temps, et en ouvrir l’accès aux avocats ». Mais il plaide surtout pour une réforme plus large de la justice. Car les critiques faites au PNF ne sont qu’un condensé des reproches faits au système judiciaire français dans son ensemble. « Le parquet n’est pas indépendant, nous, avocats, on le sait, ce n’est pas un secret » confirme Solène Clément. L’avocate s’appuie sur plusieurs condamnations de la Cour Européenne des Droits de l’Homme sur l’absence d’indépendance du parquet.

Réforme constitutionnelle

En France, les magistrats du parquet, aussi appelés procureurs, ceux qui sont chargés de faire appliquer la loi, sont hiérarchiquement soumis gouvernement. Contrairement aux magistrats du siège (les juges) qui sont inamovibles, leur nomination et leur carrière dépendent du Ministère de la Justice. « Il faut rompre ce lien entre le pouvoir exécutif et le parquet » estime Jean-Pierre Sueur. Et pour le sénateur socialiste, il faut en passer par la révision constitutionnelle promise par Emmanuel Macron.

Elle prévoit la fin de la nomination des magistrats du parquet par l’exécutif. Les procureurs seraient alors nommés par le Conseil Supérieur de la Magistrature, et leur gestion de carrière se ferait sans intervention de l’exécutif. Un changement majeur, que le Sénat et l’Assemblée Nationale étaient prêts à voter. Mais cette réforme constitutionnelle est bien plus vaste, et se heurte à des points de blocage, comme la réduction du nombre de parlementaires. « Tout est bloqué. Or, il suffirait que le Président ne soumette au Congrès que les points sur lesquels tout le monde est d’accord » suggère Jean-Pierre Sueur. Une réforme constitutionnelle allégée, en somme, pour renforcer l’indépendance de la justice.

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