Le retour du conseiller territorial pourrait diviser les élus locaux

Le retour du conseiller territorial pourrait diviser les élus locaux

Le gouvernement réfléchit au retour du conseiller territorial, réforme de Nicolas Sarkozy supprimée par François Hollande. De quoi réduire le nombre d’élus locaux, mais aussi mettre à mal le front uni des élus face au gouvernement.
Public Sénat

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

Faire du neuf avec du vieux. Alors que l’exécutif réfléchit à de nouvelles mesures pour les collectivités territoriales, il pourrait remettre au goût du jour le conseiller territorial. Si le terme vous dit quelque chose, c’est normal. Nicolas Sarkozy avait déjà instauré en 2010 cet élu d’un nouveau genre, qui devait siéger à la fois au département et dans les conseils régionaux, divisant au passage par deux le nombre d’élus de ces collectivités (voir aussi le sujet vidéo de Béatrice Fainzang).

La réforme était très mal passée chez certains d’entre eux, à commencer par les sénateurs. Mais le Sénat, passé entre temps à gauche – et la réforme du conseiller territorial n’avait rien arrangé pour la droite – avait supprimé symboliquement la réforme en novembre 2011. Les mots de l’époque de Jacques Mézard, devenu ensuite ministre d’Emmanuel Macron et qui vient d’être nommé au Conseil constitutionnel, étaient pour le moins dur pour ce « conseiller territorial, créature hybride qui mérite de retomber dans l’oubli avant d’avoir vécu »… (voir la vidéo à partir de 37 min) François Hollande arrive au pouvoir en 2012. Il supprime le conseiller territorial, avant même que la réforme ne s’applique.

« Solution mise sur la table »

Fin de l’histoire ? Et bien non. A la recherche de portes de sortie pour le grand débat, le gouvernement va remettre le couvert sur les collectivités. On parle de révision de la loi NOTRe et maintenant du retour du conseiller territorial. D’abord évoqué il y a plus de deux semaines dans le Canard enchaîné, le ministre Sébastien Lecornu en parle ensuite publiquement, tout comme son collègue Gérald Darmanin. Ce lundi matin, sur Public Sénat, c’est la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, qui confirme : « C’est une solution qui est mise sur la table ».

Retour du conseiller territorial : « C’est une solution qui est mise sur la table » affirme Jacqueline Gourault
02:22

« Il y a une chose dans le résultat de ce grand débat : les Français demandent plus de proximité. (…) C’est une manière de répondre au manque de proximité. Quand vous mettez un seul élu, qui est en même temps départemental et régional, vous le rapprochez de nos concitoyens » défend Jacqueline Gourault.

Jacqueline Gourault s’était abstenue sur le projet de loi en 2010

Reste qu’en 2010, lors de l’examen au Sénat du texte portant création du conseiller territorial, l’ancienne sénatrice Modem s’était abstenue en première lecture puis en seconde, comme le montre le site du Sénat… Elle avait même voté contre les conclusions de la commission mixte paritaire. Jacqueline Gourault était en réalité pour le principe du conseiller territorial mais contre le mode de scrutin.

Les centristes étaient en effet alors très remontés contre le mode d’élection uninominal des conseillers territoriaux. Ils avaient pu obtenir une dose de proportionnelle, avant que le gouvernement de François Fillon ne fasse fi de l’accord lors du retour du texte devant les députés.

« Comme beaucoup de réformes de Sarkozy, elle trouve une nouvelle grâce avec Macron »

Aujourd’hui, le retour du conseiller territorial ne serait pas pour déplaire à une partie de la droite. « Comme beaucoup de réformes de Nicolas Sarkozy, annulée en 2012 par François Hollande, elle trouve une nouvelle grâce avec Emmanuel Macron. C’était le cas des exonérations des heures supplémentaires » constate, un brin amusé, le sénateur LR Roger Karoutchi, « naturellement favorable » à la réforme.

« Le problème, c’est qu’il faut faire vite. Les élections locales sont en 2021 donc dans moins de deux ans » ajoute l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy. Si l’opposition avait été forte à l’époque, il « pense que la réforme passera plus facilement ». Mais pour Roger Karoutchi, il convient d’abord de redéfinir les compétences pour chaque échelon. « Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs ». Regardez :

Conseiller territorial : « Comme beaucoup de réformes de Sarkozy, elle trouve une nouvelle grâce avec Macron » selon Karoutchi
01:39

« Gadgétesque et ubuesque » pour Dominique Bussereau

Mais d’autres élus de droite voient ce retour d’un très mauvais œil. A commencer par les présidents des trois principales associations d’élus, qui font front commun contre le gouvernement depuis l’été dernier au sein de « Territoires unis ». Dominique Bussereau, président de l’Association des départements de France, y a vu le 13 mars une proposition « gadgétesque et ubuesque », rappelant que c’était là « l’une des raisons pour lesquelles » il avait « quitté le gouvernement de François Fillon » (voir vidéo ci-dessous). Hervé Morin, président centriste des Régions de France, a lui « toujours été opposé au conseiller territorial ». Quant à François Baroin (LR), à la tête de l’Association des maires de France, il estimait le même jour que « c’était probablement une bonne idée à un instant T », mais « aujourd’hui, ce n’est certainement pas ce que nous demandons, ce n’est certainement pas de la décentralisation et c’est probablement inadapté. Sauf si l’intention du pouvoir est de rouvrir le jeu. Mais alors là, c’est une autre aventure sur le périmètre des grandes régions, sur les compétences des départements, sur l’avenir des intercommunalités. Je ne conseillerais pas au pouvoir d’aller sur ce terrain-là (…) On ne veut plus de mécano administratif ». Regardez :

Retour du conseiller territorial ? : une proposition « gadgétesque et ubuesque » pour Dominique Bussereau
05:47

Or au sein même des associations, tous ne suivent pas leurs présidents. Côté régions, Xavier Bertrand, à la tête des Hauts-de-France, défend l’idée du conseiller territorial. Et côté département, Dominique Bussereau doit encore consulter les membres de l’ADF. Certains pourraient soutenir la réforme. Il se sera pas forcément suivi de tous.

« Ça peut être une brèche dans le front des élus »

Le retour du conseiller territorial pourrait ainsi casser la belle unité des élus locaux face au pouvoir central. Que ce soit la volonté ou pas du gouvernement, la conséquence serait bien là. Le gouvernement ferait d’une pierre de coup avec le conseiller territorial : il pourrait réduire le nombre d’élus, sujet qui brosse facilement l’opinion dans le sens du poil, tout en divisant politiquement l’opposition, en particulier la droite.

« Ça peut être une brèche dans le front des élus, oui » confirme le sénateur UDI Hervé Maurey, qui avait participé au débat au moment de la réforme de Nicolas Sarkozy. « On soupçonnait, à tort ou à raison, le gouvernement de vouloir à l’époque aller à terme vers la suppression du département » se souvient le sénateur de l’Eure, à la tête de la commission du développement durable. « A l’époque j’étais plutôt pour. Mais depuis, les régions ont un périmètre plus grand. Un élu qui siégerait au département et à la région, ce serait très lourd en termes d’emploi du temps. Ça conduit encore plus à la professionnalisation de la politique » met en garde Hervé Maurey. Et les élus à débattre encore, pendant de longues heures de séance, des bienfaits et des dangers du conseiller territorial.

Dans la même thématique

European Parliament in Strasbourg
7min

Politique

Européennes 2024 : les sondages peuvent-ils encore bouger ?

Les rapports de force vont-ils rester globalement stables jusqu’au scrutin du 9 juin ? La liste PS-Place Publique de Raphaël Glucksmann peut-elle dépasser celle de la majorité présidentielle de Valérie Hayer ? Marion Maréchal va-t-elle devancer la liste LR de François-Xavier Bellamy ? Les Français vont-ils se décider au dernier moment ? Eléments de réponses avec quatre sondeurs.

Le

France Migration
6min

Politique

Convocation de Mathilde Panot : pourquoi les poursuites pour « apologie du terrorisme » sont en hausse ?

La présidente des députés LFI, Mathilde Panot a annoncé, mardi, sa convocation par la police dans le cadre d’une enquête pour « apologie du terrorisme » en raison d’un communiqué de son groupe parlementaire après les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre. Depuis la loi du 13 novembre 2014, les parquets poursuivent plus régulièrement au motif de cette infraction. Explications.

Le