Le Sénat et mai 68 : l’occasion de s’opposer au général de Gaulle

Le Sénat et mai 68 : l’occasion de s’opposer au général de Gaulle

Situé à quelques rues des affrontements parisiens de mai 68, le Sénat a été protégé de la révolte estudiantine et a profité de l’occasion pour s’opposer au pouvoir gaulliste. Entretien avec David Valence, historien et maire (Radical) de Saint-Dié-des-Vosges.   
Alexandre Poussart

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Situé à quelques rues des affrontements parisiens de mai 68, le Sénat a profité de cette révolte pour s’opposer au pouvoir gaulliste. Entretien avec David Valence, historien et maire (Radical) de Saint-Dié-des-Vosges.   

En mai 68, le Sénat, situé à deux pas des manifestations et affrontements parisiens, a-t-il été touché par cette révolte ?

Le Palais du Luxembourg, situé à deux pas du théâtre de l’Odéon occupé par les étudiants, a été globalement protégé des manifestations. Les effectifs de la Garde républicaine, qui assuraient la sécurité du Sénat, ont été doublés face à l’ampleur du mouvement. Une unité de gendarmerie mobile était prête à intervenir en cas de problème. Il y a eu peu d’intrusions estudiantines dans le Jardin du Luxembourg, propriété du Sénat. On retient notamment Daniel Cohn Bendit et une cinquantaine d’étudiants qui ont tenté en vain d’y faire une conférence de presse. La nuit du 25 mai a été la plus chaude car des étudiants ont appelé à prendre le Palais. Ils ont été repoussés par les gazs lacrymogènes de la Garde républicaine.

“Les sénateurs traversaient la rue pour parler aux étudiants qui occupaient l’Odéon” 

Comment les sénateurs percevaient-ils ces manifestations ?

Le Sénat, composé d’élus de petites villes, ne connaissait pas bien ces mouvements étudiants parisiens, mais il y trouva une occasion de s’opposer au général de Gaulle. Dès le début du mois de mai, les groupes communistes et socialistes au Sénat se montrent à l’écoute des manifestants. Il faut imaginer des sénateurs traverser la rue Vaugirard à Paris pour rencontrer les étudiants qui occupaient le théâtre de l’Odéon situé en face. Les communistes ont eu une lecture sociale de mai 68 et associé le mouvement étudiant aux luttes ouvrières. Les socialistes ont mis l’accent sur la révolution culturelle. Pour la majorité radicale et centriste des sénateurs à l’époque, cette révolte est causée par le mépris du pouvoir gaulliste envers les corps intermédiaires.

Comment se positionne le Sénat face au pouvoir du général de Gaulle ?

La majorité centriste du Sénat à l’époque est hétéroclite : elle se compose du groupe de la gauche démocratique (les radicaux de gauche), l’équivalent du groupe RDSE aujourd’hui, de démocrates-chrétiens, et de républicains indépendants. Cette majorité s’unit par son opposition au pouvoir gaulliste. Il n’y a quasiment pas de dialogue avec le gouvernement, aucun ministre de plein exercice ne se déplace pour débattre au Sénat : ils sont remplacés par des secrétaires d’Etat.

“Depuis 1962, le général de Gaulle voulait marginaliser le Sénat”

Qu'est-ce qui explique ces relations glaciales ?

Charles de Gaulle voulait marginaliser le Sénat depuis le référendum de 1962 sur l’élection du président de la République au suffrage universel direct alors que la majorité sénatoriale de l’époque, menée par Gaston Monnerville, avait fait une campagne assez dure pour le non. Les gaullistes ont gagné le référendum et mis le Sénat à distance. En 1963, une commission gouvernementale travaille sur une réforme du Sénat pour en faire une chambre de la société civile, avec moins de pouvoir politique. Cette commission n’a pas abouti mais les sénateurs savaient que cette réforme pouvait être menée à tout moment. Ce n’est qu’en 1969, que ce projet est soumis au peuple par référendum, et son refus a provoqué la démission du président De Gaulle.

En mai 68, le président du Sénat Gaston Monnerville a-t-il utilisé les manifestations pour affaiblir les gaullistes ?

On pensait réellement que ce mouvement allait faire tomber le pouvoir en place et dès lors, Gaston Monnerville, le président du Sénat, 2e personnage de l’Etat, aurait pu occuper la présidence de la République par intérim. Gaston Monnerville s’est donc montré assez bienveillant envers le mouvement étudiant. Il allait à leur rencontre au lendemain de chaque affrontement avec la police. Mais il a aussi cultivé une certaine distance avec ce mouvement pour ne pas faire figure de leader du désordre, et rassembler les Français en cas d’intérim du pouvoir. Finalement au renouvellement sénatorial d’octobre 1968, le Sénat a glissé légèrement à droite et Alain Poher, partisan d’un dialogue avec les gaullistes, a été élu président du Sénat.

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