Le Sénat vote pour le renforcement du contrôle des écoles hors contrat

Le Sénat vote pour le renforcement du contrôle des écoles hors contrat

La sénatrice centriste, Françoise Gatel, s’attaque à un totem. Sa proposition de loi visant à simplifier et à renforcer l’encadrement des écoles privées hors contrat a été adoptée mercredi au Sénat. Modifié par amendement, le texte déçoit l’opposition qui critique un texte « vidé de sa substance ».
Public Sénat

Par Héléna Berkaoui

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Le Sénat a adopté la proposition de loi déposée par la sénatrice centriste, Françoise Gatel, par 240 voix pour et 94 contre. Le texte en question porte sur la simplification et le renforcement des écoles privées hors contrat. Parmi les 12 millions d'élèves scolarisés en France, quelque 65 000 sont inscrits dans des écoles hors contrat. Alors que ces établissements ont connu un certain engouement ces dernières années, les polémiques sur les dérives et les lacunes des enseignements qui pourraient y être inculqués ont alerté les parlementaires.    

«On a perdu une occasion de faire une loi intéressante », peste le sénateur communiste Pierre Ouzoulias. Comme les sénateurs socialistes, il s’agace que le texte ait été « vidé de sa substance » par voie d’amendements. En ligne de mire : l’amendement du sénateur LR, Jean-Claude Carle, qui vise à limiter le contrôle de l’État aux titres exigés des directeurs et des enseignants, à l’obligation scolaire, etc. en excluant un contrôle sur le volet pédagogique.

Initialement opposés à ce texte, les sénateurs LR ont finalement voté favorablement. Une autre modification y a aidé. Il était prévu qu’un décret fixe la liste des pièces constitutives du dossier de déclaration pour une ouverture d’école hors contrat. Après amendement, il est prévu que ce soit une loi – plus stable car non soumise au seul gré de l’exécutif - qui énumère les pièces requises.

 « Ce texte est difficile, sensible, j’ai même lu inflammable »

Françoise Gatel insiste : sa proposition de loi ne vise pas à remettre en question la liberté d’enseigner. Adopté ce mercredi au Sénat, le texte déposé par la sénatrice centriste cherche à simplifier et à mieux encadrer le régime d’ouverture des établissements privés hors contrat. Rien de bien polémique à première vue. Le ministre de l’Éducation, lui-même, a apporté son soutien à la sénatrice lors des discussions au Sénat, ce mercredi (voir la vidéo ci-dessous). Mais les opposants à ce texte montent au créneau au nom de la défense de l’école libre. D’un autre côté, certains saluent « un progrès qui reste en deçà de ce qui serait nécessaire ». Une bataille idéologique qui rappelle à certains égards le mouvement pour l’école libre, en 1984.

« Ce texte est difficile, sensible, j’ai même lu inflammable parce qu’il touche au creuset de la République, à l’école et donc à nos convictions », constate la sénatrice. « Les commentaires enthousiastes, fort créatifs de toutes celles et ceux qui s’opposent à ce texte le qualifiant de liberticide, funeste, soviétiforme auront certainement contribué à enrichir notre vocabulaire dans la catégorie excès de langage, qu’ils en soient ici remerciés », a ironisé Françoise Gatel durant la discussion générale. Elle pointe également, les autres contestataires qui disent que « ce texte serait timide frileux, insuffisant ». La sénatrice prévient : « la contradiction de ces épithètes » et « une avalanche de mails procédant d’une même indignation ne sauraient asphyxier ou endormir la capacité des législateurs ».

Un cadre pour les écoles hors contrat
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« Les dérives » de la liberté d’enseignement

« Pétain a sauvé la France. » Voilà ce qu’une inspectrice pédagogique de l’académie de Versailles a pu lire dans un manuel scolaire. La synthèse de ses visites de contrôle dans des établissements d’enseignement privé a été rendue publique par Le Monde, en 2016. Le document faisait état de « carences » et de « dérives » dans certaines écoles privées hors contrat. « Aucune règle de contrôle ne permet d’intervenir dans ce type de situations », peste Paul Devin. Inspecteur de l’éducation nationale et secrétaire général du syndicat des personnels d'inspection de la FSU, il dénonce un système imperméable à toutes sanctions qui « ne permet pas de garantir qu’il n’y ait pas d’endoctrinement ».  

Dernièrement, c’est une école confessionnelle musulmane qui était dans le viseur de l’Éducation nationale. Problème : le statut juridique de ces établissements est très rigide. En août dernier, le tribunal administratif a annulé l'interdiction d'ouverture de l'école toulousaine. L’établissement avait pourtant été sanctionné en première instance pour « non-respect de l’enseignement du socle commun de l’Éducation nationale ». Françoise Gatel affirme même que « plusieurs membres de l'équipe (de cette école) étaient fichés S ». Sur les 1 300 écoles hors contrat recensées sur le territoire, 300 se déclarent confessionnels (près de 160 établissements catholiques, 50 juifs, 40 musulmans et 30 protestants).

Les opposants craignent un essor des écoles clandestines 

Contactée par Public Sénat, la directrice de la Fondation pour l’école, Anne Coffinier, reste « perplexe » face à cette proposition de loi qui donne « l’impression que le vrai désir est de freiner l’ouverture des écoles privées ». Les établissements de ce type connaissent un certain engouement depuis quelques années, on dénombre ainsi 93 écoles créées en 2016, contre 31 en 2001. Si le renforcement des contrôles dans ce type d’établissements ne semble pas lui poser de problème, Anne Coffinier demande l’effectivité de ces contrôles et surtout leur publicité. Les écoles devraient pouvoir être informées des conclusions des inspecteurs, selon elle. « L’école du Puy du Fou a été contrôlée 10 fois en 2 ans », s’agace-t-elle tout en tant réclamant plus de transparence dans la mise en œuvre de ces contrôles.  

Selon Anne Coffinier, durcir les conditions d’ouverture des établissements d’enseignement privé aurait un effet pervers, celui d’encourager la création d’écoles clandestines. Interrogé par Valeurs actuelles avant l'examen du texte, le sénateur LR, Bruno Retailleau, expliquait que dans la mesure où « le véritable problème des écoles islamiques, c'est souvent la clandestinité », le projet de loi de Françoise Gatel « n’aura(it) qu’une conséquence : la renforcer ». 

« Aujourd’hui, la seule condition pour ouvrir une école c’est d’avoir le bac »

La qualité des enseignements est également critiquée. « Aujourd’hui, la seule condition pour ouvrir une école, c’est d’avoir le bac », s’indigne Paul Devin. Selon lui, la proposition de loi de la sénatrice ne va pas assez loin. « Il faudrait débattre du contrôle des programmes, se poser de la question de savoir s’il est raisonnable d’enseigner indépendamment du contrôle des programmes », estime-t-il.   

« Les écoles hors contrat ont besoin de liberté pour innover », soutient, de son côté, Anne Coffinier. Une liberté quelque peu contrariée par la proposition de loi de la sénatrice qui se penche sur les CV des directeurs et des enseignants. Son texte prévoit effectivement que les directeurs du second degré privé aient l’obligation d’avoir exercé au moins 5 ans dans un établissement auparavant. Anne Coffinier juge que cette garantie réglementaire « est archaïque » dans le sens où cette disposition écarte les personnes issues de la société civile et celles qui viendraient d’autres pays.  

En 2016, Françoise Gatel avait déjà cherché à modifier le régime d’ouverture des écoles privées en déposant un amendement, durant l’examen de la loi Égalité et Citoyenneté. Mais le gouvernement d’alors avait préféré opérer par voie d’ordonnance. Suite à un recours déposé par 60 sénateurs et 60 députés, le texte du gouvernement avait été retoqué par le Conseil constitutionnel. Les membres du Conseil avaient estimé que « l'atteinte susceptible d'être portée à la liberté de l'enseignement » était trop forte (voir la décision).  

« Il faut que les écoles soient contrôlées »

« Les maires et les services de l’État sont impuissants face à ces situations », observe Françoise Gatel. Face à ce constat, elle estime qu’il « faut que les écoles soient contrôlées » dans l’intérêt des enfants. En conséquence, son texte entend harmoniser les procédures d’ouverture des écoles privées hors contrat qui sont aujourd’hui régulées par trois lois différentes en fonction du degré d’enseignement. Il promeut également l’allongement des délais d’opposition à l’ouverture d’une école privée et le renforcement du contrôle des maires et services de l’État.

Ces derniers pourraient désormais s’opposer à l’ouverture d’un établissement  pour des motifs liés à la sécurité et à l’accessibilité des locaux et leur pouvoir coercitif serait renforcé. Le texte vise également à instaurer un contrôle annuel des établissements et des classes hors contrat. Comme mentionné plus haut, les exigences d'expérience des directeurs et enseignants du second degré seraient revues à la hausse (consulter le texte amendé).

 

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