Législatives : face au risque de majorité relative, les macronistes agitent la menace d’un « pays bloqué »

Législatives : face au risque de majorité relative, les macronistes agitent la menace d’un « pays bloqué »

Si la majorité présidentielle n’obtient qu’une majorité relative à l’Assemblée, elle devra négocier au cas par cas. Certains macronistes craignent de voir « le curseur » déplacé « un peu plus à droite », avec des LR qui joueraient un rôle pivot. L’action d’Emmanuel Macron risque d’être entravée.
François Vignal

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Jusqu’ici, tout va bien. Mais au soir du second tour, dimanche prochain, les députés de la majorité présidentielle pourraient faire la grimace. Les résultats du premier tour des législatives confirment les bons scores de la Nupes et un succès relatif pour Ensemble, la confédération qui rassemble Renaissance (LREM), le Modem et Horizons. Selon les projections des instituts de sondage, qui restent à prendre avec des pincettes, Emmanuel Macron risque sérieusement de ne disposer que d’une majorité relative, et non absolue, à l’Assemblée. La majorité présidentielle pourrait obtenir entre 255 et 295 sièges, selon notre estimation Ipsos-Sopra Steria pour France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, Public Sénat et LCP-AN. La majorité absolue se situe à 289. Selon Ifop-Fiducial pour TF1/LCI, Ensemble ! aurait 275 à 310 sièges.

Pour bien comprendre ce qu’il se joue, avec une majorité relative, Emmanuel Macron n’aurait pas les mains libres pour faire voter ses réformes, autrement dit pour gouverner… Il devrait négocier et tenter de trouver des majorités de circonstance, sur chaque projet de loi. Faisable sur certains textes, comme les retraites, où on imagine les LR prêts à soutenir, mais un exercice loin d’être évident sur tous les projets de loi. Sans parler du risque du dépôt et du vote par les oppositions d’une motion de censure pour faire tomber le gouvernement, ce qui serait cette fois catastrophique pour le Président… Sans aller jusque-là, la forte présence probable des députés de la Nupes, et surtout LFI, crée déjà quelques sueurs froides en macronie. « Ils foutaient le bordel à 17. J’imagine pas à 100… » lâche un parlementaire.

« La majorité absolue est tout à fait atteignable »

Le second tour s’annonce dans ces conditions crucial. Mais chez les soutiens du chef de l’Etat, on alterne entre rassuristes et alarmistes. « Ce sera un deuxième tour de clarification. Et je pense qu’il peut y avoir un ressaisissement et la majorité absolue est tout à fait atteignable malgré tout. Mais faut mobiliser à fond », prévient François Patriat, patron des sénateurs macronistes, qui fait partie des premiers. Selon l’ancien socialiste, « il faut montrer la dangerosité du projet de la Nupes ». Le sénateur de la Côte d’Or regrette cependant « qu’on ait eu un temps long, 60 jours entre la présidentielle et les législatives. Imaginez qu’on ait dissous. Si ce temps avait été plus court, il y aurait eu moins de mouvement ».

« C’est une bataille qui se joue à deux tours », soutient pour sa part la députée des Yvelines, Marie Lebec, qui pourrait conserver son siège. « Je ne crois pas qu’on puisse parler de déception. Il ne faut pas compter les points avant la fin du match », ajoute la vice-présidente du groupe LREM de l’Assemblée. « Nous sommes un peu en retrait par rapport au premier tour de la présidentielle ou par rapport à 2017, mais ce n’est pas étonnant », soutient de son côté le député Roland Lescure, porte-parole de Renaissance, pour qui « un nouveau combat commence. Il est extrêmement ouvert. Il faut aller chercher la majorité absolue. Elle n’est pas gagnée mais atteignable », pense-t-il aussi. Le député des Français établis hors de France veut « tout faire » pour que le risque d’une majorité relative « n’arrive pas ». Officiellement donc, tout va bien, ou presque. « Il n’y a pas de fébrilité », ni de « panique à bord », assure un membre de la majorité, qui ajoute que « la fébrilité, c’est la pire attitude dans cet enjeu ».

Risque « que les LR fassent pression sur tous les textes »

D’autres se rassurent en rappelant que François Mitterrand a connu une majorité relative en 1988 avec Michel Rocard. « Ça complique la tâche mais ça n’entrave pas non plus », pense un macroniste. Un autre membre de la majorité remarque que « l’Assemblée fonctionne déjà sur une logique de coalition, car LREM n’a plus la majorité absolue. On travaille très bien avec Agir et le Modem, et de temps en temps avec la gauche, Liberté et territoires et même LR. Tout ça se construit », souligne ce député, faisant mine d’oublier que c’est avec l’opposition, et non les alliés, qu’il faudrait négocier.

Et si Renaissance, le Modem et Horizons, le parti d’Edouard Philippe, n’ont pas la majorité à eux trois, c’est plus à droite qu’à gauche que la majorité devrait trouver des voix. Dès dimanche soir, le président des LR, Christian Jacob, a d’ailleurs assuré que son parti serait « constructif ». Trois jours avant le premier tour, un ministre en émettait l’hypothèse :

Si nous avons une majorité relative, ça va nous contraindre à gouverner avec la droite, car les socialistes ne seront pas assez nombreux. (un ministre)

Comprendre, les socialistes prêts à mêler leur voix avec Ensemble, alors que le PS est maintenant lié à LFI. Fatalement, Emmanuel Macron se retrouverait à pencher de nouveau à droite. Une éventualité qui laisse déjà perplexe certain au sein de la majorité. « On ne va pas se voiler la face. Je n’aimerais pas qu’on ait une majorité relative car on serait obligé de voir avec certains LR. Pour moi, c’est problématique. Ça voudrait dire que les LR feraient pression sur tous les textes. Donc on risque de déplacer le curseur un peu plus à droite », confie un parlementaire macroniste.

« Si c’est une majorité relative, ce sera une Assemblée nationale qui sera bloquée »

Face à la situation et le risque réel, d’autres cherchent plutôt à dramatiser. De quoi mobiliser les électeurs. Invité de la matinale de Public Sénat ce lundi matin, le rapporteur LREM du Budget, Laurent Saint-Martin, dénonce l’« union de façade, de circonscription de la Nupes, plutôt que de convictions, qui n’a qu’un seul but : bloquer notre pays et bloquer notre projet ». Le député du Val-de-Marne pointe même, dans une formule alambiquée, « un risque d’effondrement pour notre pays avec cette incapacité à avoir une majorité absolue, si c’était le cas pour nous ». Regardez :

« Si c’est une majorité relative, ce sera une Assemblée nationale qui sera bloquée », confirme le sénateur LREM Xavier Iacovelli, qui veut « croire à la cohérence des Français qui ont fait un choix clair ». « Si on ne veut pas abandonner l’augmentation du pouvoir d’achat, l’indexation des retraites, du minimum vieillesse, avec des textes qui sont déjà prêts, il faut voter pour nos candidats », ajoute celui qui est aussi délégué général de Territoires de Progrès, à l’aile gauche de la macronie.

« Chaque sensibilité va peser maintenant, si on a une majorité courte »

En cas de majorité relative, ce ne sera en réalité pas la même histoire, s’il manque 5 ou 40 voix aux macronistes. « Ça dépend combien il nous manque franchement », remarque un responsable. Selon le cas, « ce ne sera pas le même scénario », ajoute un autre. Roland Lescure pointe de son côté « les contradictions de l’alliance entre la carpe et le lapin », au sein de la Nupes. De quoi peut-être trouver des voix, à gauche, en cas de besoin. « Je veux croire que des socialistes, des socio-démocrates et divers gauche ne pourront pas se reconnaître dans les propositions de Jean-Luc Mélenchon », espère Xavier Iacovelli, qui ajoute :

Le dépassement n’est pas fini. Il continuera après ces élections. On aura une majorité plus large, à notre droite et à notre gauche, c’est encore possible.

Au sein même de la macronie, une majorité étriquée ne sera pas sans conséquence. Y compris en cas de majorité absolue obtenue de justesse. « Chaque sensibilité va peser maintenant, si on a une majorité courte. Si on a 295 députés, et qu’Horizons a 30 ou 40 députés, ça pèse. Ça peut bloquer. Mais ils ne seront pas les seuls. S’il y a 15 ou 20 socio-démocrates, il n’y a pas plus de majorité s’ils ne votent pas », échafaude un parlementaire. De quoi assurer de sympathiques discussions pour le nouveau ministre chargé des Relations avec le Parlement, Olivier Véran.

« S’il y a un blocage de l’Assemblée, on sera obligé de reconvoquer des élections »

En cas de difficultés, Emmanuel Macron pourrait toujours recourir au passage en force du 49-3. Mais l’arme nucléaire législative est limitée à une seule fois par session, ainsi qu’aux textes budgétaires. Dans le pire des scénarios, celui de l’incapacité à gouverner, Emmanuel Macron pourra toujours recourir à l’arme ultime : la dissolution. Une hypothèse que n’écarte pas Xavier Iacovelli. « Je ne pense pas que les Français auront envie d’avoir un blocage du pays, car sinon qu’est ce qu’il se passe ? On repartira aux élections. S’il y a un blocage de l’Assemblée, on sera obligé de reconvoquer des élections, car on ne sera pas en capacité. On a besoin d’avoir un gouvernement stable », soutient le sénateur Renaissance des Hauts-de-Seine, qui insiste : « Si demain il n’y a pas de possibilité d’élargir la majorité et d’avoir une majorité stable, je ne vois pas comment on pourrait continuer à travailler ». En cas de dissolution, arme à double tranchant qui reste de fait extrêmement hypothétique, Emmanuel Macron pourra toujours faire un peu plus campagne cette fois.

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