Législatives : la super-majorité qui inquiète les parlementaires

Législatives : la super-majorité qui inquiète les parlementaires

Plusieurs responsables politiques s’inquiètent de la faiblesse numérique de l’opposition qui pourrait siéger dans la future l’Assemblée, telle qu’elle semble se dessiner. Une trop large majorité ne serait pas non plus synonyme de bonne nouvelle pour le gouvernement.
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En plein cœur de la campagne présidentielle, l’incertitude était totale sur la future configuration de l’Assemblée nationale. Les partisans d’Emmanuel Macron se demandaient à l’époque si En Marche allait devoir composer avec une majorité relative. Début mai, l’hypothèse de la majorité absolue (soit 289 sièges) était encore considérée comme la fourchette haute par les instituts de sondage.

À moins d’une semaine du premier tour des législatives, les candidats de la République en Marche se dirigent vers une majorité plus que confortable. À la faveur d’une dynamique post-présidentielle, et de l’effet amplificateur du scrutin majoritaire à deux tours, le parti présidentiel, crédité en moyenne de 30% des intentions de vote, serait assuré de remporter entre 385 et 415 sièges à l’Assemblée nationale, selon l'enquête Ipsos-Steria du 6 juin.

Conséquence de cette large victoire, d'autres formations verraient leur représentation réduite à peau de chagrin. Le Parti socialiste abandonnerait plus de 250 sièges et n’en sauverait qu’une trentaine au mieux. Les Républicains pourraient quant à eux perdre un tiers de leurs députés, pour finir entre 105 et 125 sièges. La France insoumise avec le Parti communiste obtiendraient entre 12 et 22 sièges, et le Front national entre 5 et 15.

« Pleins pouvoirs »

Ces perspectives inquiètent les différents responsables politiques, à l'UDI, chez EELV, et surtout, au PS et LR. À l’image de Gérard Larcher, le président du Sénat, qui met en garde dans le Parisien :

« Imaginez une Assemblée avec LR et le PS largement battus, et surtout une France insoumise et un FN faiblement représentés alors qu’ils ont obtenu à eux deux 40% au 1er tour de la présidentielle. Que pèsera alors la voix de l’opposition […] ? Emmanuel Macron fera peut-être ce qu’il veut pendant un certain temps, mais le risque d’une colère se déversant dans la rue viendra très vite. »

« Si le débat n'a pas lieu un minimum à l'intérieur de l'Assemblée, il aura lieu dans la rue », a mis en garde Nathalie Kosciusko-Morizet sur LCP. L’appréhension n’est guère différente chez le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis, qui déclarait ce matin sur RTL que « trop de pouvoir tue le pouvoir » :

« Nous aurons une Assemblée nationale qui votera au canon, qui sera une chambre d’enregistrement et il n’y aura pas d’opposition. À partir du moment où il n’y aura pas d’opposition à l’Assemblée, elle sera soit dans les médias, soit dans la rue. »

« On risque d’avoir une majorité qui donne les pleins pouvoirs au président de la République », s’alarmait ce mercredi sur notre antenne Pierre Laurent, le leader des communistes.

Pierre Laurent : « On risque d’avoir une majorité qui donne les pleins pouvoirs au Président. »
02:09

Rares précédents dans la Ve République

Une majorité de cette ampleur ne serait pas une première sous la Ve République, mais l’assise d’En Marche pourrait être l’une des plus larges parmi les 15 dernières chambres qui se sont succédé en France. « À ce point-là, c’est rare », nous explique Olivier Rozenberg, chercheur au Centre d’études européennes de Sciences Po. « C’est arrivé de façon flagrante en 1993, mais il y avait une coalition entre deux groupes égaux de droite et de centre-droit. À part 1968, avec les gaullistes et 1981, avec les socialistes, il y a peu de précédents. »

Pour ce spécialiste des parlements, les inquiétudes soulevées ces derniers jours à droite et à gauche « semblent fondées ». Olivier Rozenberg ajoute que la réforme constitutionnelle de 2008, qui prévoit de donner davantage de compétences à l’opposition, « ne compensera pas totalement » ce déséquilibre :

« Le mode de participation de l’opposition depuis 2008 vise à être plus équitable. Elle peut désormais avoir accès à la tribune et à des procédures au-delà de son poids numérique. Le meilleur exemple, ce sont les questions au gouvernement. Avant 2008, ce droit était proportionnel au nombre des membres d’un groupe. Depuis 2008, il y a une parité. La future opposition à l’Assemblée, même si elle est réduite numériquement, aura davantage voix au chapitre que son poids politique. »

Du côté de l’exécutif, la grande moisson législative de juin submerge même les attentes. « Nous allons avoir beaucoup d'élus, presque trop, plus de 400, il va falloir les encadrer de près pour éviter le foutoir », aurait lâché en privé Emmanuel Macron, selon le Canard Enchaîné.

« Beaucoup de députés voudront exister »

Une large victoire aux législatives comporterait en effet certains désavantages pour le pouvoir en place. Les majorités sont parfois difficiles à tenir, l’expérience des frondeurs durant la dernière législature l’a montré. Pascal Perrineau, du Cevipof, remarquait sur Europe 1 cette semaine que ce sont « les groupes énormes ou relativement hétérogènes qui doivent être tenus d’une main de fer, et qui posent très très vite des problèmes ».

Car il est aussi difficile de satisfaire tout le monde. « Comme dans l’expérience de 1993-1997 [une large majorité RPR-UDF, NDLR], il est susceptible qu’il se crée des sous-groupes, des populations intérieures, faute d’opposition extérieure. Pour des raisons numériques et pratiques. Il est difficile pour les responsables de la majorité d’occuper tout le monde, d’avoir des ressources et des postes illimités. Il y a beaucoup de députés qui peuvent se trouver un peu désœuvrés et qui voudront exister », explique Olivier Rozenberg.

Sylvie Goulard, habituée d'une mécanique différente au Parlement européen, ne pensait sans doute pas que sa chronique, publiée à la veille du second tour de la présidentielle, serait aussi vite confrontée à la réalité. « Une majorité trop large ne contrôle guère l’exécutif », écrivait-elle.

Le paysage de la future Assemblée nationale pourrait en tout cas relancer le débat sur l’introduction de la proportionnelle. Une question récurrente dans le débat politique français, qui a notamment les faveurs d’un certain François Bayrou, numéro trois du gouvernement.

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