Les contours de la future collectivité européenne d’Alsace en débat au Sénat

Les contours de la future collectivité européenne d’Alsace en débat au Sénat

Assouvir le « désir d’Alsace », c’est l’ambitieux objectif poursuivi par le projet de loi Collectivité européenne d’Alsace. Un texte trop timoré pour les sénateurs qui entendent renforcer ses compétences lors de l’examen du texte cette semaine au Sénat.
Public Sénat

Par Helena Berkaoui

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Effacée par la loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) en 2016, l’Alsace devrait renaître à la faveur du projet de loi Collectivité européenne d’Alsace. Une victoire en demi-teinte pour certains élus désireux d’une Alsace plus indépendante de l’État.

Le projet de loi débattu cette semaine au Sénat vise à fusionner le Haut-Rhin et le Bas-Rhin en une Collectivité européenne d’Alsace (CEA) dotée de compétences supplémentaires. « Un compromis », selon les mots de la rapporteure du texte au Sénat, Agnès Canayer, qui mérite d’être amélioré « afin de garantir à la CEA qu'elle disposera des moyens juridiques, humains et, surtout, financiers nécessaires pour exercer ses nouvelles compétences ».

Ces nouvelles compétences toucheront à la coopération transfrontalière, le bilinguisme, le tourisme et le transfert des routes nationales et autoroutes non concédées. 120 amendements ont été déposés par les sénateurs dans le but de renforcer les compétences de la collectivité européenne d’Alsace. Un bras de fer qui n’a rien d’anodin puisque ce texte est perçu comme une préfiguration « d’un droit à la différenciation » qui pourrait s’étendre à d’autres régions.   

« C’est un texte qui a pour but d’enfumer les Alsaciens »

Porté par la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, ce projet de loi est « le fruit d’un accord âprement négocié » avec les présidents des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin et les élus alsaciens, rappelle la sénatrice LR Agnès Canayer. Ces négociations ont conduit à la signature de l’Accord de Matignon, le 29 octobre 2018, et d’un décret actant la création de la nouvelle collectivité, le 28 février 2019. Avec ce projet de loi, il est aujourd’hui question de délimiter les nouvelles compétences de la collectivité européenne d’Alsace.

Mais le projet de loi ne fait pas consensus au Sénat où les sensibilités régionales sont particulièrement ménagées. « Ce n’est même pas un compromis, c’est un texte qui a pour but d’enfumer les Alsaciens », s’agace le sénateur LR du Bas-Rhin, André Reichardt. Pour l’élu, le texte ne répond pas aux attentes des Alsaciens qui, d’après plusieurs sondages, plébiscitent notamment une sortie de la région Grand Est (66 %). André Reichardt déplore également que le projet de loi ne garantisse pas les moyens suffisants à la CEA pour exercer ses nouvelles compétences. Ce texte n’assurerait pas la « possibilité de mettre en place la régulation d’un dispositif poids-lourds », selon lui. André Reichardt préconise l’expérimentation d’une taxe sur les poids-lourds spécifique à l’Alsace. Un amendement rejeté en commission.

De son côté, la sénatrice Agnès Canayer fustige de nouvelles « compétences cosmétiques » qui, pour certaines, font doublon avec celles déjà existantes notamment dans les domaines du tourisme et du bilinguisme. « En commission, nous avons cherché à aller plus loin », assure-t-elle pour « renforcer les relations transfrontalières » en autorisant, par exemple, « les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre à déléguer leurs compétences au département d’Alsace ». Agnès Canayer souhaite également que « le département d’Alsace, à titre expérimental et pendant une durée de cinq ans suivant sa création, se voit déléguer par la région l’octroi de tout ou partie des aides aux entreprises ». Cette proposition a fait l’objet d’un amendement adopté en commission.

Collectivité européenne d’Alsace : un pas vers le droit à la différenciation ?

Autre point d’achoppement : la dénomination de la future Collectivité européenne d’Alsace. Dans son avis le Conseil d’État plaide pour que le nom « département d’Alsace » soit privilégié, tout en rappelant que « le nom conféré à une collectivité territoriale de la République doit permettre de déterminer clairement la catégorie à laquelle elle appartient ». Le Conseil d’État soulignait par ailleurs que « l’épithète « européenne », sur le plan juridique, ne correspond à aucune catégorie ». La commission des Lois du Sénat s’est alignée sur l’avis du Conseil d’État et a voté la nouvelle dénomination : département de France. Si Agnès Canayer reconnaît que « le nom relève plus du symbole », la ministre de la Cohésion des territoires, dans la matinale de Public Sénat, n’entend pas revenir sur ce point, aussi symbolique soit-il (lire notre article).  

Fabienne Keller, sénatrice Agir du Bas-Rhin et candidate LREM aux élections européennes, porte un regard plus clément sur ce texte.  « C’est une belle étape » salue Fabienne Keller en rendant hommage au travail de la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, qui « s’est montrée très disponible » sur le terrain, selon elle. Cela étant, Fabienne Keller rejoint ses collègues sénateurs sur la nécessité de « conforter les compétences » de la CEA sur les questions de coopérations transfrontalières notamment. La sénatrice souligne également la dimension « symbolique » de ce texte qui reconnaît une « spécificité territoriale » et qui pourrait avoir valeur de « socle » dans « une sorte de préfiguration du droit à la différenciation ». Prévu par le projet de réforme constitutionnelle, ce droit à la différenciation aurait pour objectif de permettre aux collectivités territoriales d'élargir leur liberté d'administration en favorisant les expérimentations locales. 

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