Les derniers jours de Jean Castex à Matignon : quel bilan laisse le Premier ministre ?

Les derniers jours de Jean Castex à Matignon : quel bilan laisse le Premier ministre ?

Jean Castex devrait vraisemblablement démissionner de son poste de Premier ministre en début de semaine prochaine, avant la nomination d’un nouveau gouvernement. Après 22 mois passés à Matignon, le maire de Prades reste d’abord associé à la gestion de l’épidémie de covid-19. Les sénateurs saluent les rapports sincères et directs qu’a tissés le chef du gouvernement avec la Chambre haute.
Romain David

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Jean Castex était dans le Vaucluse ce jeudi après-midi, pour un déplacement sur la sécheresse. Dimanche, il se rendra au Vatican à l’occasion de la canonisation de Charles de Foucauld, selon une information du quotidien La Croix, pour ce qui devrait être son dernier déplacement en tant que chef du gouvernement. Jean Castex quittera Matignon dans les prochains jours. Emmanuel Macron lui a demandé de rester en place au moins jusqu’à la fin officielle du quinquennat, c’est-à-dire samedi à minuit, même si, au regard de la Constitution, rien n’oblige le Premier ministre à quitter son poste avant la mise en place d’une nouvelle majorité, à l’issue des élections législatives. Le pot de départ a déjà eu lieu : mercredi, dans les jardins de l’hôtel Matignon, Jean Castex est apparu « ému » devant ses 400 invités, selon les confidences d’un participant à Politico.

Moins de deux ans après sa nomination, c’est un chapitre majeur qui se tourne dans la carrière politique de l’ex-LR qui, dit-on, pourrait viser les sénatoriales de 2023. De son passage à Matignon, il restera notamment un arbre, puisque depuis Raymond Barre chaque Premier ministre a pris le pli d’en planter un dans le parc. Jean Castex a choisi un frêne, l’arbre qui soutient le monde dans les mythologies nordiques, son bois est réputé pour sa résistance et sa grande flexibilité. Deux caractéristiques dont le Gascon a dû faire preuve pour pouvoir affronter, au cours de ses 22 mois à la tête du gouvernement, la crise du covid-19 et ses nombreuses répercussions.

Un inconnu à Matignon

En nommant en juillet 2020, à la suite d’Edouard Philippe, une personnalité inconnue du grand public, Emmanuel Macron n’a pas manqué de susciter l’étonnement chez de nombreux commentateurs. « J’ai été surpris, je ne m’y attendais pas », avoue le sénateur du Rhône François-Noël Buffet, président de la commission des Lois. « C’était d’autant plus surprenant que nous l’avions auditionné quelques jours auparavant puisqu’il avait été chargé par Edouard Philippe de travailler sur la stratégie de sortie du confinement. J’avais eu une impression positive », ajoute-t-il. « Il y a eu des prémices à cette nomination », observe François Calvet, ami de Jean Castex et sénateur LR dans son fief des Pyrénées-Orientales. « En 2017, il avait été nommé délégué interministériel en charge des JO 2024. Il s’entretenait tous les mois avec Emmanuel Macron. Ils ont appris à s’apprécier à cette occasion. »

Derrière la simplicité, un animal politique ?

Issu des rangs de la droite, conseiller départemental, maire de Prades, Jean Castex apparaît comme un élu de terrain, avec un profil moins politicien que ces prédécesseurs de la rue de Varenne, l’un des postes les plus convoités du gouvernement. Les plus éprouvants aussi. Ne parle-t-on pas de « l’enfer » de Matignon ? Les premiers jours, les couacs s’accumulent. Les syndicats refusent de rouvrir avec lui le dossier de la réforme des retraites, une note laissée à la vue des photographes à la sortie du Conseil de ministres, « sur le jeune Gabriel Attal », régale les médias… Le Premier ministre a dû trouver ses marques. « Il ne connaissait pas bien le fonctionnement du Parlement, qu’il n’avait jamais vécu de l’Intérieur. Il est passé directement au stade de Premier ministre, sans passer par la case parlementaire. Les premiers mois ont été un peu agités », se souvient Patrick Kanner, le président du groupe PS au Sénat.

Le style est peut-être moins flamboyant que celui d’Edouard Philippe, mais derrière ses épaisses lunettes et son verbe un peu suranné, Jean Castex cache un véritable stratège, avertit le socialiste. « Il ne faudrait pas commettre une erreur d’appréciation. Jean Castex est un politique. Quand on a été directeur de cabinet de Xavier Bertrand ou secrétaire général adjoint de l’Elysée, on est tout sauf un simple technicien. Sa durabilité montre qu’il a su faire face, avec une forme de bonhomie et un accent chantant qui cachait un très grand professionnalisme. Ceux qui l’ont sous-estimé, caricaturé, notamment à la télévision, se sont trompés », relève Patrick Kanner.

« Finalement, le ‘Monsieur déconfinement’ a dû gérer une succession de reconfinements »

Sur le fond, le passage de Jean Castex à Matignon a été marqué par la crise sanitaire, et les vagues de contamination successives qui ont complètement chamboulé le quotidien des Français. Longtemps, son image reste associée aux conférences de presse hebdomadaires du jeudi soir, aux côtés du ministre de la Santé Olivier Véran, afin de faire le point sur la situation épidémique. Après chaque allocution d’Emmanuel Macron, il assure le service après-vente, détaille le calendrier de mise en œuvre des nouvelles mesures. « Ce qui restera surtout, c’est le gestionnaire de la crise du covid-19. Sa nomination a marqué une volonté de donner une nouvelle impulsion à la politique sanitaire. Après la rigueur du premier confinement, il a incarné la stratégie du vivre avec le virus », note le politologue Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof. « Finalement, le ‘Monsieur déconfinement’ a dû gérer une succession de reconfinements. Le pauvre, il n’y était pas pour grand-chose… », ironise Patrick Kanner.

De quoi éclipser les grands textes de la fin de mandature : le Ségur de la Santé, le plan de relance, la loi « sécurité globale », celle contre les séparatismes, etc. « Les réformes, sur la sécurité sont mal passées, mais il a rarement été en première ligne en dehors des sujets liés à la pandémie. Il a servi d’amortisseur. Les grandes réformes ont été portées et incarnées essentiellement par ses ministres », poursuit Patrick Kanner. « Il a été un chef d’orchestre, mais un chef d’orchestre anime une équipe pour jouer une partition qui n’est pas la sienne, en l’occurrence celle du président de la République. »

De ce point de vue, Jean Castex a aussi endossé un rôle de bouclier pour le chef de l’Etat, sans pour autant lui faire d’ombre. « Edouard Philippe quitte ses fonctions alors qu’il est plus populaire qu’Emmanuel Macron, ce qui, à terme, aurait pu poser un problème politique au président de la République. Jean Castex était moins ambitieux », explique Bruno Cautrès. « C’est un personnage très simple, très humble, qui ne veut pas rentrer dans le jeu des mondanités. C’est son pays d’abord ! Il ne le fait pas pour être dans la lumière, mais parce qu’il est avant tout un grand serviteur de l’Etat », souligne le sénateur François Calvet.

L’artisan d’une réconciliation avec les territoires

La présence de Jean Castex à Matignon a également permis, après la crise des « gilets jaunes », d’apaiser quelque peu les relations pour le moins tendues entre l’exécutif et les corps intermédiaires. Cet élu local, parfois surnommé « le ministre du dernier kilomètre », a eu le souci de reconnecter le gouvernement aux préoccupations des territoires, observent plusieurs élus interrogés par Public Sénat. « Il a rétabli une forme de confiance », salue François-Noël Buffet. « Compte tenu de ce qu’il est, de sa personnalité, on pouvait trouver un point d’accroche avec les territoires, les communes. Nous avions vécu une période compliquée entre le gouvernement précédent et les collectivités territoriales ». Le politologue Bruno Cautrès est plus nuancé sur le bilan du Premier ministre : « Je ne suis pas sûr que les élus locaux soient très satisfaits du circuit décisionnel maire-préfet. On ne peut pas dire qu’il y a eu un véritable changement de paradigme dans la prise de décision des pouvoirs publics. »

La Chambre haute conserve le souvenir de relations simples et franches avec le chef du gouvernement. « Je n’avais pas de contacts avec Edouard Philippe, ce qui n’a pas été le cas avec Jean Castex. Il m’a reçu pour échanger sur les compétences de la commission des Lois au Sénat. Le lien était beaucoup plus direct et facile », détaille encore François-Noël Buffet, qui note chez le Premier ministre une attention particulière « aux préoccupations du quotidien ». « Ce qui le caractérise, c’est sa rapidité extraordinaire à comprendre les dossiers, parfois même avant que vous n’ayez eu besoin d’ouvrir la bouche », fait valoir François Calvet. « Par contre quand il râle, il râle… », ajoute-t-il. « Je n’ai jamais été tendre avec lui, notamment lors des questions au gouvernement, ce qui l’agaçait », admet Patrick Kanner. « En tant que président du premier groupe parlementaire d’opposition de gauche, je n’allais pas lui faire de cadeau. Mais ce n’est pas un rancunier. Il a toujours été agréable, usant du tutoiement avec nous ».

Monsieur le sénateur ?

Selon un indiscret de L’Obs, paru en janvier dernier, Jean Castex lorgnerait du coin de l’œil les sénatoriales de 2023. Et potentiellement sur le siège de son ami François Calvet, dans les Pyrénées-Orientales, qui ne compte pas briguer de troisième mandat. « Je n’en ai pas parlé avec lui », balaye le sénateur LR, qui admet que Jean Castex a souvent manifesté un intérêt particulier pour la Chambre haute. « Il aime beaucoup le Sénat parce que son grand-père, avec qui il entretenait une relation particulière, a été sénateur du Gers », explique-t-il. Un profile de sénateur, Jean Castex ? « Pour avoir siégé dans les deux chambres, je peux vous dire qu’il est plus sénateur que député. Jean Castex n’est pas friand des joutes politiques, et le Sénat porte sur le travail législatif un regard plus profond et moins politicien que l’Assemblée nationale », répond François Calvet. « Si un jour il devient sénateur, il aura toute sa place dans l’hémicycle », abonde Patrick Kanner.

Le 23 février, lors de la dernière séance de questions d’actualité au Palais du Luxembourg, Jean Castex a passé plus de cinq minutes au micro à défendre le bilan du quinquennat en matière d’agriculture. Face aux protestations d’une partie de l’hémicycle, le chef du gouvernement a pris plaisir à taquiner les sénateurs : « Je vous aime tellement que j’aimerais prendre le micro tout l’après-midi ! », a-t-il lâché. La séparation pourrait être moins longue que prévu.

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