Les sénateurs veulent taxer Amazon pour sauver les centres-villes

Les sénateurs veulent taxer Amazon pour sauver les centres-villes

Le Sénat a largement adopté une proposition de loi LR et PS pour revitaliser les centres-villes et centres-bourgs, dont les commerces disparaissent au profit des grandes surfaces, mais aussi du commerce en ligne.
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Un texte voté par les LR et le PS réunis, c’est assez rare pour être signalé. Dans la nuit de jeudi à vendredi, la proposition de loi sénatoriale instituant un pacte national pour la revitalisation des 700 centres-villes et centres-bourgs a été adoptée. Commerces fermés, devantures vides, mono activité, l’image est connue : des centres-villes qui, année après année, se meurent à petit feu. En parallèle, les hypermarchés se sont implantés en périphérie, non sans le soutien à l’époque des élus, créant une concurrence pour les petits commerces.

« Si 288 sénateurs ont soutenu cette proposition de loi, c’est que l’heure est grave »

Le texte a été adopté par 288 voix pour, 0 contre. Les groupes LREM, RDSE (à majorité radicale) et CRCE (à majorité communiste) se sont abstenus. « Si 288 sénateurs ont soutenu cette proposition de loi, c’est que l’heure est grave » se félicite le sénateur PS du Doubs, Martial Bourquin, co-auteur de la PPL avec Rémy Pointereau, sénateur LR du Cher.

Commerce du centre ville
Le centre ville de Noyon est marqué par les difficultés des petits commerçants. « Dans la rue, tous les commerces ferment », constate Mathieu, 27 ans.
Photo : François Vignal

« Il faut prendre conscience que nos centres-villes et centres-bourgs dépérissent. C’est beaucoup plus grave qu’il y a quelques années. Depuis les deux dernières années, il y a une accélération » alerte Martial Bourquin. Plutôt que du « correctif », les auteurs de la PPL entendent faire « du structurant » pour viser les causes. « Pour nous, la dévitalisation vient de la paupérisation des centres, la dévitalisation au niveau du logement, au niveau de la densité de population. Elle vient aussi du départ des services publics et des services en général. Et d’une culture de la périphérie qui s’est mise en place » explique le socialiste.

« Mettre un terme aux machines à dire oui aux grandes surfaces »

Selon Martial Bourquin, il faut déjà « mettre un terme aux machines à dire oui ». Il entend par là les « CDAC, les commissions départementales d'aménagement commercial. Elles autorisent 92% des projets de grande surface proposés. Or il n’y a pas d’analyse économique, ou sur la concurrence. Il faut une étude d’impact ». Il ajoute : « Si vous ne touchez pas à la concurrence périphérique, vous ne toucherez à rien ». Les sénateurs ont ainsi donné une base légale aux moratoires locaux à l'implantation de grandes surfaces.

Le texte propose de fixer des périmètres « OSER », pour opération de sauvegarde et de revitalisation des centres-villes, qui permettent des mesures dérogatoires : réduction de la fiscalité en centre-ville, notamment sur les logements, offre de locaux à prix abordable. Les sénateurs ont aussi autorisé les collectivités à accorder des subventions aux librairies indépendantes et exonéré de cotisation foncière les micro-entrepreneurs pendant deux ans.

« On a osé taxer Amazon avec une taxe à la livraison et à la distance »

Pour crédibiliser leur proposition de loi, les auteurs ont voulu fixer des recettes. Ils vont chercher l’argent, là où il est, ou plutôt là où il part : sur Internet. Car les petits commerces subissent la concurrence des hypermarchés, mais aussi, plus récemment, du e-commerce. « On a osé taxer Amazon avec une taxe à la livraison et à la distance » dit presque fièrement Martial Bourquin. Une taxe sur le commerce électronique fixée entre « 1 et 2 % du prix du bien, lors de chaque vente », et définie en fonction de la distance de livraison, dans une logique écologique. Pour ne pas s’attaquer aux PME, la taxe ne vise que les entreprises au chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros. Les producteurs  commercialisant leurs produits dans le cadre d’un circuit court sont aussi exemptés, tout comme les entreprises dont l’activité principale est la vente de livres et qui disposent de points de vente physique. Au final, « ça rapporterait plus d’un milliard d’euros par an » selon Martial Bourquin, « ça doit alimenter les différents fonds de revitalisation ».

Meaux
Rue Saint-Rémy, dans le centre historique de Meaux.
Photo : François Vignal

Autre taxe imaginée par les sénateurs : sur « l’artificialisation des sols, c'est-à-dire les surfaces de parking ». Elle vise ici directement les grandes surfaces. Elle pourrait rapporter « quelques centaines de millions d’euros ».

« OSER comble les manques d’ELAN »

Dans l’esprit des sénateurs, la PPL « OSER » serait complémentaire de la loi « ELAN » sur le logement du gouvernement. « OSER comble les manques d’ELAN » selon Martial Bourquin. En séance, le ministre de la Cohésion des territoires, l’ancien sénateur du groupe RDSE Jacques Mézard, a reconnu que le texte des sénateurs comporte des mesures « innovantes, notamment en matière d'urbanisme commercial ». « Faisons de la concomitance de l'examen de cette proposition de loi avec le projet de loi sur le logement ELAN une force », a-t-il proposé aux sénateurs.

Pour être adoptée, la proposition de lois doit encore être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale – ce qui serait possible dans le cadre d’une niche parlementaire du groupe LR ou PS – mais surtout votée par les députés. Tout dépendra de la majorité LREM. Pour Martial Bourquin, l’importance de l’enjeu devrait pouvoir faire bouger les choses : « La question des centres-villes est essentielle. Depuis la cité grecque, les centres-villes ont toujours eu vocation à maximiser les relations marchandes, sociales, mais jouent aussi un rôle pour la culture et la démocratie ». Une question de vivre ensemble, en somme.

Pour en savoir plus, voir le documentaire de Cécile Sixou sur la revitalisation des centres-villes :

Revitalisation des Centres-villes - Sénat en action (21/03/2018)
27:51

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