« Les trois semaines qui arrivent seront déterminantes, si on n’a pas une goutte d’eau, cet épisode sera comparable à 1976 »

« Les trois semaines qui arrivent seront déterminantes, si on n’a pas une goutte d’eau, cet épisode sera comparable à 1976 »

L’Hexagone enregistre en ce début du mois de mai des températures dignes du mois de juillet et fait face un manque cruel d’eau pour les cultures. Si ce temps estival perdure, « cette année sera comparable à 1976 », avertit Luc Smessaert, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) qui craint déjà de mauvaises récoltes pour le secteur. Entretien.
Public Sénat

Par Louis Dubar

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Après un hiver doux et un mois d’avril particulièrement sec, la sécheresse frappe la France. Cette situation fait craindre le pire pour le monde agricole. Le ministère de l’Agriculture considère que cette vague de chaleur aura « un impact sur la production de céréales », un constat partagé par Luc Smesaert, vice-président de la FNSEA.

Le thermomètre est anormalement élevé pour cette période de l’année et devrait continuer à grimper dans les semaines à venir selon Météo France, les nappes phréatiques ne sont pas suffisamment chargées, toutes les conditions semblent réunies pour une crise agricole majeure ?

Cette sécheresse intervient au pire moment. L’absence de pluie et les fortes chaleurs représentent une menace sur la croissance des céréales à moyen terme notamment pour le blé. Nous sommes actuellement dans la période de l’épiaison, c’est à cette période que se décide la grosseur du grain, de même pour le colza. Certaines graines plantées au printemps comme les betteraves n’ont jamais reçu une goutte d’eau. Toutes les cultures sont touchées par cette vague de chaleur inédite. Pour le moment, tout cela tient parce que la température stagne aux alentours de 20 degrés l’après-midi. Si le thermomètre dépasse les 26 degrés, les cultures vont connaître une évaporation équivalente à 5 millimètres d’eau par jour, cela risque de rendre la situation intenable.

Malgré la guerre en Ukraine, 2022 était considérée comme une année avec un bon potentiel. Nous avions la capacité de répondre à la fois aux besoins alimentaires français, mais également à l’international. Les rendements sont aujourd’hui gravement compromis. L’élevage est également directement impacté par cette situation. Nous avons rentré les premiers foins, il manque 30 à 40 % de volume. Si l’herbe ne pousse plus dans les prairies, ce serait dramatique. Il faudrait substituer l’herbe avec de l’alimentation animale et cela risque de provoquer un gros problème de trésorerie pour de nombreux éleveurs.

Christiane Lambert, présidente de la FNSEA a pointé du doigt les faibles réserves d’eau, ces dernières sont-elles suffisantes pour affronter la crise agricole qui s’annonce ? Face au risque de sécheresse, le gouvernement a débloqué dans l’urgence, 100 millions d’euros de plus pour les agences d’eau, est-ce suffisant ?

Dans mon département de l’Oise, on compte 50 irrigants sur 2 800 exploitations sur l’ensemble du territoire. Depuis le début des années 2000, la politique de l’eau n’avance pas. Dès qu’il y a le moindre projet de réserve, les opposants et les associations « antitout » sont présents et expliquent que ces infrastructures vont favoriser l’agriculture intensive alors que c’est tout le contraire. La politique de l’eau permet au pays d’atteindre et de renforcer l’autonomie alimentaire. Il faut bien se rendre compte que sans eau dans le secteur agricole, on ne peut rien faire, et il n’y aura pas de contrat avec l’industrie agroalimentaire. Il nous faut aujourd’hui de l’écologie pragmatique et arrêter l’écologie de salon. L’urgence aujourd’hui est d’avoir une meilleure gestion de l’eau. Les agriculteurs sont fatigués qu’on n’avance pas sur ce dossier. A chaque fois qu’on prend du retard, on handicape toute la filière agroalimentaire.

En France, nous ne stockons pas suffisamment l’hiver. 2,7 % de l’eau de pluie tombée dans l’hexagone sont stockées dans des retenues contre 21 % en Espagne. Cette politique de stockage ne bénéficie pas uniquement au secteur agricole, mais à la biodiversité dans son ensemble en évitant les phénomènes d’étiage ou d’assèchement des rivières. Sur le long terme, cette situation de sécheresse fait craindre le pire à la fois pour la faune et la flore mais également des épisodes d’incendie comme on en a connu dans le Gard et le Var en 2021. Il y a une vraie détresse et une inquiétude chez les agriculteurs. On ne demande pas des indemnités de la part du gouvernement mais des solutions, là où il y a des projets. Aujourd’hui, ce n’est pas un problème de budget. Il faut que les sommes débloquées par le gouvernement soient utilisées. Il ne faut plus mettre dix ans pour construire des retenues d’eau. Face au changement climatique, nous, les agriculteurs, devons travailler avec des plantes plus résistantes à la sécheresse. Nous devons également nous adapter.

Peut-on évaluer les pertes de production aujourd’hui ?

Les trois semaines qui arrivent, seront déterminantes, si on n’a pas une goutte d’eau, cet épisode de sécheresse sera comparable à 1976, une année terrible pour les céréaliers et les éleveurs. Dans ce cas précis, les pertes représenteraient entre 30 à 40 % de la production. Dans le cas inverse, si les températures diminuent et que le pays connaît quelques orages, les pertes se situeraient entre 10 à 15 % de la production.

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