Livraisons de chars lourds à l’Ukraine : « La stratégie adoptée est celle d’un accompagnement vers la victoire »

Livraisons de chars lourds à l’Ukraine : « La stratégie adoptée est celle d’un accompagnement vers la victoire »

L’armée ukrainienne va bénéficier de chars Leopard et Abrams, respectivement fournis par l’Allemagne et les Etats-Unis. Pour le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française aux Nations Unies, les Occidentaux, en misant sur la livraison d’armes lourdes, actent implicitement l’impasse de la voie diplomatique et appuient pour une victoire ukrainienne.
Romain David

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Après des semaines d’atermoiements, l’Allemagne a annoncé mercredi la livraison de 14 chars blindés Leopard 2 à l’Ukraine. Dans la soirée, les Etats-Unis ont également confirmé l’envoi à Kiev de 31 chars Abrams. Ces deux annonces marquent une nouvelle étape dans le soutien militaire à l’Ukraine, dans la mesure où l’envoi de chars lourds pourrait lui apporter un avantage technique décisif sur la Russie. Le gouvernement allemand, qui a longtemps fait preuve d’une grande prudence sur la question de l'armement, a même indiqué viser avec l'appui de ses partenaires européens à la mise en place de « deux bataillons de chars équipés de Leopard 2 pour l’Ukraine », soit environ 80 véhicules blindés. De son côté, la France continue d’examiner la possibilité d’un envoi de chars Leclerc.

Interrogé par Public Sénat, le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française aux Nations Unies, décrypte cette montée en puissance dans la fourniture d’armes à l’Ukraine. Pour ce spécialiste des relations internationales, les Occidentaux s’inscrivent dans une logique de « soutien complet » face à l’entêtement de la Russie, qui ferme la voie à toute négociation.

Les livraisons d’équipements lourds en soutien à Kiev s’accentuent, après l’Allemagne, ce sont les Etats-Unis qui annoncent des livraisons de chars. Peut-on parler d’un point de bascule dans le soutien des Occidentaux à l’Ukraine, voire d’un pas vers la cobelligérance ?

« Tout d’abord, il convient de rappeler que le terme 'cobelligérance' n’a pas d’existence juridique. C’est Moscou qui utilise ce mot pour lancer des avertissements aux Occidentaux et tracer des lignes rouges sur leur investissement dans le conflit. Les dernières livraisons d’armes annoncées, de chars notamment, s’inscrivent dans la continuité d’une logique de soutien complet à l’Ukraine. La stratégie adoptée depuis plusieurs mois est celle d’un accompagnement vers la victoire, dans la mesure où il est clair que les Russes ne veulent pas négocier. Tout le problème est de savoir à partir de quand l’Ukraine estimera avoir gagné, et surtout à quel moment la Russie reconnaîtra une défaite.

L’accélération constatée ces derniers jours dans les livraisons d’armes n’est donc pas un revirement, elle découle plutôt de la coordination de plusieurs facteurs au niveau européen : la France et le Royaume-Uni avaient déjà commencé à monter en puissance, en acceptant de livrer des chars de combat légers AMX-10 R et des missiles à guidage de précision Brimstone-2. Par ailleurs, l’opinion publique allemande, plutôt pacifiste, a beaucoup évolué sur cette question sous la pression des médias. Les lignes ont également bougé au sein de la coalition au pouvoir, sous la pression des Verts, plus volontaristes que les autres partenaires du SPD.

Concrètement, que peuvent apporter les chars allemands et américains sur le terrain ?

Tout d’abord un avantage mathématique, en renforçant les capacités matérielles de l’Ukraine face à l’armée russe. Par ailleurs, les chars occidentaux ont été conçus et fabriqués dans les années 1980, pendant la guerre froide, dans l’hypothèse d’un affrontement contre l’URSS. Or, c’est avec du matériel soviétique que se battent les Russes. Il y aura un temps de formation des Ukrainiens avant que ces chars ne soient envoyés sur le terrain. Il faudra également s’assurer que Kiev dispose des capacités de ravitaillement et d’entretien nécessaire à leur bonne marche. Mais sur ce point, l’armée ukrainienne a toujours fait montre depuis le début du conflit d’une forte capacité de flexibilité et d’adaptation, contrairement aux Russes. Enfin, il est important de rappeler que ce ne sont pas les chars à eux seuls qui vont permettre à Kiev de prendre l’avantage, ils s’inscrivent dans une combinaison de moyens qui vise à donner à l’Ukraine une capacité de réponse globale face à son agresseur.

La France, qui dispose de 226 chars Leclerc chenillés, étudie toujours la possibilité d’une livraison à Kiev. La crainte d’altérer nos propres capacités stratégiques de défense a été invoquée pour expliquer les hésitations du gouvernement.

Initialement, Paris n’envisageait de fournir des chars Leclerc qu’en complément d’une éventuelle livraison allemande. C’était une manière de pousser les Allemands à céder aux demandes ukrainiennes. Finalement, c’est la décision américaine de fournir à Kiev des chars Abrams qui a convaincu Berlin de sauter le pas. Dans ce contexte, la France s’interroge désormais sur la pertinence d’une livraison de chars Leclerc : doter l’Ukraine d’un troisième modèle de blindés pourrait complexifier le dispositif logistique, chaque type de char nécessitant une formation propre et une maintenance spécifique.

Face à ses livraisons, Moscou dénonce l’engagement « direct » des Occidentaux. Faut-il craindre une réponse russe, et donc une nouvelle escalade ?

La réaction russe est double. Dans un premier temps, elle consiste à relativiser le soutien à l’Ukraine, en expliquant que ces chars ne changeront rien à la situation sur le terrain. Dans un second temps, en agitant la menace d’une nouvelle escalade, le Kremlin rappelle indirectement qu’il comptait sur une fracture du monde occidental vis-à-vis des modalités du soutien à l’Ukraine. Ce qui ne s’est jamais produit.

Après les chars, quel autre type d’armement réclamé par Kiev pourrait faire l’objet de livraisons dans les prochains mois ?

Kiev réclame des avions pour répondre aux bombardements russes, souvent menés par des drones (l’aviation ukrainienne a subi de lourdes pertes durant les premiers jours du conflit, ndlr). On parle toujours de lignes rouges à ne pas franchir en matière d’armement, mais les seules véritables lignes rouges dans ce conflit, ce sont les frontières de l’Otan et celles de la Russie, entre les deux il y a l’Ukraine, une zone de conflit à l’intérieur de laquelle il n’y a pas vraiment de limite à l’artillerie déployée. »

 

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