Loi anticasseurs : pour Toubon, Macron a une « certaine considération pour les droits fondamentaux »
Le Défenseur des droits se dit « très satisfait » de la décision d’Emmanuel Macron de saisir le Conseil constitutionnel sur les dispositions les plus sensibles de la proposition de loi luttant contre les violences dans les manifestations.

Loi anticasseurs : pour Toubon, Macron a une « certaine considération pour les droits fondamentaux »

Le Défenseur des droits se dit « très satisfait » de la décision d’Emmanuel Macron de saisir le Conseil constitutionnel sur les dispositions les plus sensibles de la proposition de loi luttant contre les violences dans les manifestations.
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C’est une décision exceptionnelle, saluée par le Défenseur des droits. Emmanuel Macron, n’a pas attendu le vote du Sénat en deuxième lecture sur la proposition de loi dite « anticasseurs » pour annoncer sa saisine du Conseil constitutionnel sur les articles sensibles du texte. Les Sages auront à se prononcer sur les fouilles des manifestants, la création d’un délit de dissimulation du visage et, surtout, la possibilité pour les préfets – donc l’autorité administrative – de prononcer des interdictions individuelles de manifester.

« Je vois dans la décision du président de la République – je dirais, si je me place de mon point de vue – une certaine considération pour les droits fondamentaux qui me satisfait tout à fait », a réagi Jacques Toubon, le Défenseur des droits, en marge de la remise de son rapport annuel.

« Des risques à la fois constitutionnels et conventionnels »

Pour l’ancien garde des Sceaux sous Jacques Chirac, l’interdiction administrative de manifester est probablement le point le plus problématique. « Il nous paraît y avoir des risques à la fois constitutionnels – par rapport à la liberté d’aller et de venir, la liberté de manifester – et des risques conventionnels, par rapport aux principes de la convention européenne des droits de l’homme », explique Jacques Toubon.

Ce n’est que la deuxième fois sous la Ve République que le Conseil constitutionnel est saisi par un président de la République. Le précédent remontait à juin 2015, quand François Hollande avait décidé de consulter le Conseil sur la loi renseignement, texte qui étendait de façon large les pouvoirs d’écoute et de surveillance des services de sécurité.

De façon singulière, l’examen du Conseil constitutionnel aura lieu avant la promulgation de la proposition de loi, qui devrait être logiquement adoptée par le Sénat. Les sénateurs devraient même voter « conforme » ce mardi, c’est-à-dire sans modification, la version adoptée et amendée par l’Assemblée nationale (donc la majorité présidentielle). Cette proposition de loi avait été à l’origine déposée par le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau.

Jacques Toubon « reproche » aux politiques de ne pas avoir saisi le Conseil constitutionnel pour les dernières lois sécuritaires

Avec un regard dans le rétroviseur, Jacques Toubon apprécie surtout que la vérification du texte se fasse a priori, et non a posteriori. « Ce que j’ai souvent reproché depuis quatre ans – et notamment dans la mise en œuvre de l’état d’urgence – au législateur et au gouvernement – c’est que dans beaucoup des textes qui ont été présentés, état d’urgence ou après état d’urgence, il n’y a pas eu d’examen de la constitutionnalité de ces mesures », explique-t-il. « Aucune force politique, pour des raisons d’opinion publique, n’a voulu saisir le Conseil constitutionnel. C’est seulement à travers 7 ou 8 questions prioritaires de constitutionnalité, que les dispositions de certaines de ces lois antiterroristes ont été examinées et ont d’ailleurs été mises en cause par le Conseil constitutionnel », ajoute-t-il.

C’est justement dans le temps long que s’inscrit le dernier rapport d’activité du Défenseur des droits, que plusieurs observateurs seraient tentés d’analyse sous le seuil prisme de la crise des Gilets jaunes. « En France, parallèlement au recul des services publics, s'est implantée une politique de renforcement de la sécurité et de la répression face à la menace terroriste, aux troubles sociaux et à la crainte d'une crise migratoire alimentée par le repli sur soi », déplore le rapport.

Cette autorité administrative indépendante, qui pointe le « nombre jamais vu d’interpellations et de gardes à vue intervenues de manière préventive » lors des manifestations de cet hiver, considère que les directives de l’exécutif pour gérer la contestation sociale « semblent s'inscrire dans la continuité des mesures de l'état d'urgence » instauré après le 13 novembre 2015.

« Cela fait plusieurs années que le Défenseur des droits dit que le maintien de l’ordre, nos méthodes, nos moyens, nos règles, mériteraient d’être adaptées », rappelle ce mardi Jacques Toubon. Dans son rapport, il rappelle que l’institution a constaté une hausse de 24 % des réclamations liées à la déontologie de la sécurité.

Toubon insiste sur la « dangerosité » des armes à la disposition des unités de maintien de l’ordre

Toubon insiste sur la « dangerosité » des LBD dans le maintien de l'ordre
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Images : Mickael Spitzberg

Dès janvier 2018, il avait alerté les parlementaires en prônant l’interdiction du lanceur de balles de défense (LBD) et de la grenade de désencerclement GLI-F4, dont l’un et l’autre ont été à l’origine de graves blessures parmi les Gilets jaunes. Pour Jacques Toubon, les policiers en charge du maintien de l’ordre doivent être « mieux formés » et ces opérations doivent être menées par des « unités dédiées ».

Or, selon le rapport de la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio (LR), rédigé en amont de l’examen d’une proposition de loi communiste visant à interdire le LBD, cette arme, en grande majorité, n’a pas été employée par les professionnels du maintien du maintien de l’ordre, CRS et gendarmes mobiles, pendant la crise des gilets jaunes. « Sur les 13 460 tirs recensés, environ 15 % seraient le fait des compagnies républicaines de sécurité, le reste étant attribué aux unités civiles présentes sur le périmètre des manifestations », souligne le rapport sénatorial.

La dotation en armes « de force intermédiaire » pour les unités de maintien de l’ordre doit être « revue », voire « suspendue », répète Jacques Toubon, qui pointe la « dangerosité » de leur emploi. Mais pas question pour autant de les interdire. « Ils ont sûrement leur utilité dans les interventions individuelles, par exemple, celles que font des policiers des brigades anticriminalité ».

Malgré le rejet en séance au Sénat le 7 mars de la proposition de loi déposée par les communistes pour interdire l'usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l'ordre, Jacques Toubon conserve une note d’optimisme. « Je suis absolument persuadé, qu’avec les études qui sont faites, par exemple à l’Institut national de la sécurité, avec la volonté d’un certain nombre de policiers ou de magistrats, les autorités politiques feront ce que, nous, nous souhaitons. C’est-à-dire la mise à plat de toutes ces questions. »

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