Macron au Parlement européen : « Il revient, d’une certaine manière, à l’esprit d’origine du projet européen »

Macron au Parlement européen : « Il revient, d’une certaine manière, à l’esprit d’origine du projet européen »

Pour le politologue Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS et au CEVIPOF, l’intervention d’Emmanuel Macron devant le Parlement européen est marquée par le sceau du pragmatisme face aux différentes crises qui frappent le continent européen, à commencer par la guerre en Ukraine.
Romain David

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Emmanuel Macron appelle à la création d’une « communauté politique européenne » pour rapprocher l’Ukraine de l’Union européenne. Lors de son discours devant le Parlement européen à Strasbourg lundi, le président de la République a évacué l’hypothèse d’une adhésion rapide de l’Ukraine à l’UE. Mais face à l’invasion russe, il a plaidé pour la mise en place d’une autre forme de rapprochement autour du « socle de valeurs » européennes. Une nouvelle forme de coopération dont pourraient ainsi bénéficier certains Etats d’Europe de l’Est ou des Balkans. Le président de la République s’est également prononcé en faveur d’une « révision des traités » de l’Union européenne, qui permettrait à l’UE de gagner en souplesse et en réactivité par temps de crise. Plusieurs Etats, toutefois, se montrent opposés à une telle révision.

Interrogé par Public Sénat, le politologue Olivier Costa, directeur de recherche CNRS et au CEVIPOF, spécialiste des institutions européennes, voit dans ce discours aux accents mitterrandiens un « tournant pragmatique ». Avec, notamment, la volonté d’utiliser le contexte international pour pousser l’UE à se réformer rapidement.

Outre sa prise de parole lors de son investiture samedi, il s’agit du premier discours d’envergure d’Emmanuel Macron depuis sa réélection. Tout un symbole pour un dirigeant qui a en partie construit son projet politique sur l’engagement européen.

« Je pense qu’il a vraiment voulu marquer le coup. Je l’ai trouvé ému par moments, alors que c’est quelqu’un qui a une grande maîtrise de ses mots. Il a visiblement voulu faire en sorte que cette prise de parole reste comme l’un de ses grands discours. Dans un moment de conflit armé sur le continent, sans doute avait-il en tête le discours d’adieu de François Mitterrand au Parlement européen, où il prononce la fameuse phrase : ‘Le nationalisme, c’est la guerre’. Le discours de ce lundi s’inscrit dans la continuité de celui qu’il avait prononcé à La Sorbonne en 2017. Mais en mettant l‘accent sur une approche fonctionnelle des choses, il a aussi voulu revenir aux besoins des uns et des autres et, d’une certaine manière, à l’esprit d’origine du projet européen. C’est une forme de tournant pragmatique.

Emmanuel Macron propose de mettre en place une convention pour réviser les traités européens. On a l’impression qu’il s’agit d’un serpent de mer depuis la crise de 2008. Les textes sur lesquels repose le fonctionnement de l’Union sont-ils devenus complètement obsolètes ?

C’est une idée qui s’impose de plus en plus chez certains dirigeants européens, et j’ai trouvé très habile de sa part cette façon de lier les circonstances aux enjeux institutionnels. Pour l’heure, l’Union européenne reste très articulée sur un fonctionnement économique. Mais si l’on veut arrêter de traiter à la marge de nouvelles problématiques, comme le réchauffement climatique ou la justice sociale, il faut une réécriture qui place ces enjeux au cœur des traités. Il faut rappeler que cette idée ne vient pas d’Emmanuel Macron, elle a été mise en avant par la Conférence sur l’avenir de l’Europe au sein de laquelle les panels citoyens ont pris beaucoup de poids, ce qui confère à ces travaux une certaine légitimité.

Et pourtant, treize Etats membres, parmi lesquels le Danemark, la Suède, la Finlande, la Bulgarie, ou encore les Etats Baltes, ont fait savoir qu’ils s’opposaient à cette révision. Pourquoi ?

Ces pays sont rentrés dans l’Union européenne plus tardivement. Ils se sentent moins impliqués dans un projet politique qui remonte à l’après-guerre. Par ailleurs, ce sont des pays qui vivent bien, et qui n’ont pas nécessairement envie de partager leur destin avec des pays d’Europe plus en difficultés. Nous sortons de deux années de crise sanitaire, et les crises sont souvent des moments de repli national.

Le président de la République a évoqué la création d’une communauté politique européenne, sorte de nouvel espace de coopération extra-européen, qui permettrait de mettre autour de la table des pays qui n’appartiennent pas à l’UE, ou ceux qui en sont sortis, comme le Royaume-Uni. Est-il nécessaire d’envisager ce nouvel échelon de discussion à l’échelle du continent ?

Il y a un constat : l’outil de l’élargissement n’est pas adapté pour répondre aux enjeux du moment. Les oreilles des Ukrainiens ont dû siffler, mais Emmanuel Macron a eu l’honnêteté de dire qu’un processus d’adhésion prendrait des dizaines d’années. Or, la guerre impose d’apporter sans attendre une réponse à ces pays pour les mettre à l’abri de la Russie. Le président de la République réactive le vieux projet mitterrandien de confédération européenne, perçu à l’époque comme une alternative à l’adhésion et qui n’avait pas fait l’unanimité. Aujourd’hui, la situation n’est plus la même et le dispositif ne semble pas idiot. Mettre en place un nouveau cadre communautaire, en marge des traités, permettrait d’aller plus vite dans certains domaines, par exemple pour élaborer un accord de sécurité.

Rapprocher des pays comme l’Ukraine, la Moldavie ou encore la Géorgie de l’Union européenne via cette communauté politique, mais aussi accélérer sur l’Europe de la Défense, n’est-ce pas aussi une manière d’appeler à la démonstration de force face au géant russe ?

Bien sûr, c’est une façon de montrer les gros bras. Moscou n’a pas peur de l’Europe de la Défense parce qu’elle sait que sa mise en place prendra des décennies. Trouver des solutions alternatives, dans un nouveau cadre juridique et coopératif, permettrait au continent européen de faire bloc beaucoup plus rapidement face à la Russie.

» Lire notre article - 9 mai : un discours « classique et sans surprise » de Vladimir Poutine, selon Dominique Trinquand

Le président de la République assume également le principe d’une « différentiation » entre les Etats membres de l’Union européenne. On a le sentiment du retour d’une Europe à deux vitesses.

Il avait déjà dit la même chose dans son discours de la Sorbonne en 2017 : ne pas empêcher ceux qui veulent faire plus d’avancer. Dans les faits, nous sommes déjà sur une intégration différentiée, avec la zone euro ou l’espace Schengen. Mais les instruments institutionnels pour refléter cette diversité n’existent pas. Lorsque le Parlement parle de la zone euro, il est obligé de le faire à 27 alors qu’elle ne concerne que 19 Etats à l’heure actuelle. Insidieusement, c’est aussi une menace, une manière de faire pression sur ceux qui n’ont pas envie d’avancer, en laissant sous-entendre qu’ils pourraient rester sur le côté. »

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