Manifestation des policiers : « Le problème de la police, c’est la justice ! »

Manifestation des policiers : « Le problème de la police, c’est la justice ! »

Des milliers de policiers ont défilé mercredi devant l’Assemblée nationale en mémoire d’Eric Masson, brigadier tué sur un point de deal. Ils réclament des « mesures pénales plus fortes », comme des « peines planchers ». Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et des représentants politiques de presque tous les bords étaient présents.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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Au milieu de la forêt de drapeaux bleus, blancs, oranges et des gros ballons frappés des logos des syndicats de police, le tout-Paris politique – à quelques exceptions près – s’était donné rendez-vous devant l’Assemblée nationale pour battre le pavé aux côtés des policiers. Ce mercredi, les forces de l’ordre manifestaient en nombre – 35 000 selon les organisateurs - sur fond de Marseillaise et d’effluves de merguez deux semaines après le meurtre sur un point de deal du brigadier Éric Masson et à l’approche d’importantes échéances électorales. Organisée et pilotée par les syndicats policiers, réunis en intersyndicale, la manifestation constituait aussi un coup de force pour obtenir les demandes des forces de l’ordre. David Ferantini, secrétaire départemental d’Alliance pour le Vaucluse veut porter haut la mémoire de son collègue : « Éric [Masson] était sur notre département. On se devait d’être en nombre pour le représenter sur ce rassemblement parisien. On est venu assez nombreux. C’est l’occasion de lui faire un nouvel hommage ». Un autre, d’Unité SGP Police développe : « Nous demandons une peine minimum pour les délinquants qui s’attaquent à un policier. Il n’y a que comme cela qu’ils peuvent avoir peur et qu’ils vont commencer à réfléchir avant de s’attaquer à un policier ou à sa famille. »

Opposition police-justice

Le gouvernement avait déjà donné des gages aux policiers et à leurs syndicats, reçus à Matignon le 10 mai dernier. Le Premier ministre Jean Castex s’était notamment engagé à étendre à trente ans la période de sûreté pour les personnes condamnées à perpétuité pour un crime contre un policier ou un gendarme. Le gouvernement a déposé ce mercredi un amendement en ce sens dans le cadre de l’examen au Palais Bourbon du projet de loi pour la « confiance » dans la justice d’Éric Dupond-Moretti. Jean Castex s’était également dit favorable à une limitation plus stricte des possibilités de réduction des peines pour ceux qui s’attaquent aux forces de l’ordre. Mais la plupart des syndicats réclament des peines minimums (aussi appelées peines planchers) pour les agresseurs des forces de l’ordre.

Très critiquée par l’opposition, la venue de Gérald Darmanin, qui s’est frayé difficilement un chemin dans une foule compacte, s’est déroulée sans heurt, aux sons des klaxons et des sifflets, accessoires habituels des policiers en manifestation. Certains ont pris des selfies avec lui. « Tous les soirs, quand je me couche, je pense à vous », a répondu le ministre à un policier qui lui disait ne pas savoir, quand il part au travail, « comment » il « va rentrer ». « Je suis venu pour soutenir les policiers, comme tous les Français », a-t-il déclaré au milieu de la foule. Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, absent du rassemblement, était la cible des manifestants et des syndicats. « Le problème de la police, c’est la justice ! », a notamment tonné le syndicaliste d’Alliance, Fabien Vanhemelryck, sous les applaudissements. En retour, Éric Dupond-Moretti a appelé mercredi à ne pas « opposer la justice et la police ».

« Gérald Darmanin, c’est le ministre de Twitter, pas de l’Intérieur ! »

Dans les rangs de la manifestation, qui grossissait par vagues sans atteindre les 35 000 participants espérés, presque tous les bords politiques étaient représentés. Sans surprise, l’extrême droite naviguait en terrain conquis : Marie-Caroline Le Pen (sœur de la présidente du Rassemblement national) et son mari, Philippe Olivier (stratège de Marine Le Pen) sont présents, comme le maire de Bézier Robert Ménard, Éric Zemmour et Philippe de Villiers, et surtout Jordan Bardella, le numéro 2 du RN et successeur pressenti de Marine Le Pen à la tête du parti. « Nos policiers ont le sentiment de travailler sans le soutien de l’Etat. Il n’y a plus un seul endroit en France où nos compatriotes sont à l’abri. Je ne viens pas avec une banderole, je viens en tant qu’élu de la République », explique Jordan Bardella, qui se dit favorable à l’instauration de peines planchers.

Jordan Bardella : "Nos policiers ont le sentiment de travailler sans le soutien de l’Etat"
03:40

A ses côtés, le sénateur RN Stéphane Ravier balaye les accusations de récupération politique alors que 74 % des policiers seraient prêts à voter RN, selon un récent sondage. « Je viens aujourd’hui soutenir la police comme je la soutiens toute l’année sans tambour ni trompette. Gérald Darmanin vient manifester contre son bilan, c’est son droit d’être dans la schizophrénie ! Il vient faire son tweet ! C’est le ministre de Twitter, pas de l’Intérieur ! », fanfaronne le sénateur qui a sauvé son siège d’un cheveu en septembre dernier.

Stéphane Ravier : "Gérald Darmanin vient manifester contre son bilan !"
02:10

« Si on veut éviter que Marine Le Pen prenne le pouvoir, il faut répondre à l’attente des policiers »

A droite, les candidats déclarés ou putatifs à la présidentielle sont du cortège : Valérie Pécresse et Xavier Bertrand s’offrent même une photo côte à côte, avec le patron des LR à l’Assemblée nationale, Damien Abad. Le numéro 1 des sénateurs LR, Bruno Retailleau, est là aussi : « C’est devenu insupportable, chaque jour il y a des policiers qui sont caillassés, blessés, qui risquent leur vie. C’est notre place, à nous les élus Républicains, d’être à leurs côtés. Les peines planchers, nous les avions votées sous Nicolas Sarkozy. Ce que demandent les policiers, c’est de la considération, et une réponse pénale beaucoup plus ferme. La présence de Darmanin est un coup de communication ! On lui demande de réagir ! », tonne le sénateur de Vendée. Le maire de Poissy, ancien LR et désormais proche de la macronie, Karl Olive est arrivé un peu plus tôt. A deux pas, le patron de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde, courtise le micro.

Bruno Retailleau : "La présence de Darmanin est un coup de communication".
01:44

Sénateur centriste et ancien co-rapporteur de la loi « Sécurité globale », Loïc Hervé, n’est pas loin de la grande estrade où l’on peut lire « Payés pour servir, pas pour mourir ». « Le texte sur la sécurité globale couvrait tout un tas de domaines. De la police municipale aux entreprises de sécurité privée. Ici, la demande des policiers n’est pas catégorielle, ils demandent une réponse pénale. Dans le texte sécurité globale, on a supprimé les réductions de peines automatiques dans bien des cas. D’ailleurs, le garde des Sceaux va proposer que ce soit élargi. Donc je pense que la demande des policiers est plutôt judiciaire. Je considère la présence de Gérald Darmanin plutôt positive. Si on veut éviter que Marine Le Pen prenne le pouvoir, il faut répondre à l’attente des policiers »

« La présence du ministre est étrange »

A gauche, les représentants politiques sont nombreux, malgré les interrogations de certains. La maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure sont là, tout comme le candidat communiste à la présidentielle, Fabien Roussel. Participant du « Beauvau de la sécurité », Jérôme Durain marche aux côtés de Patrick Kanner, le patron des sénateurs socialistes. « La présence du ministre est étrange. On ne peut pas être juge et partie. Dans le soutien depuis la base et dans le commandement depuis le haut. La question de la sécurité dans ce pays, c’est une avalanche de textes et d’initiatives, un livre blanc, le Beauvau, une loi de programmation ! Je pense que les policiers ont eux-mêmes du mal à s’y retrouver. Notre sujet à nous les socialistes, c’est de poser la question de la continuité entre la sécurité vue depuis les forces de l’ordre et vue depuis la Justice. Les peines plancher, on a essayé ça n’a pas marché. La solution est sans doute moins un durcissement qu’un partage de la question de la sécurité », estime Jérôme Durain.

A proximité d’une reconstitution de scène de crime – « Sans police qui vous protège ? » -, l’écologiste qui se verrait bien à l’Elysée, Yannick Jadot, est planté sous un arbre détrempé. Il explique sa présence : « On n’abandonne pas la police républicaine aux manipulations de l’extrême droite ou à l’instrumentalisation du ministre Darmanin. » Mais sur le fond, l’eurodéputé n’approuve pas toutes les revendications des forces de l’ordre. « Elles ne sont pas forcément partagées par toutes les forces syndicales. Je ne crois pas que ce soit en montrant la Justice et les magistrats du doigt qu’on va résoudre les problèmes. Les policiers ont parfois trop peu de moyens pour nous protéger et se protéger. C’est la même chose pour les magistrats », martèle Yannick Jadot.

Au sein des grappes du syndicat Alliance, certains policiers arborent un masque de Jean-Luc Mélenchon. Le leader des Insoumis est un des seuls à avoir refusé – avec tous les membres de LFI – de participer à la manifestation, comme l’écologiste Éric Piolle, maire de Grenoble. Depuis son QG à Paris, Jean-Luc Mélenchon a tonné dans l’après-midi contre une « manifestation au caractère ostensiblement factieux ». Comme les récentes tribunes des militaires.

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