Manque de doses, injustices territoriales, défaillances : la colère des élus locaux face à la logistique de la campagne vaccinale

Manque de doses, injustices territoriales, défaillances : la colère des élus locaux face à la logistique de la campagne vaccinale

Alors que beaucoup de maires ont déployé des moyens pour permettre l’ouverture de plus de 800 centres de vaccination ce lundi, les doses manquent et les problèmes logistiques demeurent nombreux. Des élus pointent des « inégalités » et des « injustices » entre territoires.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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« Ils ont apporté leur concours à la mise en œuvre de la vaccination, et désormais on leur dit que les centres ne fonctionneront pas de manière normale… » Au procès en « lenteur » du début de la vaccination, succède la colère des élus locaux. Ce week-end, nombreux sont les maires qui, après avoir mis en place des moyens permettant l’ouverture de plus de 800 centres de vaccination, font part de leur indignation face aux « défaillances » dans la logistique de la stratégie gouvernementale. Les centres sont eux bien ouverts, mais les doses de vaccins viennent à manquer. L’exécutif reste sur ses positions. « Il n’y a pas de pénurie en soi, mais il y a un enjeu de vacciner au rythme de la production », a martelé Amélie de Montchalin dans la matinale de Public Sénat « Bonjour chez vous » lundi matin. « Notre rôle de responsables politiques n’est pas de nous entêter, mais de nous ajuster et de corriger le tir pour que ça fonctionne sur le terrain », a ajouté la ministre de la Fonction publique tout en reconnaissant « des lourdeurs » dans la campagne de vaccination.

Du côté des élus, le discours est radicalement différent. « J’ai des coups de fil de maires inquiets, qui ne comptent plus le nombre de rendez-vous pris pour des vaccinations alors que l’on n’a pas assez de doses », rapporte le sénateur de la Marne, René-Paul Savary (Les Républicains). Dans son département, les élus locaux en coordination avec l’ARS et le préfet ont monté plus de 11 centres de vaccination. Mais les doses ne suivent pas. « On devait avoir 5 000 doses au niveau du CHU de Reims, qui les dispatche ensuite. Cette semaine on nous a annoncé qu’il devait y avoir des doses du vaccin Moderna disponibles en supplément du Pfizer. Mais en fait c’est à la place ! Et finalement c’est 2 400 doses au lieu de 5 000 ! Ce qui fait que l’on ne va vacciner que 3 000 personnes cette semaine. Il y a donc tromperie sur la marchandise ! », fulmine-t-il. Il poursuit : « Le problème c’est qu’ils ont annoncé un public supplémentaire pour la vaccination, mais qu’il n’y a déjà pas assez de doses pour les plus de 75 ans, on est encore plus dans la pénurie. Alors ajoutez à cela les pompiers etc. »

En Normandie, le président de l’association des Petites Villes de France (APVF) et ancien député socialiste de la Seine-Maritime, Christophe Bouillon, est las. « La métropole de Rouen c’est 500 00 habitants, et il y a 700 doses par jour. On nous dit qu’il y aura bientôt plus de doses », souffle le maire de Barentin. La semaine dernière, déjà, de nombreux élus s’inquiétaient des doses qui seraient mises à leur disposition. « On est dans des capacités de vaccination de 50 000 à 100 000 personnes par semaine grâce aux moyens mis à disposition par la mairie, la région, les élus locaux. Mais il faut qu’il y ait des doses en nombre suffisant », pressait Jérémy Bacchi (CRCE), sénateur des Bouches-du-Rhône. « Beaucoup de collectivités ont mobilisé des moyens, et le gouvernement ne leur donne pas de feu vert, et ne leur a même pas donné de réponse. La concertation est un vrai exercice. On demande de la coconstruction. Quand le gouvernement dit ‘il y a 800 centres, on a travaillé avec les collectivités’, ce n’est pas suffisant. Il y a peut-être encore 2 000 collectivités qui attendent une réponse. On a dit au gouvernement qu’on voulait assurer le dernier kilomètre », renchérit Christophe Bouillon.

« Si on n’avait pas haussé le ton, on en serait encore avec Mauricette pour seule vaccinée ! »

En Ile-de-France, le sénateur apparenté socialiste Bernard Jomier, dénonce lui aussi un manque de vaccins et une « opération de communication du gouvernement en réponse au démarrage chaotique de la vaccination ». « Il y a une pénurie au regard de ce qu’avait annoncé le gouvernement. Pour être honnête, jamais personne n’a pensé qu’on vaccinerait tous les plus de 75 ans en janvier. Mais alors que la vaccination de cette population devait être terminée à la fin du premier trimestre, elle ne le sera pas avant la fin du premier semestre, au mieux courant mars », prédit-il. En pointe sur le suivi de la stratégie vaccinale, le sénateur de la commission des affaires sociales a encore en travers de la gorge certaines déclarations du ministre de la Santé. « Le 17 décembre, Olivier Véran avait nié qu’il y aurait cette pénurie », souligne-t-il, appelant le gouvernement à sortir de « son autosatisfaction permanente ». Même tonalité pour René-Paul Savary : « Si on n’avait pas haussé le ton sur la lenteur du début, on en serait encore avec Mauricette pour seule vaccinée ! » Le ministre promet quant à lui que « plus d’un million de vaccinations seront réalisées » d’ici à la fin janvier et entre 2,4 et 4 millions d’ici à la fin février. Dimanche soir, la France avait vacciné 422 127 individus pour 1,6 million de doses réceptionnées, selon les chiffres du ministère de la Santé.

Au milieu de ce concert de critiques, d’autres élus sont plus tempérés. À l’image du maire écologiste de Lyon, Grégory Doucet. « Je suis passé jeudi midi dans le centre de vaccination, les retours que j’en ai sont bons, l’organisation était bien posée. J’ai eu Alain Mérieux [industriel pharmaceutique et président de l’Institut Mérieux] au téléphone après sa vaccination, il m’a dit que tout s’était bien passé. À ma connaissance, nous ne sommes pas en situation de rupture potentielle. Nous avons eu un premier envoi de 10 000 doses et sommes sur un rythme de 500 vaccinations par jour », détaille à Public Sénat celui qui copréside aussi la commission santé de l’association France Urbaine. Il relate : « Dès le mois de décembre, on a alerté le ministre Véran sur la question de la défiance, de la concertation et de la nécessité de s’appuyer sur la capacité des territoires. On a très tôt dit notre disponibilité pour fournir des salles etc. Mais finalement l’offre des communes était plus importante que les besoins. On pourrait faire beaucoup plus de centres, mais derrière il faut des personnels soignants, des doses… Donc ça ne servait à rien d’avoir plus de centres, ça a été la stratégie choisie ». Même si l’édile note que la logistique mise en place est « complexe », il estime qu’elle « fonctionne ». Il poursuit : « La mécanique qui permet de faire remonter les problèmes existe. On ne fait pas tout bien du premier coup. Et quand il y a un dysfonctionnement, on corrige. Donnons-nous le temps d’observer un peu ce qu’il se passe ». Selon lui, on a plutôt besoin « d’éclaircissements sur la façon dont les choses se passent » au niveau européen.

Inégalités dans la répartition des centres, des doses, erreurs de Santé Publique France : les défaillances logistiques

Pour les autres, le faible nombre de doses de vaccins disponibles s’accompagne d’erreurs et de décisions incomprises. « Il y a eu des difficultés liées à Santé Publique France », estime René-Paul Savary. Il donne un exemple concret : « Dans la Marne, ils ont livré les doses à Witry-lès-Reims au lieu de Vitry-le-François, c’est totalement à l’autre bout du département ! D’autre part, il y a des endroits où ils ont livré le vaccin mais pas les seringues ! », fustige-t-il. Face à ces défaillances, le sénateur préconise « de livrer les doses à un endroit, comme les CHU, et de laisser les élus locaux s’organiser ».

De son expérience de terrain, Christophe Bouillon, lui, a tiré un constat mathématique : « Peu de doses = peu de centres ». « On est surpris par la répartition des centres de vaccination », explique-t-il. Et ajoute : « Il y a une forme d’opacité sur l’ajout de centres de vaccination. On est par exemple, passé de 700 à 800 ». Cette répartition, décidée par l’ARS et les préfets « sans concertation » avec les élus locaux entraînerait selon lui, une double fracture « territoriale et sociale » pour les petites villes. « Pour se faire vacciner, il vaut mieux être à proximité des territoires très urbains. C’est plus compliqué si vous êtes dans les territoires plus ruraux », argue-t-il. Pour preuve, il cite la problématique du transport des populations à vacciner. « Soit la personne est valide, ou ses enfants peuvent l’emmener, dans ce cas il n’y a pas trop de problèmes. Si la personne est invalide, on nous dit qu’elle peut avoir un transport ambulatoire. Mais cette stratégie expose les individus et mobilise du personnel soignant. » Il plaide donc pour qu’on laisse la possibilité aux médecins généralistes « d’aller vacciner » chez les personnes âgées ou incapables de se déplacer.

Autre inégalité, Bernard Jomier pointe « le traitement injuste » en défaveur de la ville de Paris dans la répartition des doses de vaccins entre les territoires. « J’ai interpellé Olivier Véran la semaine dernière en lui disant que les centres parisiens, avec seulement 10 000 doses fournies par semaine, étaient injustement traités en proportion de la population parisienne », rappelle-t-il. Pour le médecin de formation, il y a « des mystères sur la carte de distribution des doses » et un « manque de transparence dans la répartition ». En bref, il estime qu’il y a « un problème de justice entre les territoires, et de fourniture dans les doses annoncées ».

D’autant que contrairement aux masques ou aux tests, les communes ne peuvent pas cette fois-ci pallier les manques. « Les collectivités ne peuvent pas acheter des vaccins », souligne Christophe Bouillon. Début janvier le président centriste de la région Normandie Hervé Morin, a affirmé sur Sud Radio être « en discussions avec un grand groupe pharmaceutique pour acheter des doses de vaccin ». Dans la foulée, l’association Régions de France proposait, parmi neuf propositions pour décentraliser la campagne, de « ne pas empêcher les Régions qui le souhaitent d’acheter des vaccins ». Mais la partie semble compliquée.

Pour l’heure, l’Association des maires de France, réunit son comité directeur demain, mardi, et s’attend à des critiques très vives des édiles envers le gouvernement. Son vice-président, André Laignel, a dénoncé une stratégie ministérielle de « surbooking » qu’il juge « hasardeuse » : « L’État s’obstine à ne pas vouloir nous associer en amont à la vaccination mais il nous montre aujourd’hui qu’il n’est pas capable de gérer les flux et les stocks. Une fois de plus, manifestement, il est à la ramasse », a cinglé le maire socialiste d’Issoudun au Figaro. Dans le même quotidien, un conseiller élyséen a renvoyé les élus locaux à leurs « effets de manches ». « J’ai cru comprendre que ça s’adressait plutôt aux régions. Pour nous les communes, il n’y a pas d’élection en cours », sourit Christophe Bouillon. À l’Elysée, une réunion est programmée ce lundi soir pour faire le point sur le déroulement de la campagne de vaccination.

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