McKinsey, Citwell, Accenture… Ce que l’on sait des commandes passées par le gouvernement à des cabinets de conseil
Entre mars 2020 et février 2021, le ministère de la Santé a passé 28 commandes auprès de sept cabinets pour un coût de 11,35 millions d’euros. Objectif : être épaulé dans la mise en œuvre de la stratégie sanitaire.

McKinsey, Citwell, Accenture… Ce que l’on sait des commandes passées par le gouvernement à des cabinets de conseil

Entre mars 2020 et février 2021, le ministère de la Santé a passé 28 commandes auprès de sept cabinets pour un coût de 11,35 millions d’euros. Objectif : être épaulé dans la mise en œuvre de la stratégie sanitaire.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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C’est un nom américain découvert par les Français dans la presse en début d’année : McKinsey. Puis sont venus Citwell, Accenture et bien d’autres. Leur point commun ? Conseiller et apporter un soutien tactique au gouvernement dans la mise en œuvre de sa stratégie sanitaire face à l’épidémie de covid-19.

Blâmé pour son manque de masques, de tests, puis pour la lenteur de sa politique de vaccination, le ministère de la Santé avait dès les premiers jours de l’année admis prendre conseil auprès du cabinet américain McKinsey & Company. L’information, dévoilée par le site Politico et Le Canard enchaîné avait fait polémique et donné des cartouches supplémentaires à l’opposition pour vilipender le gouvernement. Dans la foulée, une députée de l’opposition, Véronique Louwagie (LR), a saisi le ministre de la Santé, Olivier Véran, afin d’obtenir les montants des commandes passées par son ministère. Résultat : 28 contrats ont été signés entre mars 2020 et janvier 2021 pour un total de 11,35 millions d’euros avec sept cabinets de conseil dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire.

La députée de l’Orne intervenait en tant que rapporteuse spéciale des crédits de la mission Santé. « On a de très grandes différences dans les montants des commandes. Ce sont globalement des missions assez courtes, souvent inférieures à trois mois. Mais ce n’est pas exhaustif, ces commandes font partie de la mission de santé. Il y a des commandes au niveau de Santé Publique France qui n’ont pas été communiquées », observe-t-elle, ajoutant que « d’autres contrats » sont également en prévision.

« 250 000 euros de conseils par semaine, 50 000 euros par jour »

C’est le cabinet américain McKinsey qui se taille la part du lion avec un total d’environ quatre millions d’euros de contrats passés avec l’avenue de Ségur. L’un d’entre eux portant sur « l’accompagnement dans la stratégie cible visant à doter l’ensemble du territoire français des doses de vaccins » s’élève à 3,2 millions d’euros, selon les chiffres obtenus par la députée. Les montants varient effectivement, d’un peu plus de 24 000 euros à plusieurs millions. « Lors des auditions, on nous a indiqué que très vite, la Direction générale de la santé (DGS) s’est trouvée démunie en moyens humains pour gérer la crise. Le ministère a senti le besoin d’être aidé », explique Véronique Louwagie. « Mais se posent plusieurs questions : est-ce qu’il y a eu un recensement exhaustif de tous les moyens humains au sein du ministère ? Et est-ce qu’il y a eu un recensement exhaustif des commandes interministérielles ? », s’interroge la députée.

« Pas farouchement opposée » à ce que l’Etat ait recours à des consultants extérieurs, l’élue du Palais Bourbon émet tout de même plusieurs réserves aux recours galopant aux services de ces cabinets privés. « Il faut que leur travail apporte une plus-value. Or, je constate qu’il n’y a pas eu de valeur ajoutée ». Elle relève plusieurs situations incohérentes : « Quand il est demandé aux cabinets privés de mettre à disposition un agent de liaison entre Santé Publique France et le ministère de la Santé, je m’interroge. » Dans la même veine, un cabinet a été mobilisé pour mettre 5 agents à temps plein sur la gestion des stocks de vaccins… « C’est normalement le rôle du ministère ! », s’exclame Véronique Louwagie, qui souligne le coût non négligeable des missions : « 250 000 euros par semaine, 50 000 euros par jour ».

Un Etat « consulto-dépendant »

Au Sénat, les élus n’ont pas manqué de s’alarmer. La sénatrice LR Valérie Boyer a interrogé le gouvernement par question écrite, tout comme son collègue communiste Éric Bocquet. Ce dernier, vice-président de la commission des Finances, estime que l’on « peut s’interroger sur l’efficacité des prestations de ces cabinets privés… », des « ingénieurs qui ne raisonnent qu’en faisant des équations ».

Pour l’élu communiste du Nord, « c’est la confirmation que depuis de nombreuses années, ces cabinets interviennent dans la stratégie de l’Etat ». Déjà lors des quinquennats Sarkozy et Hollande, Éric Bocquet se souvient de l’intervention du fameux cabinet McKinsey. « En 2014, la Cour des comptes avait donné un rapport au Sénat sur l’activité de ces cabinets : il relevait que les compétences des ministères n’étaient pas assez sollicitées et estimait que ces cabinets faisaient office de ‘caution technique’ », rappelle-t-il. Finalement, « on se rend compte que l’Etat est devenu consulto-dépendant ».

D’autant que l’expertise de ces cabinets est remise en cause. « Aux Etats-Unis, McKinsey a payé une indemnité de 573 millions de dollars pour régler un contentieux sur les opiacés. Les autorités américaines reprochent au cabinet de conseil d’avoir contribué à la crise des opiacés. Et le gouvernement français les sollicite pour être conseillé sur les vaccins ? », s’étrangle Bocquet.

« Mélange des genres inquiétant »

Plusieurs élus soupçonnent surtout des « liens d’intérêts » entre certains cabinets et le gouvernement, voire Emmanuel Macron lui-même. « Il y avait des liens pendant la campagne présidentielle entre Macron et McKinsey. Il n’y a pas de hasard, c’est peut-être un petit retour d’ascenseur », souffle Éric Bocquet, qui regrette un « mélange des genres de plus en plus assumé et inquiétant ». Dans une enquête, le Monde a révélé la proximité entre le chef de l’Etat et McKinsey. « Il y a manifestement un tropisme vers un cabinet américain. D’une main on plaide pour notre souveraineté, et de l’autre on emploie un cabinet américain », fustige la sénatrice centriste de l’Orne, Nathalie Goulet. Dans la Revue politique et parlementaire, elle écrit : « Trop c’est trop, trop de porosités, trop de liens d’intérêts, voire de conflits d’intérêts, il est temps que la représentation nationale s’empare sérieusement de la question de notre souveraineté avec le concours des plus hautes autorités y compris judiciaires. »

Pour plus de transparence, elle pense qu’il « faudrait un orange budgétaire (document de politique transversale) précis de tous les recours à des cabinets de tous les ministères de façon transversale ». « Cela manque de patriotisme », cingle Nathalie Goulet, pour qui le phénomène « est absolument scandaleux. On a suffisamment d’autorités indépendantes, de conseils. » Éric Bocquet s’indigne : « Il a fallu que cette députée demande des comptes pour obtenir des éléments. C’est malheureux qu’on arrive à ça pour que la transparence soit effective ! »

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