Mesures environnementales : la lettre « d’un autre temps » du Medef
Dans un courrier révélé par le Canard enchaîné et publié par le JDD, le Medef demande à la ministre de la Transition écologique de suspendre l’application de certaines mesures environnementales pour cause de crise de coronavirus. Un document qui n’est pas passé comme une lettre à la poste…

Mesures environnementales : la lettre « d’un autre temps » du Medef

Dans un courrier révélé par le Canard enchaîné et publié par le JDD, le Medef demande à la ministre de la Transition écologique de suspendre l’application de certaines mesures environnementales pour cause de crise de coronavirus. Un document qui n’est pas passé comme une lettre à la poste…
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« C’est un courrier que le Medef a du mal à assumer puisqu’il ne comptait pas le diffuser ». Comme le fait observer l’eurodéputé EELV, David Cormand, c’est par une fuite dans la presse que la lettre de Geoffroy Roux de Bézieux a été rendue publique cette semaine. Dans ce document de trois pages daté du 3 avril, révélé par le Canard enchaîné et publié par le JDD, le président du Medef demande à la ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne, de suspendre l’application de nouvelles mesures environnementales « impactant les entreprises ».

Les demandes du Medef

Dans son viseur, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire votée en début d’année. Ce texte institue notamment la création de nouvelles filières pollueur-payeur, qui imposent aux professionnels de contribuer financièrement à la gestion et au recyclage des déchets liés à leurs produits, l'interdiction de la destruction des invendus non alimentaires qui devront être donnés ou recyclés à partir de 2022 ou encore l’interdiction des plastiques à usage unique dans les fast-foods pour les repas servis sur place au plus tard en 2023.

« Il est (…) indispensable d’envisager de reporter (…) les délais d’application de la loi afin de garantir une participation pleine et entière des entreprises à la préparation des textes sur l’économie circulaire qui sera un des axes de la sortie de crise » demande le patron du Medef.

Geoffroy Roux de Bézieux souhaite également voir reporté la publication de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). « Ces deux textes structurants pour l’avenir énergétique et climatique de notre pays et pour l’activité de nombreuses filières doivent être adoptés dans des conditions économiques plus stabilisées » fait-il valoir.

Afin de protéger la filière automobile, l’organisation patronale demande « un moratoire de l'ordre de six mois », concernant un projet de décret qui oblige à mettre en place des zones à faibles émissions (ZFE), en cas de dépassement récurrent des normes concernant la qualité de l'air.

Enfin, en ce qui concerne la sécurité des installations et de protection de l’environnement, le patron du Medef alerte sur les difficultés d’application des délais réglementaires. « Tous les secteurs économiques sont concernés (…) Tous contribuent à la continuité de l’industrie et tous doivent revoir en profondeur leurs priorités en fonction de leurs ressources humaines » fait-il valoir.

« On peut se dire qu’il y a un problème démocratique »

Du côté de la représentation nationale et plus particulièrement du Sénat, ce courrier a forcément interpellé les élus qui ont travaillé sur les textes visés par le Medef. « C’est vrai que c’est quand même scandaleux de voir qu’une organisation patronale se permet d’écrire à un ministre pour lui demander de retarder l’application de la loi. On peut se dire qu’il y a un problème démocratique » s’inquiète Guillaume Gontard sénateur EELV. « Le Medef n’a rien compris. On est encore en plein Lubrizol et il demande des assouplissements dans le contrôle des sites classés. La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) a été travaillée avec les citoyens dans le cadre du grand débat. Et quant aux nouvelles mesures de la loi sur l’économie circulaire, sur l’interdiction du suremballage par exemple, la plupart des entreprises s’y sont déjà préparées. Elles savent bien que pour leur image, elles y ont tout intérêt » ajoute-il.

« C’est un message d’un autre temps et à contre-emploi »

Pour le sénateur LR, Jean-François Husson, rapporteur spécial du budget pour l’écologie « Cette lettre est malvenue. Elle donne le sentiment que les préoccupations écologiques doivent être reléguées au second rang alors qu’il ne faut rien lâcher. Il faut bien définir des priorités mais sans pour autant raisonner en silo. C’est un message d’un autre temps et à contre-emploi ».

Même le libéral, Philippe Dominati, sénateur (apparenté LR), reconnaît « que ce courrier n’était pas très habile. C’est quand même un sujet éminemment sensible ».

Sur Twitter, Geoffroy Roux de Bezieux se défend et assure au contraire que son courrier « rappelle « l’engagement total » du Medef « sur tous les objectifs de la transition écologique ».

« La crise sanitaire ne remet pas en cause la transition écologique » assure Élisabeth Borne

Devant l’Assemblée nationale mi-avril alors que le courrier de Geoffroy Roux de Bézieux n’était pas encore sorti dans la presse, Élisabeth Borne avait assuré aux députés « que la crise sanitaire ne remettrait pas en cause la transition écologique ». « L’application de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire et de la LOM doit se poursuivre, dans la concertation, en tenant compte des difficultés des entreprises » précisait-elle.

« C’est un combat politique »

Au JDD, le ministère de la Transition écologique rappelle d’ailleurs la publication, cette semaine, des décrets adoptant les nouvelles PPE et stratégie bas carbone. « On ne va quand même applaudir le gouvernement parce qu’il publie les décrets d’application des lois qui ont été votées. C’est un combat politique. Il n’y a pas de raisons que ceux qui étaient opposés aux normes environnementales avant la crise du Covid changent d’avis après. Les représentants de cette économie dominante qui nous ont conduits dans le mur ne vont pas changer par de bons sentiments. Ils doivent y être contraints par l’action publique avec de nouvelles normes ou des investissements ciblées » préconise David Cormand.

Et ce n’est pas vraiment ce qu’a perçu Guillaume Gontard, cette semaine, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative. « On donne 22 milliards d’aides aux plus grandes entreprises sans aucune contrepartie. Nous avions déposé un amendement pour que ces entreprises adoptent en contrepartie une stratégie de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Ce n’était pourtant pas très contraignant et bien ça n’est pas passé » regrette-il.

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