Migrants : des parlementaires en maraude à la frontière italienne

Migrants : des parlementaires en maraude à la frontière italienne

La tension est palpable à Montgenèvre, petite station des Hautes-Alpes et lieu de passage sur la route des migrants. Depuis la fermeture de la frontière avec l’Italie, de nombreux exilés tentent le passage à travers la montagne. Un collectif de citoyens dénonce les pratiques de la police aux frontières. En visite sur place, sénateurs et eurodéputés écologistes lancent un cri d’alarme.
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Par Fabien Recker

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Ils ont tout juste eu le temps de poser le pied dans la neige avant d’être repérés par les gendarmes. « A peine descendus de voiture, et déjà il faut montrer sa pièce d’identité ! » constate, presque amusé, le sénateur écologiste Guillaume Gontard. « On sent la volonté du gouvernement de ne pas laisser la place à la moindre ambiguïté. »

Face à la petite délégation d’élus EELV, des militaires venus prêter main-forte à la police aux frontières (PAF) et aux soldats de l’opération « Sentinelle » stationnés dans la vallée. Tous sont là pour surveiller un bout de frontière stratégique : Montgenèvre, dans les Hautes-Alpes, passage incontournable sur la route des migrants.

Traversées dans la neige et sans équipement

« Les personnes arrivent à pied ou en bus à Clavière, le village italien sur la frontière, à un kilomètre d’ici », explique Pâquerette Forest, de l’association « Tous migrants ». « Ensuite ils partent dans la montagne, soit par le versant nord, soit par le versant sud ». Depuis que la France a bouclé sa frontière avec l’Italie, ils sont nombreux à tenter le passage par les cols, mal équipés et parfois au prix de drames.

Quand ils sont interceptés, les migrants sont placés dans un lieu de « mise à l’abri » au poste de la PAF. « Un lieu de privation de liberté qui ne dit pas son nom », rectifie Pâquerette Forest. Après quoi, les personnes sont remises aux policiers italiens, qui les relâchent de l’autre côté de la frontière.

Des refoulements illégaux ?

Aux côtés des eurodéputés Gwendoline Delbos-Corfield et Claude Gruffat, Guillaume Gontard est venu dénoncer un manquement au droit. « Normalement, quand quelqu’un arrive à la frontière française et fait une demande d’asile, il doit être pris en charge. Ensuite, il peut être établi que cette personne devra effectuer sa demande dans un autre pays, en Italie, en Grèce ou ailleurs (en vertu du règlement de Dublin, ndlr). Mais il doit y avoir ce temps avec la personne, sa demande doit être traitée. Or, on s’aperçoit que ce n’est absolument pas le cas ». Contactée, la préfecture des Hautes-Alpes n’a pas apporté de commentaire.

Face à l’intransigeance des autorités, la solidarité s’organise dans la vallée. Tous les soirs, des bénévoles de l’association « Tous migrants » et de Médecins du monde partent en maraude. « On tourne en voiture et on s’arrête régulièrement à des endroits où des exilés pourraient se retrouver du côté français, et auraient besoin d’être mis à l’abri », explique Stéphanie Besson, cofondatrice de « Tous migrants ».

Eve, une autre maraudeuse, prépare son matériel : « Un tensiomètre, des chaufferettes pour les mains et les pieds, un saturomètre pour l’oxygénation. C’est un matériel de premier secours » explique cette infirmière bénévole de Médecins du monde. « Il peut y avoir des gelures, des pieds nécrosés qui vont nécessiter des amputations, des entorses ou des personnes en hypothermie ».

18 personnes ont réussi à passer la frontière

Jusque tard dans la nuit, la petite équipe sillonne la station et ses environs à bord d’une voiture siglée « Médecins du monde ». Non sans être contrôlée à répétition par les gendarmes. Toujours dans le calme, « mais les comportements des forces de l’ordre ne sont pas les mêmes quand des parlementaires sont présents que quand ce ne sont que des citoyens qui maraudent », précise Baptise Soubra, lui aussi bénévole à « Tous migrants ».

Peu avant minuit, la voiture de Médecins du monde s’arrête sur le bas-côté. Un groupe de 7 personnes a réussi à passer par la montagne. Pris en charge par les maraudeurs, les migrants, visiblement épuisés, sont conduits à Briançon pour y être mis à l’abri. Cette nuit-là, 18 personnes réussiront à passer la frontière, et au moins 5 seront interceptés par la PAF.

oulx illustration frontière italienne

 

A Oulx, « un nouveau Calais ? »

Ceux qui sont repoussés atterrissent le plus souvent à Oulx, du côté italien, dans un refuge de la Croix-Rouge. « Parfois des femmes enceintes ou des mineurs » témoigne le maire de cette petite commune, Andrea Terzolo. Certains arrivent en mauvais état. La veille, « un jeune homme intercepté a été remis dans la voiture alors qu’il avait perdu ses chaussures dans la neige, sans que soit examiné l’état de ses pieds ni de ses mains », s’inquiète l’eurodéputée Gwendoline Delbos-Corfield, témoin de la scène.

Face à ces situations, « heureusement qu’il y a des bénévoles qui font un travail de prise en charge », souligne Andrea Terzolo, qui dit redouter « un nouveau Calais » chez lui : « Si la France continue de tout verrouiller, alors ce sera ici, dans la dernière commune italienne, que tous les migrants vont se retrouver bloqués ».

Route des Balkans

Ceux qui passent en France trouvent un point de chute à Briançon, au « refuge solidaire ». Un lieu où « se reposer, se soigner, se renseigner avant de poursuivre la route », résume Philippe Wyon, le directeur bénévole des lieux. En moyenne, le refuge héberge une cinquantaine de personnes. Mouhad, 22 ans, est arrivé il y a trois jours. Dans ses yeux se lit l’épuisement de deux années de périple depuis le Maroc. Il peine à marcher. « J’ai fait une chute en Bosnie. Là-bas j’ai passé 10 jours dans le coma. Ici, je me repose. J’ai besoin d’une rééducation ».

Même trajet par les Balkans pour Sahin, venu d’Afghanistan. Sur son compte Instagram, il fait défiler des photos de blessures aux jambes, au dos. « C’est la police croate qui nous a fait ça. Ici, nous sommes bien. En Bosnie, en Serbie, la police nous a maltraités ».

mouhad migrant

 

« Personne ne veut rien voir »

Créé en 2017, le refuge est aujourd’hui menacé, la nouvelle municipalité n’ayant pas renouvelé la convention d’occupation du lieu. « Il n’est pas question d’arrêter cet accueil inconditionnel des gens qui arrivent par la montagne », avertit Philippe Wyon. « Il nous faut un autre lieu, on cherche ».

Guillaume Gontard reproche aux autorités de se défausser sur les associations. « Personne ne veut rien voir, ni la commune, ni l’Etat qui est totalement absent » regrette le sénateur. « A part des gendarmes et des militaires qui courent dans les bois. Cela ne sert absolument à rien. Il faut se pencher sur la question du coût de cette politique, alors qu’à côté nous sommes face à un très grave problème humanitaire ».

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